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Familles de militaire : comment préparer son enfant à un départ en Opex ?

Raphaëlle Coquebert - publié le 01/10/24
Ils voient leur père (quelquefois leur mère) militaire partir de longs mois durant à des milliers de kilomètres… L’Opex (opération extérieure) a beau faire partie intégrante du métier, elle affecte fortement la vie de famille. Mathilde Tiberghien, psychologue, y voit un "défi psychique intense".

Maxence, 16 ans aujourd’hui, ne voudrait pour rien au monde être militaire. "Il a trop souffert des absences de son père, une fois en Afghanistan, une fois au Liban, une fois en Roumanie. Il a un peu le sentiment d’avoir grandi sans lui", décrypte Aude, sa mère, quadragénaire à la tête d’une famille de trois enfants. Pas facile en effet de voir son papa quitter le cocon familial pour cinq ou six mois. La psychologue clinicienne et psychothérapeute Mathilde Tiberghien, auteur de Familles de militaires : le défi de la mission, y voit un "défi psychique intense". Quel que soit l’âge de l’enfant, elle recommande d’anticiper ces plages de séparation récurrentes dans les familles dont l’un des parents a choisi le métier des armes. 

Place aux émotions

La règle d’or ? Lui dire simplement ce qui va advenir sans penser qu’il est trop petit pour comprendre - même le bébé in utero doit être partie prenante de l’évènement ! "Il est très rassurant pour l’enfant d’être mis au courant", assure Mathilde Tiberghien. "Si toutefois on met en évidence que le lien perdure au-delà des frontières, que l’amour du parent absent est inchangé." Se taire pour protéger l’enfant risque d’être anxiogène, car ses radars émotionnels sont si puissants que son imagination va avoir tendance à noircir le réel. Quelle que soit sa réaction, ce qui importe est de l’accueillir : "L’enfant a le droit d’être en colère, surpris, triste ou excité, renchérit la psychologue. Rien n’est moins anodin qu’une Opex ! Autoriser les émotions à s’exprimer est très sain." L’enfant manifeste une vive anxiété ? Rassurez-le en lui rappelant que son cadre de vie reste le même et en évoquant les personnes de confiance sur lesquelles il peut s’appuyer (cercle familial, amis, professeurs…) Et mettez l’accent sur ses ressources, ses qualités propres qui lui seront précieuses pour tenir le coup.

Mais si c’est l’un des parents qui peine à contenir son anxiété, il est préférable que le dialogue avec l’enfant soit à l’initiative de celui qui a le mieux digéré la nouvelle, "pour que cela ne déborde pas sur lui". On peut aussi s’appuyer sur cette émotion tout à fait légitime, en disant à l’enfant que ce n’est facile pour personne. Sans omettre de lui signifier qu’il a aussi le droit d’être heureux loin de l’aimé(e) et de vivre sa vie d’enfant.

Être en vérité

Quant aux risques encourus par le militaire en mission, il vaut mieux ne pas les occulter, tout en insistant sur les mesures de protection mises en place par l’armée. "Maxence savait que son père était armé, se souvient Aude. Ainsi clamait-il du haut de ses 2 ans : ''Papa, il fait panpan contre les méchants !"" Dans leur apparente naïveté, ces mots d’enfant portent en eux une dimension fondamentale : celle de donner du sens à la mission. Le militaire protège les populations, fait barrage au terrorisme, participe au maintien de la paix… Maman de six enfants, Albane s’attache à valoriser autant que faire se peut son mari "Je n’ai pas à me forcer, précise-t-elle, je suis hyper fière de lui, du don qu’il fait de sa personne au service de la France. Les enfants le ressentent, ils portent leur père aux nues !"

A charge pour le militaire d’expliciter à sa progéniture les raisons de son envoi dans tel pays et de lui permettre de se représenter le contexte dans lequel il va évoluer : s’ils sont trop jeunes pour appréhender les questions géopolitiques, leur parler des mœurs, du climat, des animaux… de ce lointain ailleurs est bienvenu. Une fois en mission, ils apprécieront de recevoir photos ou vidéos notamment de la chambre du parent absent - avec un focus sur le coin où sont affichés leurs dessins ! Quel bon timing pour préparer au mieux son petit monde ? "Cela dépend de l’âge de l’enfant, souligne Mathilde Tiberghien. Avant le CP, ils n’ont pas de représentation temporelle bien définie. Inutile de trop anticiper ! Ensuite, on peut se calquer sur leurs repères à eux : avant les vacances de la Toussaint, après les fêtes de Noël…"

Le plein de souvenirs et d'astuces

Cette "opération vérité" accomplie, les familles gagneront à "mettre le paquet" sur les moments de qualité. Certaines s’adonnent à des activités hors-normes (parc d’attraction, laser game, séances photos…), d’autres comme celle d’Albane préfèrent engranger des souvenirs tout simples : "C’est plutôt au retour qu’on marque le coup en sortant de l’ordinaire. En amont, on vit intensément le quotidien : jeux de société, balades en famille, film partagé. J’ai besoin de remplir notre réservoir affectif, le remplir à ras bord en vue de la carence à venir !" A l’approche du grand départ, les astuces ne manquent pas pour faciliter ou adoucir la séparation. Quelques exemples ? Le recours à un objet transitionnel qui facilite le lien psychique avec celui qui part (album avec photos de l’absent, tee-shirt avec son odeur ou son portrait), une lettre à l’enfant laissée sous son oreiller le jour J, un calendrier pour visualiser clairement le temps de la séparation…

Albane quant à elle a préféré remplir une bonbonne d’autant de bonbons que de jours d’Opex : un bonbon mangé, un jour de moins sans papa ! Ce dernier peut aussi confier une tâche précise à l’enfant dont il suivra à distance l’accomplissement : arroser les plantes, s’occuper du chien, finir un puzzle entamé ensemble. Il évitera en revanche de responsabiliser l’aîné, le garçon ou l’ado en lui donnant un rôle protecteur qu’il n’a pas à endosser : "Tu seras l’homme de la maison, tu protègeras maman…" Mathilde Tiberghien est formelle : "L’enfant n’a pas à être le partenaire émotionnel du parent, ce n’est pas sa place." Vient alors le temps de se dire au revoir : durant l’Opex, le père - parfois la mère - veillera à maintenir autant que possible le lien avec l’enfant, en s’intéressant à son quotidien. 

Pratique

Familles de militaires : le défi de la mission, Mathilde Tiberghien, Editions Mame, septembre 2024, 17,90 euros.
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