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La vi(ll)e est un terrain de jeu pour Jean-Charles de Castelbajac. Dans son monde, la couleur triomphe : la palette est réduite à l’essentiel et les couleurs sont primaires, le vert en plus. C’est lui que le diocèse de Paris, avec Mgr Laurent Ulrich, archevêque, et Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, recteur-archiprêtre de Notre-Dame, a choisi pour concevoir la nouvelle paramentique de la cathédrale. L’artiste à l'œuvre poétique a laissé un instant ses anges aux yeux rêveurs pour prendre part à la renaissance de Notre-Dame. " La croix, comme un mât, comme un phare, a survécu au tumulte", confie-t-il à Aleteia.
Aleteia : Avez-vous eu carte blanche dans la création de ces vêtements ?
Jean-Charles de Castelbajac : J’ai imaginé ces vêtements dans un dialogue créatif avec Mgr Ribadeau-Dumas pour respecter ce qu’il appelle “une noble simplicité”. Pour ce qui est de la création du motif, je me suis attaché au collage que j’ai découvert il y a un an et demi. Cette technique a purifié et simplifié mon geste d’artiste. Ainsi, la croix et les éléments de rayonnements ont tous été découpés pour représenter l’assemblée qui converge vers la croix. Les parcelles du rayonnement sont uniques et représentent les membres de l’assemblée ; vous, moi. Pour ce qui est de la réalisation, je voulais apporter des techniques contemporaines qui parlent aux jeunes générations : le rayonnement n’est pas brodé mais floqué, comme sur les sweatshirts. L’or, lui, sera brodé sur les chasubles des évêques et de l’archevêque. La conception mêle quant à elle plusieurs techniques expérimentales sur une même toile de laine, blanc cassé, qui manifeste la tradition et l’authenticité des vêtements liturgiques.
Je voulais que l’or, qui manifeste la lumière et qui participe au sacré par les objets du culte, habite ma création pour Notre-Dame.
Jaune, bleu, rouge : pourquoi, depuis toujours, le vert en plus de ces trois couleurs primaires ?
Le vert s’est imposé à moi. Il est le symbole des préoccupations des jeunes générations et de l’écologie. C’est aussi la couleur du temps ordinaire : les couleurs et la liturgie convergent vers le vert. Ces quatre couleurs m’habitent depuis l’enfance : j’ai toujours été attaché à la simplicité des codes de l’héraldique et de la vexillologie, qui est la science des drapeaux. Ces couleurs habitent nos églises, que ce soit dans leurs ornements liturgiques ou leurs vitraux. Il n’y a d’ailleurs pas de “pastelbajac”, au contraire, j’aime ces couleurs franches et leur discipline.
Vous avez expliqué vous être inspiré de la croix de Marc Couturier pour imaginer le motif des chasubles. Celle-ci s’est-elle imposée comme une évidence dès le début ou avez-vous songé à d’autres motifs ou sources d’inspiration ?
J’ai surtout pensé à cette idée de résurgence et de renaissance, pour lesquelles il fallait identifier un symbole. J’ai tout de suite voulu revenir à cette croix puissante et irradiante d’où jaillissent les couleurs et la lumière. La croix, comme un mât, comme un phare, a survécu au tumulte, qu’il soit symbolique ou réel, comme celle du chœur de Marc Couturier lors de l’incendie. Je voulais aussi m’inspirer d’un autre symbole fort, en plus de la croix : c’est pour ça que j’ai choisi le chrisme qui a assuré la victoire à l’empereur Constantin en 312. Je l’ai travaillé en couleurs, dans une esthétique contemporaine encore tenue secrète, qui ne sera révélée que le 7 décembre prochain lors de la réouverture de Notre-Dame.
