separateurCreated with Sketch.

Un grand soir de religion populaire à Notre-Dame

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Jean Duchesne - publié le 10/12/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Les puissants n’ont plus formé, à la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, qu’un peuple assez ordinaire. Dans le secret des cœurs, croit l’essayiste Jean Duchesne, qu’il soit puissant ou misérable, nul n’est resté totalement insensible à l’accueil maternel qu’offre la cathédrale dédiée à la Vierge Marie.

Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi le vôtre.

Je donne en 3 clics

*don déductible de l'impôt sur le revenu

La belle cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris ce samedi 7 décembre peut être perçue comme une manifestation assez exemplaire de religion populaire. Certes, les "bons catholiques" étaient probablement minoritaires, et c’était la crème de l’élite qui emplissait la nef : souverains et présidents, premiers ministres, notables du plus haut rang, sommités et autres célébrités. Juste derrière eux siégeaient les plus généreux mécènes, d’ordinaire plus discrets. Mais beaucoup de personnalités étaient venues en famille : avec son conjoint ou un enfant. On s’entre-saluait allègrement entre vieilles connaissances… Et il y avait aussi bon nombre de celles et ceux qui, obscurément, avaient tant travaillé à restaurer la cathédrale, et encore les pompiers qui l’avaient sauvée, bien identifiables par leur tenue rouge.

Le spectaculaire manifeste et le secret du cœur

Qu’est-ce qui cependant a fait, de ce moment où tout un glorieux gratin occupait un lieu de culte réputé, un événement de religiosité de masse, suivi par des millions de téléspectateurs en direct et retrouvé ensuite par morceaux choisis en vidéo sur les petits écrans des ordinateurs et des téléphones portables ? C’est peut-être le contraste entre d’un côté le sensationnel explicite qui s’imposait sans contestation en suscitant et affichant une rare unanimité, et de l’autre le non-dit inexprimable : les convictions intimes, l’ouverture spirituelle, les émotions de chacun. Cette prestigieuse assemblée s’est comportée comme un peuple docile, recueilli et muet.

Dans son allocution, le président de la République a formulé avec justesse des sentiments que tous pouvaient partager : gratitude, fierté… En revanche, dans les gestes et paroles liturgiques — pour l’ouverture des portes, le "réveil" de l’orgue, diverses oraisons et la bénédiction finale — l’archevêque de Paris a très clairement, bien que sans prêcher, tout recentré sur la foi chrétienne — entre autres sur l’accueil maternel qu’offre la cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Le message du Pape, lu par le nonce apostolique en France, est évidemment allé dans le même sens, comme également la musique chorale et instrumentale, la lecture d’un passage de l’Évangile, les prières, le Magnificat, le Te Deum

Plus de privilèges

On peut dire qu’en cette circonstance, le catholicisme a servi, de façon assurément non habituelle, à réaliser une communion entre tous les présents (et même tous les témoins grâce à l’audiovisuel), sans exiger de chacun une adhésion inconditionnelle en pleine connaissance de cause, mais sans non plus contraindre quiconque. Personne, pariera-t-on, n’aurait cédé sa place. On pourrait même supposer que, par un biais ou par un autre (la beauté sans doute déconcertante du monument, la solennité de rites inhabituels…), et si fugitivement que ce fût, nul n’est resté totalement insensible dans le secret de son cœur qu’il ne contrôle pas.

On a eu là un phénomène assez représentatif de la fameuse religion populaire. Quand il s’agit de foi, les "grands" sur cette terre n’ont pas de privilège : certains au moins ont pu être touchés comme n’importe qui et être en quelque sorte emportés dans un élan collectif dont eux-mêmes (qui sont pour la plupart plutôt des experts en la matière) ont bien pressenti qu’il ne résultait pas simplement d’une manipulation d’habiles "communicants" ou de clercs puisant dans des traditions éprouvées les recettes de leur emprise sur le vulgum pecus.

Des adhésions inachevées ?

