Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi le vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
J’aime bien Vianney, le chanteur au répertoire intergénérationnel. Je dois sa découverte à ma petite-fille. Quand j’ai le blues, j’écoute un air de Vianney. Il est catholique pratiquant, mais il ne le chante pas sur les toits. Par respect de la liberté de ceux qui ne le sont pas, et qui le laissent libres d’aller à la messe et de participer à des maraudes. J’arrête là mon petit panégyrique du "disciple missionnaire" selon mon cœur. Car je ne voudrais surtout pas que mon propos soit interprété comme une récupération pour ma paroisse de l'authenticité de cet artiste, sur scène comme à la ville. Mais je me retrouve aussi dans le même état d’esprit exprimé par Vianney au lendemain de la réouverture grandiose de Notre-Dame de Paris. "Un jour, quand j’aurai les mots, a-t-il confié à ses milliers de followers, je vous raconterai combien ce moment m’a bouleversé. Nous sommes si petits face à Elle, à ces pompiers qui l’ont sauvée, et aux artisans qui ont permis cette renaissance." Ne serait-il pas déjà en train de nous mijoter une nouvelle chanson ?
Ce que mon cœur a vu et entendu
En attendant, sa voix n'a pas fléchi quand elle a vibré sous les voûtes de la cathédrale reconstruite, pour interpréter, accompagnée par une guitare et un grand orchestre, la version française de l'Alléluia de Léonard Cohen. Ce fut un des moments suspendus — parmi beaucoup d'autres — de ces cérémonies où l'émotion populaire culmina comme par sublime procuration. Les artistes ont ce génie singulier de récapituler et de traduire avec virtuosité la pointe inaccessible des sentiments collectifs. Alors voilà, moi aussi comme Vianney, j'ai besoin maintenant d'un peu de temps pour digérer tout ce que mon cœur a écouté, vu, ressenti, caressé et goûté durant ces heures mémorables, impensables encore il y a cinq ans, où Notre-Dame restaurée nous a rassemblés, réunis, nous tous si divers, si souvent désaccordés, et si petits par rapport à sa grandeur visible et invisible, sous son ample manteau de pierres immaculées et resplendissantes de lumière.
Loading
Encore sous l'empire des émotions vécues directement sous les chapiteaux et près des piliers de la cathédrale rebâtie par deux mille artisans de toutes origines et confessions, et dont le savoir-faire force l'admiration et la gratitude, je repasse dans mon cœur les scènes les plus bouleversantes pour moi, marquant le passage de Notre-Dame dans sa nouvelle vie, revêtue de sa parure printanière plus éclatante que jamais. On ne le dira jamais assez : cette cathédrale nous a été restituée, en un temps record selon la promesse tenue, encore plus belle qu'elle ne l'était avant ce funeste Lundi saint 2019, quand de gigantesques langues de feu faillirent l'avaler et nous la ravir pour toujours. Nous fûmes les 7 et 8 décembre derniers, en France et dans le monde entier, des millions de spectateurs à communier in pectore aux applaudissements ininterrompus, pendant une dizaine de minutes, qui saluèrent dans une nef bariolée aux couleurs du monde, les sapeurs-pompiers qui sauvèrent au péril de leur vie, Notre-Dame, du péril de la fournaise éternelle.
Transmettre et espérer
Pour reconstruire la cathédrale "chaque geste fut nécessaire" déclara le président de la République. Du plus infime au plus considérable, chacun a compté pour réparer et relever ce que le feu avait tenté de détruire et de réduire en cendres à jamais. Chaque geste relié à un autre, comme les grains d'un chapelet, a formé une chaîne de travail qui, au fil des jours et des années, s'est transformée en chaîne humaine de solidarité et de fraternité. "Ne pas oublier que chacun compte" n'est pas la moindre des leçons à retenir de ce chantier du siècle dont on parlera longtemps encore, bien après que nos générations auront disparu. Comme une prime à l'éternité, les noms des glorieux deux mille bâtisseurs ont été inscrits tout là-haut, à la margelle du ciel, dans le coq doré qui coiffe la flèche de Notre-Dame et veille sur Paris.
Avons-nous bien conscience d'avoir été acteurs ou témoins d'une page de l'histoire de l'âme de la France et peut-être aussi de l'âme du monde ? "Notre-Dame n'est pas une simple réalisation du génie. Elle est le moulage dans la pierre de l'âme d'un peuple" avait rappelé le légat du Pape en 1964 pour le 800e anniversaire de sa construction. "Transmettre et espérer", autre leçon tirée de cette résurrection par le chef de l'État, c'est au fond ce qui a motivé l'opération de sauvetage exceptionnelle de ce superbe vaisseau architectural et spirituel dressé sur l'Île de la Cité depuis 860 ans. "Transmettre et espérer" ce fut aussi certainement le mobile qui déclencha la manne impressionnante de dons versés par plus de 300.000 donateurs français et étrangers, des plus riches aux plus pauvres : sous le regard de la Vierge du pilier, ils sont tous égaux. Avec quand même un regard de prédilection sur ceux qui, comme la pauvre veuve du Temple de Jérusalem (cf. Mc 12, 41-44), ont donné le maximum de leur minimum vital.
La consécration de l’autel
Un des gestes m'ayant le plus remué intérieurement fut celui de l'onction d'huile sainte du nouvel autel de la cathédrale. Grâce aux caméras de télévision, j'ai pu comme tous les fidèles présents dans la nef, voir de près la façon dont l'archevêque a manuellement répandu le saint chrême sur toute la surface de la table eucharistique. La "noble simplicité" de cet autel en bronze, réalisé en forme d'ogive renversée, et pétri pendant des centaines d'heures de travail par l'artiste drômois Guillaume Bardet, inspirait au célébrant de lents mouvements de la main, délicats et tendres. J'eus l'impression qu'il caressait l'autel, comme jadis ceux qui ensevelirent Jésus versèrent avec précaution des onguents parfumés sur son corps après qu'il eut été décroché de la croix. La consécration d'un autel est un acte capital dans l'apostolat d'un évêque. Pour Mgr Laurent Ulrich il était doublement bouleversant : à la fois comme consécrateur de l'autel de chœur de Notre-Dame rénovée, mais aussi comme archevêque de Paris pouvant enfin célébrer sa première messe dominicale dans "sa" cathédrale depuis son installation dans le diocèse en mai 2022. Lors de son dialogue — ô combien fascinant — avec le grand orgue, un échange prévu par le rituel, on put presque palper comme le passage furtif d'un ange dans le timbre attendri de sa voix.
La beauté élève les humbles
Pendant cette messe inaugurale, j'avais pour voisins des membres de l'association caritative "Aux captifs la libération" centrée sur la rencontre et l'accompagnement des personnes vivant dans la rue. "Les pauvres ont un sens inouï du beau" me chuchota à l'oreille mon voisin avant que l'orgue ne recouvre sa voix. Cette confidence me rappelle le souvenir du pauvre curé d'Ars vendant tout ce qu'il avait pour acheter un ciboire : "Rien n'est jamais trop beau pour le bon Dieu", disait Jean-Marie Vianney. Oui, la beauté élève les humbles. Et le sacre du printemps vécu par la cathédrale en présence des grands et des petits de ce monde, nous élève tous un peu plus haut que notre taille physique ou notre rang social. En cela les pauvres seront toujours nos précurseurs et nos maîtres pour apprendre à grandir dans la simplicité et l'émerveillement, l'une et l'autre étant les traits distinctifs des préférés du Royaume.