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La critique des “œuvres” chrétiennes n’atteint pas la foi

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Jean Duchesne - publié le 08/10/24
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Le christianisme mis en accusation aujourd’hui, avec des critères qui lui sont extérieurs, est une religion sans besoin du Christ. Pour l’essayiste Jean Duchesne, c’est l’orthodoxie de la foi dans sa plénitude qui est le remède aux "idées chrétiennes devenues folles".

Pourquoi n’y a-t-il pas lieu de s’émouvoir des critiques qui, ces temps-ci, pleuvent sur l’Église aussi dru que l’eau du ciel ? Parce que ces reproches portent sur ce qui en est visible de l’extérieur, et ne s’aventurent pas à prendre en compte ce qui lui a permis d’entrer indubitablement dans l’histoire de l’humanité, et continue d’attirer ceux qui s’intéressent d’abord non pas au christianisme (un mot en -isme parmi d’autres), mais au Christ lui-même.

Des péchés, et pas seulement des crimes 

À une époque où, surtout en Occident, pratiquement toutes les institutions, "valeurs", philosophies et autorités en tout genre sont soupçonnées et accusées, il n’y a pas de raison pour que l’Église soit épargnée. Les révélations d’abus sexuels commis par des clercs font dénoncer des failles "systémiques" : les coupables ont profité de leur position sociale et, afin de sauver les apparences, leurs supérieurs hiérarchiques ont négligé de punir et de prévenir. Il y a donc eu des dysfonctionnements structurels. Ils sont certes scandaleux. Mais il devrait être possible d’y remédier en se conformant plus étroitement à la bien-pensance contemporaine…

Or c’est en un sens bien plus grave, car ce sont là des péchés et pas seulement des crimes. De tels actes requièrent reniements et mensonges : ce qu’enseigne et même exige l’Évangile est délibérément refoulé en secret tout en restant prêché en public. Cependant, nul n’est allé reprocher aux prédateurs cléricaux d’avoir trahi le Christ — pas même les chrétiens, collectivement accusés de complicité passive, mais instruits de ne pas juger (Mt 7, 1) ni de jeter la première pierre (Jn 8, 7). Et il ne s’est pas trouvé d’athée assez aveuglément enragé pour insinuer que d’aussi odieux débordements hypocrites étaient directement inspirés par la foi.

La charité sans la foi

Il en va un peu de même dans le cas de l’abbé Pierre. Dans l’opprobre dont il est désormais l’objet jusqu’au sein des associations qu’il a suscitées, il y a comme du dépit d’amoureux trompé, de l’indignation d’épouse cocufiée par un mari idéalisé en père édifiant : il s’avère qu’il n’était que superficiellement ou pas complètement le héros qu’on avait envie qu’il soit — plus précisément une espèce de saint dont la charité active était d’autant plus admirable qu’elle ne dérangeait personne puisque, dans sa modestie et avec son efficacité immédiate, elle n’incitait pas à la conversion et encore moins à la piété.

L’Église est réduite à une institution transnationale, tentaculaire et centralisée, fondée sur des traditions sans support économique, cherchant à préserver les pouvoirs qu’elle a eus avant le Progrès et la "modernité".

L’Église est donc jugée selon des critères qui lui sont extérieurs et qui ignorent ses raisons d’être et son but — ce qui fait qu’elle a traversé les siècles et continue de se développer ailleurs qu’en Occident. Elle est réduite à une institution transnationale, tentaculaire et centralisée, fondée sur des traditions sans support économique, cherchant à préserver les pouvoirs qu’elle a eus avant le Progrès et la "modernité", ou au moins à garder de l’influence. Celle-ci est mesurée quantitativement par des statistiques sociologiques de pratique religieuse (en baisse sensible), et qualitativement (de façon surtout négative) par les critiques qu’attire sa résistance à la libéralisation de son organigramme et des mœurs en général. 

La foi inspiratrice et critique des « œuvres »

Il faut s’empresser de reconnaître que ces critères ne sont pas tous inadéquats. La vie chrétienne n’est pas qu’un système de croyances et de prières liturgiques et privées induisant l’allégeance à un clergé. C’est une dynamique dans laquelle on entre pour autant qu’on la partage, c’est-à-dire qu’on la transmet après l’avoir accueillie — ce qui est une condition pour y avoir véritablement part. Les chrétiens doivent donc se manifester et accepter d’être évalués en fonction de ce qu’ils montrent : selon l’amour entre eux (Jn 13, 35), pour ceux qui souffrent (Mt 25, 39) et même pour ceux qui leur sont hostiles (Lc 6, 27). Autrement dit, le témoignage de ce qui est vécu dans l’Église ne peut pas se limiter à la confession de la foi et comprend nécessairement aussi ce que l’épître de saint Jacques (2, 17) appelle "les œuvres".