La religiosité populaire se caractérise en effet par une fixation sur un nombre limité d’aspects ou d’échos de la foi : église ou chapelle, calvaire ou abbaye, personnalité de saint(e), apparition et révélations privées, miracle, dévotion formelle (pèlerinage, image, récitation de prières, procession…), tout cela souvent lié au calendrier, pour des fêtes ou des rendez-vous périodiques, annuels ou plus fréquents. Il s’agit en principe d’extériorisations qui ouvrent des voies d’accès et (idéalement) d’entrée. On a néanmoins l’impression parfois que cette piété s’arrête à l’une ou l’autre de ces portes, parce que tous ceux qui s’y présentent, voire s’y pressent, n’ont pas toujours l’air de franchir le seuil : ils sont loin de devenir tous des pratiquants-modèles et assidus, des croyants engagés, des témoins à temps plein…

Mais cela veut dire qu’ils n’envisagent pas d’intégrer l’élite où l’on pense non seulement devoir, mais encore pouvoir rendre compte de sa foi, où l’on serait prêt à expliquer, justifier, voire adapter et réviser chaque article du Credo. C’est parmi ces militant(e)s qu’il arrive de nos jours qu’on entende estimer avoir finalement assez de théologie et de charité pour se passer de toute hiérarchie. À l’opposé, la religion populaire garde le besoin de prêtres qui soient des envoyés plutôt que des gouvernants élus, et consiste à assimiler tant bien que mal les morceaux, bouts ou miettes de la foi que l’on peut attraper, sans rejeter le reste ni prétendre le maîtriser.

Celles et ceux qui "n’ont pas les mots"

Il est à l’évidence présomptueux de mépriser ces incomplétudes ou de les soupçonner d’égarements par naïveté, paresse ou facilité : "Ne jugez pas !" (Mt 7, 1.) Les esprits forts peuvent se rappeler que les dons de Dieu sont bien plus diversifiés qu’on ne l’imagine. La grâce qu’il fait en se découvrant dans l’histoire avant même d’être recherché n’en entraîne pas automatiquement deux autres, qui stimulent la liberté humaine : celle de poursuivre tout au long de sa vie cette quête de la Vérité sans ambitionner de se l’approprier ; et celle de recevoir des capacités de mise en forme de ce qui est ainsi offert, afin de le transmettre.

C’est peut-être la littérature qui, comme l’a suggéré le pape François dans sa lettre de l’été dernier, fait le mieux comprendre la religiosité humble ou pauvre des gens qui, n’ayant "pas les mots" pour exprimer ce qu’ils ressentent, coulent leurs aspirations dans des coutumes et laissent même ces pratiques façonner et développer leurs attentes. On peut prendre comme référence la pitoyable et admirable Félicité, l’anti-héroïne du conte de Flaubert, Un Cœur simple, qui accompagne la fille de sa patronne au catéchisme qu’elle-même n’a pas pu suivre :

"En adoration, dans la fraîcheur des murs et la tranquillité de l’église "

"Le prêtre fit […] un abrégé de l’Histoire Sainte. Elle croyait voir le paradis, le déluge, la tour de Babel, des villes tout en flammes, des peuples qui mouraient, des idoles renversées ; et elle garda de cet éblouissement le respect du Très-Haut et la crainte de sa colère. Puis elle pleura en écoutant la Passion. Pourquoi l’avaient-ils crucifié, lui qui chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu des pauvres sur le fumier d’une étable ? Les semailles, les moissons, les pressoirs, toutes ces choses familières dont parle l’Évangile se trouvaient dans sa vie ; le passage de Dieu les avait sanctifiées ; et elle aima plus tendrement les agneaux par amour de l’Agneau, les colombes à cause du Saint-Esprit. Elle avait peine à imaginer sa personne ; car il n’était pas seulement oiseau, mais encore un feu, et d’autres fois un souffle. C’est peut-être sa lumière qui voltige la nuit aux bords des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix qui rend les cloches harmonieuses ; et elle demeurait dans une adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la tranquillité de l’église. Quant aux dogmes, elle n’y comprenait rien, ne tâcha même pas de comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient, elle finissait par s’endormir."

La question à ne pas se poser est de savoir combien de "cœurs simples" se trouvaient au milieu des puissants réunis l’autre samedi à Notre-Dame, ni combien ont alors été touchés en redécouvrant la cathédrale dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Il suffit de ne pas douter que ne manqueront jamais les "pauvres en esprit" auxquels est promise la royauté (Mt 5, 3).

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Aleteia vit grâce à vos dons

Permettez-nous de poursuivre notre mission de partage chrétien de l'information et de belles histoires en nous soutenant.