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Trente ans de lois de bioéthique : comment décrisper l’étau du “tout est possible” ?

Fécondation in vitro

Benoist de Sinety - publié le 04/08/24
Trente ans après la première loi de bioéthique, le processus mortifère qui s’est enclenché n’augure rien de bon, accuse le père Benoist de Sinety, curé-doyen de la ville de Lille. Comment témoigner d’une cohérence de vie qui décrispe l’étau du "tout est possible" ?

Bienvenue dans le nouveau monde ! Le 29 juillet dernier, la France célébrait un drôle d’anniversaire : les trente ans des lois de bioéthique qui constituent ce que ses contempteurs aiment à désigner par l’humble expression de "cathédrale bioéthique" ! Les arguties de communication déployées avec talent depuis toutes ces années ont fait entrer dans l’esprit de la plupart d’entre nous que ces textes, ces lois, n’avaient pas d’autre but que de permettre de rendre plus fluide, plus sûr, plus performant en somme, cet acte essentiel de la vie humaine qu’est la conception et l’enfantement d’un petit d’homme. 

Un processus mortifère

Aider tous ceux qui ne le peuvent naturellement à devenir parents par une PMA de plus en plus largement ouverte à toutes. Permettre que l’enfant attendu puisse combler l’espérance de ses parents en chassant d’une manière toujours plus drastique toute anomalie (on se souvient de la tirade inouïe du député Pierre Vigier : "Il faut traquer, oui je dis traquer, les embryons porteurs d'anomalies chromosomiques" prononcée à la tribune de l’Assemblée durant le débat de 2021). Et "en même temps" (l’expression est ici plus que jamais justifiée), renforcer la possibilité d’avorter le plus tard possible et le plus largement possible, jusqu’à en inscrire le droit dans la Constitution. Vertige entre la liberté "de ne pas avoir un enfant, à aucun prix" et le droit à en "avoir un à tout prix" pour reprendre l’expression de Jean-Marie Le Méné dans une tribune au Figaro (29/07/24). 

Le président de la Fondation Jérôme-Lejeune souligne avec justesse le processus mortifère dans lequel nous sommes collectivement entrés, pour beaucoup avec la bonne conscience de vouloir aider ceux qui en ont besoin, encadrés que nous sommes par un discours officiel aussi larmoyant que mensonger. Car on sait taire ce qu’il faut et mettre les projecteurs sur les lieux de débats, qui justement ne font plus débat pour grand monde. Ainsi, il est toujours facile de braquer les feux sur les hurlements des plus conservateurs qu’on fait passer pour des ignares, adversaires des droits des femmes et sans cœur. On les fait s’agiter, et il faut dire qu’ils tombent assez facilement dans le panneau, pour souligner qu’ils n’aiment ni les femmes qui aiment les femmes, ni les femmes tout court quand ils s’opposent à l’extension de la PMA ou à celle de l’avortement. Mais on oublie de dire combien les lois qui protégeaient les embryons "surnuméraires" — rendus de plus en plus nombreux pour pallier aux faibles taux de réussite des PMA justement — ont achevé en 2004, en 2011, en 2013, en 2016 et en 2021, de dérèglementer toutes les conditions qui s’imposaient tant à la PMA qu’à la recherche sur l’embryon.

Un système sans morale ni conscience

En fait, toute cette affaire est devenue un gigantesque terrain d’investissements financiers, faisant de ce qui est l’essence de l’humanité, la capacité à transmettre la vie, la régénération, une affaire industrielle, mécanique, technique. N’importe quelle femme peut aujourd’hui porter un enfant dont l’embryon aura été sélectionné selon des critères médicaux, esthétiques, ou que sais-je. Embryon produit par d’autres, dans des conditions qui laissent fort à désirer sur le plan des droits de l’homme les plus élémentaires, qui peut être vendu et transformé ainsi en simple produit commercial.

Les apprentis sorciers, qui arguent en permanence d’un souci d’humanité sont-ils simplement naïfs ? Ne voient-ils pas qu’ils se font les jouets d’un capitalisme toujours plus froid et violent, devenant les idiots utiles d’un système qui n’a ni morale ni conscience ?

Ce qui est juste et vrai

À l’autre bout du spectre, la perspective de l’adoption par le Parlement d’une loi sur l’euthanasie permettrait à un nouveau gouvernement de rassembler facilement sur un projet une majorité de circonstance et d’en tirer un motif de légitimité, puisqu’aucun parti n’aura le courage politique de prendre clairement position contre.

La question n’est pas d’organiser des manifestations géantes ou de battre les tribunes mais de permettre à chacun de réfléchir en son âme et conscience sur ce qui est juste et vrai dans toutes ces questions-là. Les catholiques français seraient sans doute bien inspirés d’y réfléchir vraiment, plutôt que de se laisser attirer par des petites querelles pseudo-culturelles : l’élimination des pauvres du Paris olympique est aussi un signal terrifiant que nous envoie une société qui ne veut que des "parfaits" et qui refuse de regarder en face ces "accidentés de la vie" comme on les appelait il n’y a pas si longtemps. La "chasse" aux embryons porteurs d’anomalie, la fabrication d’enfants "sur mesure", la commercialisation de la vie, la "déportation" des vies cassées hors du cadre bucolique de nos terrains de jeux, tout cela n’augure rien de bon. L’erreur serait d’attaquer les personnes : la plupart de celles qui ont recours à ces pratiques en ignorent les conséquences, et, surtout, sont prises de vertige devant ce que leur propose une société affichant de soulager leurs détresses et leurs manques. Qui résisterait à ce qui est offert, possible, voire gratuit ?

Décrisper l’étau du "tout est possible"

Les têtes tournent, les volontés vacillent, dans un univers qui refuse l’échec et sublime l’excellence. Trente ans plus tard, la question n’est pas d’abord de changer les lois : l’exercice serait inutilement épuisant et sans doute insupportable par la violence qu’il engendrerait dans notre société. Elle devrait être, pour ceux qui veulent suivre le Christ, de savoir comment en être les prophètes dans ce monde, par les choix personnels qu’ils opèrent et par le témoignage de cohérence qu’ils proposent. Car c’est ainsi que les vraies révolutions s’opèrent : jamais par l’exaltation des têtes coupées, mais par l’acceptation que nos vies puissent ne pas répondre à toutes les attentes du monde. En acceptant de s’en dessaisir, confiants que leurs fécondités trouvent leurs sources dans cet Amour qui nous donne d’être. Décrisper l’étau du "tout est possible" et du "tout m’est dû" qui détruit notre monde aussi sûrement que nos humanités, pour découvrir le consentement au réel d’où jaillit, parfois dans les larmes — mais où n’y en a-t-il pas ? — la joie de se donner pour éviter de se perdre.

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