J’ai aussi pensé aux châsses reliquaires de saint Martial en or et leurs motifs aux couleurs primaires que j’ai admirées, enfant, et que je n’ai jamais oubliées depuis. La couleur donne un souffle et une modernité particulière. Je n’ai en revanche jamais été très familier de l’or, même si j’ai déjà eu l’occasion de l’utiliser au cours de ma longue carrière, notamment dans les arts décoratifs et la porcelaine. Je voulais cette fois que l’or, qui manifeste la lumière et qui participe au sacré par les objets du culte, habite ma création pour Notre-Dame. Ainsi, la paramentique (ensemble des vêtements, tentures et ornements liturgiques, ndlr) rappelle dans son ensemble le ciboire et le reliquaire, mais aussi l’intelligence de la main et le Moyen Âge pour que se rencontrent la mémoire des compagnons, de la cathédrale médiévale et la puissance d’un geste moderne et futur. J’ai pensé toute la paramentique en fonction de son usage et des gestes du célébrants : comme ces ganses de couleurs, à l’intérieur du vêtement, qui ne seront visibles qu’à certains moments pour accompagner le geste.
Les vêtements, ornements et objets liturgiques se répondent donc les uns aux autres ?
Oui tout à fait, de même que le blanc répond à la pierre et le rayonnement aux vitraux. J’ai imaginé les vêtements comme une sorte d’immersion spirituelle dans la cathédrale. Le blanc, couleur liturgique, m’a été suggéré, pas imposé, par le diocèse. Le blanc, que je choisis toujours assez cassé, minéral, est l’écho des pierres retrouvées de Notre-Dame. Il m’avait d’ailleurs déjà accompagné lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de 1997.
Y a-t-il un lien de filiation entre les chasubles de Notre-Dame et celles des JMJ de Paris, en 1997 ?
Lors des JMJ de 1997, le Pape m’avait dit : “vous avez utilisé la couleur comme ciment de la foi” ; cette fois-ci, j’ai voulu utiliser la couleur comme fleuve de la foi. La couleur est fluide, elle fait renaître, elle guide, elle est un chemin pour la jeunesse. Il existe un lien fort dans le signal de la foi : cette renaissance, cette réouverture de Notre-Dame aura une portée universelle, là où les JMJ s’adressaient surtout à la jeunesse catholique de France. La paramentique de Notre-Dame doit être une sorte d’étendard spirituel au vent de la modernité qui s’adresse au monde entier. Pour ce qui est de la création en revanche et contrairement au travail de drapeau des JMJ, ici, j’ai imaginé le motif avec une grande discipline et beaucoup de retenue, dans une véritable architecture du geste.
J’ai la chance de pouvoir créer continuellement, autour de la liturgie et de ma foi, à la craie sur les murs de Paris avec mes anges, ou ce grand ange en treillis qui va bientôt s’élever boulevard Saint-Germain. Tout cela fait écho à mon travail de paramentique à Notre-Dame. Je prends l’histoire et je la transforme en lui donnant des habits contemporains : c’est merveilleux ! Je suis très heureux de voir l’Église avoir la volonté de remettre la beauté et l’art en harmonie pour éveiller des vocations. Il est primordial que l’art parle de nouveau de la liturgie, de l’Évangile et de la foi.
Peut-on ainsi considérer la foi comme une sorte de fil rouge dans votre œuvre ?
Définitivement ! Mais j’ajouterai aussi la transmission : j’ai ce devoir de transmettre et de dialoguer avec les générations en devenir. La manière dont j’ai vécu ma foi enfant, puis adolescent, m’a inspiré pour devenir l’homme que je suis aujourd’hui. Le père Marie-Alain Couturier disait souvent qu’il sollicitait des athées, moins prisonniers du dogme. Moi, au contraire, l’Évangile m’inspire. Cet élan de la jeunesse qu’on voit dans les pèlerinages, cette renaissance de la foi doit être accompagnée. Claire de Castelbajac, qui est une cousine, en est l’image parfaite. Je me sens très proche d’elle et je rends d’ailleurs souvent visite aux sœurs de Boulaur. J’ai même dessiné une bannière pour un de mes neveux qui se rendait au pèlerinage de Chartres avec ce slogan : “Claire nous éclaire!”.