Mais ce n’est qu’apparemment simple. D’abord, l’apôtre ne dit pas du tout que "les œuvres" dispensent de la foi. Et surtout, les chrétiens sont faillibles et même pécheurs. Leur comportement n’est pas un reflet "systémiquement" fiable de ce qu’ils croient. Si bien que l’Église sait devoir faire acte de « repentance » pour les infidélités commises en son nom — à titre collectif et pas seulement individuel, et par égarement ou présomption aussi bien que par tartuferie cynique. Saint Jean Paul II l’a manifesté sans complexe lors du Jubilé de l’an 2000 (voir Tertio millenio ineunte, n° 6). Les exigences de l’Évangile rejoignent là celles du monde profane. Il ne s’ensuit cependant pas que le christianisme serait soluble dans l’air du temps.

Résurgences du pélagianisme et du millénarisme

La coïncidence n’est en effet que partielle avec par exemple le "wokisme" contemporain. La compassion pour les victimes et la dénonciation de toute oppression se trouvent certes déjà dans la Bible et dans l’enseignement de Jésus. Mais il n’y est nullement donné à entendre que l’inclusion de toutes les minorités (sauf celles qu’il faudrait tout de même éliminer, comme les machistes blancs et les riches héritiers) suffirait à purger la création de tout mal et à assurer l’harmonie au sein de l’humanité. L’illusion qu’on peut, par ses seules vertus (ici une ouverture ou tolérance sélective…), atteindre un bonheur immunisé est une antique hérésie : le pélagianisme. Et la confiance en des recettes garantissant une société parfaite caractérise les idéologies, messianismes et millénarismes fauteurs d’exterminations en masse au XXe siècle.

L’orthodoxie de la foi dans sa plénitude est le remède à ces « idées chrétiennes devenues folles ». Cela pose néanmoins deux problèmes. L’un est que le « noyau dur » de la foi n’est pas résumable en slogans qui recentrent sur l’essentiel lorsque « les œuvres » déraillent et démentent ce qui est censé les motiver. Le grand public chez nous pense (à tort) avoir fait le tour du christianisme et n’avoir plus rien à en apprendre. Le défi est d’intéresser au Christ sans lequel l’Église aurait disparu depuis longtemps, et de faire saisir ce qu’a de paradoxal — et du coup étonnant, stimulant, voire libérateur — d’être comme saint Paul (2 Co 12, 10) conscient de pouvoir l’impossible quand on renonce à la puissance pour n’espérer qu’en Dieu.

Entre angélisme et pragmatisme politique

L’autre difficulté, cette fois non plus vis-à-vis de l’extérieur mais à l’intérieur de l’Église, est la tentation d’y importer et appliquer certaines idées reçues du moment — en particulier l’égalitarisme sexuel, racial, social et même religieux —, en arguant que cela n’est pas étranger au christianisme et le crédibiliserait aux yeux de nos contemporains (du moins occidentaux). Ceci permet d’une part de "bénir" une indiscrimination aveugle en niant que les différences aient le moindre impact dans la société et pour les individus, et d’autre part de réclamer une restructuration des communautés chrétiennes selon des principes purement démocratiques. 

Dans le premier cas, on verse dans une espèce d’angélisme. Et dans le second, on oublie la conception chrétienne du pouvoir, exercé en y renonçant à la suite du Christ. Masculin à l’image de son Père, il s’est appauvri en se faisant petit enfant, puis en ne prenant pas femme sur le chemin de sa Croix et de sa glorification. C’est le méconnaître que s’inquiéter que ceux qu’il appelle à le rendre présent et agissant soient comme lui des hommes qui acceptent le célibat pour ouvrir aux autres les portes du Royaume (Mt 19, 12). Finalement, un clergé marié et/ou féminisé méritera qu’on y réfléchisse quand sera montré comment cela peut aider non à se conformer au monde, mais à mieux recevoir part à la vie du Fils de Dieu mort et ressuscité.

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