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Les pressions n’ont pas manqué ces derniers temps et persisteront sans doute pour convaincre l’Église d’ordonner prêtres des hommes mariés et des femmes. L’inadéquation des arguments assénés pour imposer ces mesures laisse un peu rêveur. Mais ce qui n’intrigue pas moins est l’absence de réponse à ces revendications — en dehors de la réplique à des étudiants de Louvain que le Pape n’a guère pu développer le 28 septembre, sur la féminité de l’Église, la masculinité de Dieu comme Père et la distinction sans rivalité entre les sexes. On n’a pas vu mentionner dans les médias de justifications théoriques de ces positions traditionnelles. Mais de patientes explications n’auraient probablement pas été assez polémiques pour être relevées.
L’"inculturation" : devoir et tentation
À y regarder d’un peu près, on s’aperçoit que la principale raison invoquée (le plus souvent implicitement) pour inciter l’Église à devenir plus acceptable est la nécessité, et même le devoir pour elle, de l’"inculturation", c’est-à-dire de la prise en compte d’abord de la langue des sociétés à évangéliser et ensuite de leurs "valeurs". Or celles-ci ne sont pas toutes compatibles avec la foi, qui de plus en offre de nouvelles, sans lesquelles elle serait dénaturée. S’il s’agit du mariage des prêtres et de l’ordination de femmes, il est clair que cela correspond aujourd’hui chez nous à une attente aussi bien à l’extérieur de l’Église qu’à l’intérieur. Reste à savoir si une telle adaptation au cadre ambiant (l’Occident sécularisé) n’altère rien d’essentiel.
C’est ici que l’"inculturation" peut s’avérer plus commode qu’exigeante. On dira que, si Dieu s’est manifesté sous une figure de Père, si son Fils s’est fait homme (et pas femme), si ceux qu’il a appelés et oints pour le représenter (les apôtres) étaient masculins comme lui, si ceux-ci ont pris pour leur succéder d’autres mâles et s’il a finalement été prescrit qu’ils ne se marient pas, tout cela est fondamentalement (voire uniquement) dû à des contextes révolus et des mentalités dépassées. À présent, le patriarcat (spécialement clérical) est aussi honni que la colonisation et la continence sexuelle n’est pas plus crédible que le climatoscepticisme.
Les progrès spirituels
Cette façon de voir les choses trahit une conception étriquée de la Révélation. Car si Dieu a, de fait, dévoilé de lui-même et de son dessein tout ce qu’il voulait et qu’il fallait aux hommes, ces derniers étaient (et demeurent jusqu’à la fin des temps) incapables d’en assimiler l’intégralité. Ce qui permet des découvertes, des progrès (osons le mot) au fil des siècles dans l’intelligence et la mise en œuvre des dons d’en-haut. Grâce à l’Esprit saint qui ne chôme pas, il y a eu des découvertes qui ne sont que peu à peu devenues des évidences et des acquis, au milieu de crispations et de survivances ou résurgences d’un paganisme devenu inconscient.
Il a déjà fallu environ 300 ans pour qu’émerge le monachisme (le retrait du monde, non pour le fuir mais pour le servir). Puis sont apparues, non sans résistances, l’obligation du consentement de la femme au mariage et, au Moyen Âge, l’autonomie du "temporel", les conditions de la "guerre juste", la vie consacrée dans le monde (dominicains et franciscains), la réprobation de l’esclavage… Plus récemment, ce fut la compatibilité entre rationalité (y compris scientifique) et foi, et la reconnaissance que la démocratie est le système politique qui convient le plus à la poursuite du bien commun (saint Jean Paul II, Centesimus annus, n° 46).
Les enjeux du célibat sacerdotal
Le célibat des prêtres peut être considéré comme faisant partie de ces avancées d’ordre spirituel (et par ricochet socio-culturel) que ne saurait remettre en cause l’évolution du contexte. Ce n’est pas devenu la règle au XIe siècle en Occident du seul fait des circonstances, alors qu’un clergé marié était jusque-là toléré et l’est toujours en Orient pour des raisons pratiques (repli sous domination musulmane). L’enjeu était et demeure la nature du sacerdoce chrétien et l’apostolicité de l’Église. Chez les orthodoxes, d’ailleurs, les évêques, successeurs des apôtres, restent choisis parmi les moines (non mariés), étant admis que ceux qui ont été envoyés par Jésus pour agir en son nom ont à sa suite renoncé à être chefs de famille.
