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La recherche de l’harmonie dans la représentation du sacré

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"Le mystère catholique" de Maurice Denis.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 17/12/24
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L’art qui élève ne se complaît pas dans le désordre, soutient le père jésuite Jean-François Thomas, mais dans l’harmonie qui efface les confusions de nos cœurs blessés par le péché. Les plus belles œuvres sont celles qui révèlent une opposition vaincue.

Le sacré a été et est mis à mal, non seulement dans le monde mais aussi au sein de l’Église, au moins dans sa représentation sinon dans le respect et l’attachement qui lui sont dus. Les vagues révolutionnaires dans l’art à partir du XIXe siècle sont passées par là. La parole d’Arthur Rimbaud est révélatrice : "Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit" (Délires II. Alchimie du verbe). Cette parole d’écrivain et de poète s’applique également parfaitement à l’artiste, peintre ou sculpteur, qui décide de remplacer le plaisir de créer par la colère, la vengeance, l’outrage ou la provocation. 

Saisir l’harmonie, jamais sans souffrance

Il ne s’agit point alors d’un iconoclasme ponctuel et limité mais de la destruction de ce qui faisait jusque-là l’objet même de l’art : un sujet dans un cadre fixe. Ce rejet n’est pas simplement une abstention puisqu’il va jusqu’à l’abjuration de toute représentation figurative. Paul Claudel considère par exemple les cubistes en les comparant à des zélotes qui refusent d’offrir de l’encens aux idoles et qui, allant encore plus loin dans leur détestation, mettent en pièces les statues et étalent les débris avec orgueil (cf. L’œil écoute. Quelques réflexions sur la peinture cubiste). 

Lorsque l’artiste privilégie le désordre, selon les mots du jeune poète maudit, il fait un trait sur la recherche d’harmonie, là où les oppositions tendent à se concilier. Or le sentiment de l’harmonie est une préfiguration et un pressentiment de l’éternité, du sacré. L’artiste qui se coule dans l’ordre essaie de saisir la lumière présente dans le monde, dans la création, et il ne peut qu’éprouver la joie qui ne provient pas ainsi de la reconnaissance du succès social ou financier. Il reconnaît qu’une rencontre a lieu entre l’idée et la forme, et ceci ne va pas sans sacrifice, sans souffrance. Guère de douleur dans l’accouchement de productions contemporaines dont le souci premier n’est pas celui-là, mais de cette façon l’artiste fait le deuil d’une possible irruption de la Providence dans ce qui sort de ses mains. Les plus hautes apparitions de l’art sont celles qui révèlent une opposition vaincue. Ernest Hello écrit à ce sujet : 

Au lieu de nous apparaître dans leur isolement et leur obscurité, les choses nous apparaissent reliées les unes aux autres et transfigurées dans la lumière qui donne à tout la beauté : Au coucher du soleil, un objet par lui-même dépourvu de beauté, une maison, une écurie, devient beau dans le coup d’œil général, grâce aux flots de la lumière, dont il est inondé. Ainsi, la chose qui nous semblait laide quand nous la regardions en elle-même et dans la nuit, illuminée dès que nous la voyons d’en haut, participe aux splendeurs de l’universel rayonnement. (Philosophie et Athéisme).

Dans Notre-Dame, entre lumière et confusion

Le décalage entre le travail des artistes qui ont poursuivi l’extraction de cette lumière et ceux qui, au contraire, ont décidé de demeurer dans la confusion apparaît clairement, en un même lieu, au sein de la cathédrale Notre-Dame restaurée : d’un côté le geste des artisans humbles et effacés de l’époque médiévale, et du XIXe siècle ; de l’autre les ajouts parasitaires contemporains par les artistes qui impriment leur nom au lieu de s’effacer devant la lumière : la paramentique, le mobilier liturgique, l’improvisation désarticulée de la musique sur les grandes orgues. Ces derniers sont bien éloignés de la constatation du même Hello : 

Dans l’art, miroir magique où la vérité se reflète à l’état symbolique, sensible, si je puis le dire, prophétique, on nomme inspiration l’intuition de l’accord, et travail la réflexion par laquelle l’opposition cherche à se résoudre. L’inspiration est l’action de l’idée dans l’artiste ; le travail est l’action de l’artiste dans l’idée. (Idem) 

Quelque chose a donc déraillé, et dans l’inspiration, et dans le travail de ceux qui ont épousé la confusion et le désordre au nom d’une liberté de création ne tenant aucun compte de l’émergence possible de l’éternité à travers la lumière. Leurs productions demeurent dans les ténèbres, au mieux ternes, le plus souvent déplacées et étrangères au sein d’un écrin qui répondait, à l’inverse, aux exigences de l’irruption de la beauté, servante de la vérité, dans le monde.

