Au milieu du tourbillon politique actuel, où tant semble se dissoudre, au milieu de tant de bruit, une voix vient détonner. Celle d’une jeune femme qui n'a pas peur de la vulnérabilité, au regard et au sourire lumineux qui redonne à la campagne électorale éclair et cassante un peu d’humanité. Dans la dixième circonscription de Paris où elle réside, Charlotte de Vilmorin, jeune entrepreneur de 34 ans, est candidate, sans étiquette et sans parti, au poste de député. Déjà connue pour son engagement tenace en faveur de l’accessibilité et de l’inclusion des personnes handicapées, grâce notamment à ses deux start-up dans le domaine de la mobilité, elle vient de sauter ce nouveau pas.
Ces sujets, Charlotte a grandi avec eux. Elle est porteuse, depuis sa naissance, d’une maladie neuromusculaire. Mais être dépendante pour tous les gestes du quotidien ne saurait l’arrêter. Le message qu’aujourd’hui elle porte, qui la porte, et qu’elle veut transmettre est fondamental : une société ne doit jamais oublier les personnes vulnérables, en situation de handicap, malades ou âgées, ni leurs proches aidants. Ce thème central est pourtant le grand oublié de cette campagne, comme il l’était de celle des européennes.
La vie sous condition
Notre époque moderne, pleine d’incohérence dans le regard qu’elle porte sur l’homme, essaye d’évacuer cette conscience de la fragilité, voire de nourrir une haine tenace contre elle. Aujourd’hui, on met la vie sous condition aux deux bouts de la vie : quand elle s’annonce vulnérable puis quand elle semble le devenir. Les alertes qui méritent toute notre attention sur les terribles atteintes ou manques de considération vis-à-vis de la vulnérabilité sont légion. À commencer par cette terrifiante loi sur l’euthanasie et le suicide assisté qui se tramait. Dissoute avec l’Assemblée nationale, son ombre plane encore. Elle pourrait revenir d’outre-tombe, si on en croit le programme du camp présidentiel, qui en a fait une priorité s’il obtient à nouveau la majorité. Une loi contre laquelle de très nombreuses personnes se sont dressées, y compris des personnes directement concernées par la maladie et le handicap. Je pense à Marc Henri d’Alès qui pose cette grave question à toute la société dans une tribune du Journal du dimanche : "Qui me gardera de la tentation de l’euthanasie ?" Ou l’avocate et militante féministe Elisa Rojas qui se demande dans la revue Politis "comment s’assurer que des personnes malades, handicapées et marginalisées, lasses de se battre contre une société qui ne fait rien pour les soutenir, ne seront pas orientées vers ce dispositif qui leur présente la mort comme “solution”" ? Ou encore Caroline Brandicourt et Isabelle Mordant qui dans Le Figaro osent dénoncer ce couperet : "La loi sur la fin de vie nous condamne."
Me revient aussi le courageux et poignant témoignage de Florian Dosne. Auteur sous pseudonyme de Ma vie aux deux extrêmes (Mame), Florian souffre de troubles bipolaires. Consterné par la loi fin de vie, il s’est senti appelé à s’exprimer à cœur ouvert et visage découvert :
Je dois briser le silence et lever le tabou. Je m'appelle Florian et j'ai 33 ans. Je suis bipolaire mais heureux. Je serais probablement mort aujourd’hui si la loi sur la fin de vie avait été votée à l’époque où mes crises étaient incessantes. Les personnes atteintes de cette maladie sont en danger. […] L’euthanasie nous ôte l’espérance et nous tend la main vers le désespoir. Ensemble, luttons contre cette loi.
Un eugénisme consensuel
Côté début de vie, le rejet de la différence et de la vulnérabilité rôde évidemment aussi, depuis bien trop longtemps. Un eugénisme consensuel s’installe, insidieusement, dans le sillage des progrès technologiques. Comme le DPI-A, technique de tri des embryons in vitro, honteusement inclus dans un essai clinique pour contourner la loi, comme l’a révélé cette semaine la fondation Jérôme-Lejeune qui a saisi la justice pour le faire suspendre. N’oublions pas que les diagnostics préimplantatoires ne soignent personne, mais sélectionnent des personnes et remettent tout pouvoir aux biotechnologies pour décider quelle vie vaut, ou ne vaut pas, la peine d’être vécue.
La nature humaine a ses limites qui ont toujours dérangé, voire frustré l’homme qui, tenté de les voir comme des injustices, a toujours essayé de les transgresser, pour le pire. On ne s’émerveille plus assez de la condition humaine, mais puisque ce besoin subsiste malgré tout, l’homme va chercher à l’assouvir dans le surhumain, puis le transhumain, pour finir dans l’inhumain. Mais quelle folie que de mettre la vie sous conditions à cause de notre commune vulnérabilité alors que celle-ci est la condition même de la vie ! Oui, n’oublions pas trop vite qu’elle fait partie intégrante de notre condition humaine. On naît vulnérable et on est vulnérable. C’est ainsi que toute relation humaine commence, dans cette vulnérabilité, source de liens. C’est même l’un de nos rares points communs — reliant toute l’humanité en une communauté de destin — depuis le cordon qui nous amarre à notre mère jusqu’à l’ensemble des liens qui construisent le corps social et permettent la vie humaine sur terre.
Ce qui pourrait tout changer
On pourrait ainsi dire "bienheureuse" vulnérabilité, puisque seul ce qui est vivant est vulnérable. Ce qui d’ailleurs ne signifie pas être blessé, juste pouvoir l’être. Au fond, ce qui manque cruellement à l’homme moderne, c’est cette conscience de ce qui fait notre existence. De ce qu’est en profondeur un être humain. Corps, âme, esprit. S’accorder avec cette dimension clé de notre condition, la vulnérabilité, n’est pas facile, ce n’est jamais acquis, mais c’est absolument indispensable pour progresser, pour grandir en prudence, créativité, sagesse et fraternité. Quelques qualités qui font tant défaut aux politiques d’aujourd’hui. Fonder nos choix de société sur cette réalité de la vulnérabilité pourrait pourtant tout changer. Et faire réellement émerger de nouvelles forces.