Le défi est ici ce que signifie que le prêtre soit soumis aux mêmes exigences que l’évêque qu’il représente comme celui-ci représente le Christ. Il n’est pas indifférent que les évêques soient tirés des rangs des prêtres. Dans le protestantisme, les ministres (et aussi les évêques là où il en est gardé) sont le plus souvent mariés, mais ne sont pas prêtres (sauf chez les anglicans), ce qui reflète la moindre importance accordée aux sacrements. On voit donc que la question porte au fond non pas sur la gouvernance des communautés, mais sur la plénitude catholique de la foi et sur la relation personnelle à Dieu au moyen des indispensables médiations concrètes et au sein d’une communion à travers le temps aussi bien que l’espace.
Tous égaux, mais pas identiques ni interchangeables
Il s’ensuit que concevoir la place du prêtre dans l’Église, aux niveaux à la fois structurel et local, comme avant tout l’exercice d’un pouvoir procurant une domination et requérant une soumission, c’est tout bonnement s’égarer. Car il ne s’agit pas d’un simple service, mais d’un abaissement reproduisant jusque dans sa fécondité celui du Fils fait homme et crucifié (Ph 2, 6-11). Le célibat sacerdotal est une privation, une manière de "prendre sa croix" (Mt 16, 24). Non pas afin d’être récompensé "au ciel" et encore moins d’être honoré en ce monde, car ce sacrifice est déjà association à la vie divine de don de soi et y offre part. Le témoignage que "Dieu seul suffit" (sainte Thérèse d’Avila, la chasteté n’étant pas réservée aux prêtres) et l’annonce de la vie ressuscitée où l’on ne se marie plus (Lc 20, 35) ne sont que des retombées.
La tentation est d’imaginer le Créateur à partir du stéréotype humain du père, ce qui mène à l’accuser de paternalisme.
La dialectique emprise-sujétion est tout aussi inappropriée aux relations dans l’Église entre hommes et femmes qu’entre clercs et simples baptisés. Saint Paul est net : "Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni citoyen, ni homme ni femme" (Ga 3, 28). Mais l’égalité entre les "enfants de Dieu", membres du Corps du Christ, n’implique pas que tous seraient identiques ou interchangeables. Les particularités qui distinguent nations, conditions sociales, sexes et personnalités sont de l’ordre temporel du créé. La grâce ne les efface pas et épanouit au contraire les singularités collectives et individuelles sans qu’elles se concurrencent fatalement.
Féminité de l’humanité, masculinité de Dieu
La tentation est d’imaginer le Créateur à partir du stéréotype humain du père, ce qui mène à l’accuser de paternalisme. Dans la Genèse, c’est à l’inverse l’homme (Adam) qui est "à l’image de Dieu", mais pas son double : il n’est pas père comme l’est l’unique source de tout. Pour "procréer", il a besoin d’une compagne capable de donner naissance (Ève). Et la Chute a creusé la distance entre le Créateur et ses créatures. Il en résulte d’abord que l’humanité, qui reçoit et développe en son sein la puissance créatrice et réparatrice de Dieu, est tout entière face à lui en situation maternelle et donc féminine. La masculinité paternelle de Dieu est à comprendre en référence à cette féminité (et non au modèle du mâle despotique).
Ensuite, comme l’a dit le Pape à Louvain, l’Église est, plus explicitement encore, femme en tant qu’épouse du Christ (Ep 5, 25) et mère des fils et filles adoptifs de Dieu. Enfin, la présence directe et agissante (sacramentelle) de Dieu, qui garde toujours l’initiative, est actualisée non par les femmes qui l’accueillent et en portent et soignent les fruits, mais par des hommes que leur dépouillement, dans un renoncement consenti au mariage, conforme la masculinité sans sexualité du Père et du Fils.