La manière dont Laurence Garnier a été lancée en pâture aux professeurs de morale exprime, plus que tout autre exemple, ce qu’est devenu le débat politique français. Imaginez : Michel Barnier a osé proposer de nommer ministre de la Famille une femme, Laurence Garnier, qui a été vue à La Manif pour tous en 2013. Cette même femme, entêtée dans son hérésie, a voté contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Quelle infâmie !
Veto sur la liberté de penser
La gauche s'est indignée. La droite s'est tue. La presse bien-pensante a henni d’effroi. Libération, Le Monde et France info se sont mis un mouchoir sur le nez. Emmanuel Macron et son compère Alexis Kohler, champions autoproclamés de la liberté d’esprit, ont mis leur veto à la nomination de Mme Garnier. Les deux apprentis sorciers de l’Élysée étaient prêts à admettre tout le monde comme ministre, mais pas une ancienne de La Manif pour tous (nous y étions quand même nombreux à cette manifestation, je me souviens d’y avoir croisé des gens sérieux, un membre en exercice du Conseil constitutionnel et même Antoine et Simone Veil, il n’y manquait que nos évêques). Le binôme élyséen sait absoudre les extrémistes de la France insoumise, promouvoir les intérêts électoraux du Rassemblement national, jouer avec la Constitution, réécrire l’Histoire, déconstruire les institutions, décider du bien et du mal, mais il y a un acte qu’il se refuse d’exercer, celui d’admettre la liberté de penser sur les sujets sociétaux. Nous voyons où cela les a conduits.
Fatwa contre Laurence Garnier
Sous le règne moribond de ces deux libéraux-libertaires, le périmètre des libertés n’a cessé de se réduire. Le champ du débat sociétal est devenu un minuscule bac à sable. Naguère, on pouvait discuter de la pertinence d’ ouvrir la procédure du mariage à deux personnes du même sexe et de la nécessité de mettre des bornes à l’interruption volontaire de grossesse. C’est fini. Sur ces sujets, comme sur beaucoup d’autres, il n’y a plus qu’une seule vérité, celle du prince de ce monde. On ne débat plus. On condamne.
Une fatwa a donc été lancée contre Laurence Garnier, coupable d’avoir osé penser par elle-même sur des questions qui n’étaient pas secondaires. Bonne nouvelle, Michel Barnier ne s'est pas laissé intimider. Il a nommé Laurence Garnier au gouvernement (à la Consommation), comme il a imposé Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur, prouvant que la liberté n’était pas encore complètement morte dans notre classe politique. Ce résultat n’était pas gagné d’avance. Il donne une idée du rapport de force qui s’instaure.
L’affaire des fiches
Mais il reste la violence du nouvel ordre moral, cette lancinante agression contre tout ce que nous aimons. Que faire face à l'intolérance ? Se documenter. Par exemple, le procès qui est lancé contre Laurence Garnier fait songer à l’affaire des fiches, quand, en 1904, le gouvernement aux mains du Grand Orient avait fait établir des notes de renseignement sur les officiers afin d’entraver l’avancement de ceux qui allaient à la messe. Les intéressés s'étaient rebellés. La chambre des députés s'était saisie. L’affaire des fiches avait mal fini pour ses promoteurs. Car les Français ont la liberté dans le sang. Ils n’aiment pas qu’on décide pour eux ce qu’ils doivent penser. Ils sont volontiers anticléricaux, mais ils ne veulent pas qu’on les empêche d’aller à la messe. Ils veulent manifester quand bon leur semble. Nous sommes tous des Laurence Garnier.
Le procès d’intention fait à cette femme courageuse atteint chacun de nous dans sa liberté. Et qu'on ne nous raconte pas que la dictature de la pensée est une affaire de droite ou de gauche. Le procès d’intention fait à Laurence Garnier n’est pas plus glorieux que celui qui — exemple parmi d'autres — avait été fait à Lionel Jospin accusé d'avoir été trotskiste dans son jeune âge. Jospin étudiant lambertiste, et alors ? Jacques Chirac, pendant ses études, a vendu L’Humanité avec son ami communiste Christian Bourgois. Il l'a toujours assumé. Il disait qu’il est sain d’avoir été extrémiste à vingt ans. "Un jeune homme qui milite aux extrêmes, que ce soit l'extrême-gauche ou l'extrême-droite, cela me plaît. Ce qui m’inquiète, c’est un garçon de vingt ans qui se déclare centriste." Être macroniste à vingt ans… mieux vaut avoir été Veilleur.
Michel Barnier, avec le calme des vieilles troupes, n’est pas tombé dans le piège du jugement moral qui lui était tendu. Il a déclaré sans objet le procès que Gabriel Attal voulait instruire contre lui en exigeant des "garanties sur la PMA, le droit à l'IVG, les droits LGBT". Petite victoire à l’aube d’un grand combat.