Effacer les confusions du péché

Écoutons encore Ernest Hello, cet humble serviteur de l’écriture : "Il est temps que l’Art proclame la beauté, la puise où elle est et dise où il la puise. Qu’ainsi il soit hardi et simple, vrai et puissant… Pour que l’Art soit beau et que sa beauté soit vraie, je veux que l’Art désormais dise les choses comme elles sont" (L’Homme). Dans la plupart des hardiesses contemporaines répondant à des commandes d’«art sacré", nous ne retrouvons aucun signe, aussi infime fût-il, de ces caractéristiques. Paul Claudel avait repéré une similitude étrange entre le sacré et le sacrilège, comme si ce second n’était qu’une singerie du premier. Il le note en parlant du cubisme de Picasso : 

Picasso, s’il en veut tellement à la figure humaine, s’il l’outrage avec des moyens qu’on ne peut comparer qu’aux blasphèmes d’un torturé, ce ne peut-être que parce qu’il y voit l’image de Dieu. Quoi de plus sacré que le sacrilège ?. (L’œil écoute. Quelques réflexions sur la peinture cubiste.)

Comment croire en l’authenticité d’un art qui, travaillant pour l’Église — point pour la gloire des hommes mais pour la gloire de Dieu — ne tâche pas de s’élever à une certaine hauteur spirituelle en effaçant les contradictions et les confusions présentes dans nos cœurs blessés par le péché ? Un art qui entretient le désordre et qui se complaît dans les ténèbres, ou simplement la médiocrité de l’ambition et de la gloriole humaines, n’est qu’imposture. Dans un sanctuaire, l’artiste doit plier le genou et non point redresser orgueilleusement son chef en prétendant qu’il va donner une leçon, qu’il va imprimer de son génie un lieu sacré qui le dépasse. Il est possible de rêver à un art sacré contemporain qui serait la représentation de l’apaisement et de la béatitude et non point l’expression des provocations et des sentiments des artistes en mal de reconnaissance. Les grands écrivains catholiques des XIXe et XXe siècles ont justement combattu la mièvrerie du sulpicien et le sacrilège du contemporain se prenant pour référence. Même si tel ou tel artiste de cette période fut habité par un génie créateur, la plupart d’entre eux se sont précipités vers l’abîme en ce qui regarde l’expression du sacré, ou bien ont entretenu — guidés par des intérêts financiers et par la vanité — la médiocrité, l’ambiguïté et le frelaté.

La main de l’invisible

Il faut espérer que, malgré le mauvais goût ecclésiastique, malgré des choix parfois idéologiques, malgré la pesanteur de nos âmes, nous puissions dépasser et écarter toutes ces "œuvres" qui font obstacle à la lumière de la vérité et que nous puissions saisir la main de l’invisible. Paul Claudel, parlant de la cathédrale de sa conversion en cette nuit de Noël 1886, écrit : 

Quand on entre à Notre-Dame, par exemple par une après-midi d’hiver, c’est comme si on plongeait soudain dans un bain de ténèbres bienfaisantes. Quelle satisfaction de reprendre contact avec notre néant originel ! L’obscurité où nous disparaissons nous rend moins loin de l’Invisible. (Positions et propositions. Note sur l’art chrétien). 

Faut-il subir passivement le clinquant, le bling-bling, le kitsch à la mode, sous prétexte d’être accroché aux wagons du train du monde en ce qu’il a de plus poussif ? Il faut réagir en habitant chaque sanctuaire comme une maison de prière et de sacrifice, et non point comme un atelier d’expérimentation plus ou moins heureuse et talentueuse. Espérons que l’art sacré contemporain fasse un pas décisif vers le monde d’une harmonie retrouvée. Certains jeunes artistes sont dans cet état d’esprit, mais, hélas, ils ne bénéficient guère des commandes officielles qui ne récompensent que les serviteurs et les courtisans du régime politique et clérical. Charles Baudelaire, critique artistique, soulignait : "La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création d’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme." (Critique littéraire) Plût au ciel que nous ne soyons pas embourbés à jamais dans ces deux folies.

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