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Et si on représentait Marie avec les pieds sales ?

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Image d'illustration de la Vierge Marie générée par IA.

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Pierre Téqui - publié le 14/11/24
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Les plus belles représentations de la Vierge Marie sont nées dans la prière, à l’écoute de l’Église. C’est à l’Église qu’il revient de favoriser le renouvellement de l’iconographie mariale, estime l’historien de l’art Pierre Téqui.

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Ce n’est pas moi qui invite à prendre une telle image en considération, mais le pape François. Lors de la dernière messe de l’Assomption, il nous a exhortés à ne pas imaginer Marie comme une statue de cire immobile, mais à la voir comme une sœur fatiguée, avec des sandales usées. Il existe des milliers de façons d’imaginer la Vierge. En "statue de cire", elle est la Vierge de la grotte de Massabielle, celle de l’Immaculée Conception, celle de la vision de Bernadette Soubirous. Avec des rayons de lumière sortant de ses mains, elle est la Vierge issue de la vision de sainte Catherine Labouré, représentée sur la Médaille miraculeuse. Chargée de signes autochtones mexicains, elle devient Notre-Dame de Guadalupe, apparue à saint Juan Diego. Bien souvent, l’iconographie de Marie découle de ces visions : ce sont elles qui inspirent les artistes, lesquels s’efforcent de rester fidèles à la manière dont elle est apparue.

Des images nées dans la prière

Mais il existe bien d’autres images issues de la lecture des Écritures, des réflexions des Pères de l’Église, ou encore de la dévotion populaire. Ainsi, on retrouve Marie représentée comme la Nouvelle Ève, ou encore dans des représentations de Marie, Reine du Ciel, ou des Vierges de miséricorde. Si la majorité de ces images provient d’études scripturaires ou de dévotions, parfois des images peuvent susciter de nouvelles dévotions. C’est le cas de Marie qui défait les nœuds, née de la vision de l’artiste Johann Georg Schmidtner.

De tout cela, il faut retenir que les artistes ne sont souvent pas à l’origine des types iconographiques. C’est l’Église qui les définit, et les artistes se contentent de donner forme à des images nées dans la prière ou la méditation des Écritures. Leur génie réside dans la composition, la pose, le choix des couleurs — bref, tout ce qui relève des décisions esthétiques. Et c’est déjà beaucoup.

La Vierge "revisitée"

C’est beaucoup, mais ce ne peut être l’essentiel. Il faut être un immense artiste pour ne traiter la Vierge que comme un motif. Raphaël, par exemple, a consacré une grande partie de sa vie à des figures de la Vierge à l’Enfant, livrant d’éblouissantes variantes de compositions. Hélas, de nombreux artistes contemporains ne voient la Vierge que comme un simple motif, ou pire, une icône culturelle. Ils se soucient peu de renouveler ou d’enrichir l’iconographie, se contentant de "s’approprier", de "revisiter" ou, plus lassant encore, de "détourner" cette figure. 

C’est à l'Église qu’il revient de favoriser le renouvellement de l’iconographie mariale, non pas en laissant les artistes s’approprier librement une forme, mais en leur commandant des images nouvelles.

Citons des artistes comme Soasig Chamaillard, dont le travail ludique se décline en mille variations, ou encore Cindy Sherman avec son Untitled #216 (1989) et sa série d’œuvres religieuses (années 2000), où elle se met en scène sous divers déguisements, revisitant la figure de la Vierge Marie, parfois jusqu’au grotesque. Plus anciennement encore, Chris Ofili et son œuvre The Holy Virgin Mary (1996), où la Vierge est entourée de découpures de magazines pornographiques et de fientes d’éléphant, œuvre qui suscita la controverse lors de sa présentation au Brooklyn Museum en 1999. Heureusement, il existe aussi des exemples plus sensibles et respectueux, comme la figure de la Vierge chez Pierre & Gilles. Nous y reviendrons sans doute dans une autre chronique.

"Comme une sœur"

Mais si l’on souhaite que ces œuvres rejoignent le giron de l’Église, et que l’on puisse se recueillir devant des images renouvelées de la Vierge, il faut que les artistes se mettent à l’écoute de l’Église. Le Saint-Père a repris l’idée d’une Vierge aux pieds sales à Carlo Carretto (1910-1988), un religieux italien membre de la congrégation des Petits Frères de Jésus. Il était surtout connu pour ses écrits sur la spiritualité chrétienne et son engagement auprès des pauvres. Après une retraite dans le désert du Sahara, il consacra sa vie à la réflexion sur la foi et la prière. Dans son livre Beata te che hai creduto, Carretto livre une méditation sur la foi de Marie. Il la décrit comme un modèle de croyance simple et humble, mais d’une force incroyable. Il raconte qu’un soir, pour la première fois, il sentit qu’il se rapprochait du mystère de Marie : "Pour la première fois, je ne la voyais plus sur l’autel comme une statue immobile de cire, parée d’habits de reine, mais comme une sœur, près de moi, assise sur le sable du monde, avec des sandales usées comme les miennes, et tant de fatigue dans les veines."

C’est au cœur de ces prières et de ces méditations que naissent les images. L’Église est créatrice ; elle doit jouer un rôle dans tout processus créatif. C’est à elle qu’il revient de favoriser le renouvellement de l’iconographie mariale, non pas en laissant les artistes s’approprier librement une forme, mais en leur commandant des images nouvelles, comme celle imaginée par Carlo Carretto : une Vierge épuisée, aux pieds sales.

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