« Lors de la première Opex, se souvient Aude, aujourd’hui maman de trois enfants, nous avions pris soin avec notre aîné de préparer un colis pour Charles, en mission en Afghanistan. Livres, friandises, foie gras, saucissons… Il en a été tout heureux : "quand j’ai ouvert ce colis, m’a-t-il rapporté avec émotion, il y avait l’odeur de la maison"… » Au-delà des victuailles et cadeaux qu’il contient, le colis est d’abord un baiser d’amour envoyé à l’absent pour réduire la distance géographique et la distance émotionnelle, chacun vivant dans sa bulle propre : celle du quotidien à superviser seule pour la femme, celle de la mission au caractère unique et exceptionnel - voire dangereux - pour le militaire. Il arrive bien sûr que ce soit les femmes qui partent : mais si leur pourcentage dans l’armée française atteint 15,5% des effectifs, il ne dépasse pas 6,7% pour les militaires déployés en Opex. D’où notre choix de traiter le sujet sous l’angle des épouses restées au foyer.
1IDENTIFIER LES BESOINS DU COUPLE
« Se rejoindre dans ces conditions très particulières peut être acrobatique, met en garde Mathilde Tiberghien, psychologue et psychothérapeute intervenant régulièrement au sein de l’armée. C’est donc en amont que chaque couple doit réfléchir à ce qui sera bon pour lui, en fonction de son mode de fonctionnement propre : plutôt des lettres, des mails, des SMS, des visios ? À quel rythme, à quelle heure ? On peut tâtonner au début, se réajuster. L’essentiel est de mettre les choses à plat et de se parler. »
2SE LIVRER EN PROFONDEUR
Une fois que le couple a pris le temps de s’interroger sur les outils les plus propices au maintien du lien durant leur séparation, il veillera à partager son vécu intime : ce qui compte est moins ce que l’on vit que la manière dont on le vit. « Si les émotions passent à la trappe, la communication reste à la surface des choses, prévient la thérapeute. Or, de par leur métier, les militaires ont coutume de mettre à distance leurs émotions. » Pour éviter un dialogue de sourds, que les épouses les aident à se connecter à leurs ressentis : sinon, ils les empilent des années durant, au risque de les voir ressurgir un jour sans prévenir. « C’est l’effet Cocotte-minute qui peut être dévastateur. »
Aux mamans qui cumulent tout à la maison et peuvent vite se sentir harassées, le mari prévenant -qui aura pris soin au préalable de recourir à une aide-ménagère ou d’identifier des personnes ressources- pourra demander « Comment vis-tu les choses ? As-tu suffisamment de relais, de temps pour toi ? » En contrepartie, la femme peut s’enquérir de ce que ressent le militaire, immergé dans un monde nouveau : « Es-tu excité, angoissé ? Comment t’adaptes-tu à ton nouvel environnement ? »
3Raconter le QUOTIDIEN de manière équilibrée
En parallèle, Mathilde Tiberghien insiste sur deux points : l’importance de continuer à partager avec le père ce qui fait le quotidien - parfois ingrat - de la famille, même s’il est à mille lieux de ces préoccupations terre-à-terre : lui faire corriger les devoirs de maths, échanger par visio avec un adolescent… sans trop se focaliser sur le négatif : « Il faut doser savamment difficultés et joies. » À la tête d’une tribu de six enfants, Albane s’attache soigneusement à partager avec son époux Gabriel l’ordinaire de ses jours : « Plus il entre dans sa mission, plus il est déconnecté des petits bobos, des disputes ras des pâquerettes… Pour que le retour soit plus paisible, je veille à lui partager malgré tout notre vie de famille. Je lui fais part de mes interrogations, de mes doutes. Je trouve ça très important. Pour le reste, je passe par des lettres manuscrites : elles sont le lieu où l’essentiel se dit, avec davantage de recul. »
Aude pour sa part confie avoir noté dans un carnet tous les progrès de son aîné, séparé de son père avant ses deux ans : « Les mots d’enfant, les évolutions. Je lui parlais beaucoup de son papa, je lui montrais des photos. Quand c’était possible, je m’appuyais sur d’autres référents masculins : mon beau-père, des copains militaires. Je me souviens d’une messe dominicale où un ami avait pris notre bonhomme sur ses genoux durant la célébration. Ça peut paraître anecdotique, mais ça compte. »
4S’ANCRER DANS LE CONCRET
On l’aura compris : le dialogue est la clé de cette relation amputée de la présence de l’aimé. Ce dialogue peut s’enrichir de gestes concrets, que chaque famille inventera à sa sauce : les lettres évoquées par Albane en sont un. L’ouvrage Familles de militaires… ouvre d’autres pistes – y compris du reste pour les couples étrangers au monde militaire. L’objet transitionnel par exemple : « On en parle pour les enfants, ça marche aussi avec les adultes, estime l’auteur du livre. Celui qui reste peut par exemple glisser dans le sac du militaire, en plus de mots d’amour ou de ses friandises préférées, des films ou des livres qu’il lira et visionnera aussi de son côté. Pour pouvoir échanger sur autre chose que le train-train quotidien. »
L’essentiel étant de bichonner l’autre et le lien conjugal : « L’autre n’est jamais acquis, rappelle Mathilde Tiberghien, il est toujours un cadeau que l’on reçoit, et le couple une œuvre d’art dont on prend soin. » Si on y parvient, l’Opex peut même être une aubaine pour le couple : « De loin, analyse Albane, on prend mieux conscience de tout ce que l’autre apporte à la famille, matériellement et humainement. Il s’ensuit une profonde gratitude. Se manquer, c’est aussi mesurer que c’est tellement bon d’être ensemble ! »
Pratique