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Les aidants, “aimants” bâtisseurs d’une culture de vie

COUPLE-AIDANTS-AFP

Aline, atteinte d'Alzheimer, et son mari, Pierre Paul, devenu aidant familial. Avril 2019.

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Blanche Streb - publié le 19/02/24
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Elles sont les grandes oubliées de la société, ces milliers de personnes qui donnent à voir, au milieu des souffrances, ce qu’il y a de plus beau et de plus humain en chacun : cette capacité à prendre soin. Blanche Streb rend hommage aux "aidants" qui se dévouent en silence à leurs proches atteints d’une longue maladie, handicapés ou en fin de vie.

Il y a quelques jours, au sein d’un colloque, je devais donner un petit enseignement dont l’intitulé qui lui avait été donné désignait l’époque que nous vivons comme celle d’une "culture de mort". Certes, que dire d’autre quand on regarde les sujets qui touchent à la vie, en particulier les lois qui existent ou qui rôdent ? Il faudrait être aveugle pour ne pas voir ces forts courants politiques, culturels, économiques porteurs d'une certaine conception utilitariste de la société qui fomentent une culture réellement contraire à la solidarité et à la vie. Oui, il y a un combat où s’affrontent cultures de vie et de mort, bien et mal. Pourtant, quelque chose en moi veut résister à cette seule évocation de culture de mort pour qualifier notre temps ; mon côté rebelle veut dire NON, ce n’est pas tout. 

"Choisis donc la vie"

Pourquoi ? Parce que clairement, tous les jours, partout, des milliers de personnes, dans un quotidien qu’ils n’ont pas forcément choisi, font vivre avec patience, amour et dévouement la justice et la grandeur d’une belle et bien réelle culture de vie. Et je pense en particulier à ces milliers d’aidants — d’aimants, devrait-on dire plus souvent — dévoués auprès d’un ou plusieurs de leurs proches. De nombreux visages me viennent à l’esprit en écrivant ces lignes. Ils sont pour moi plus que des témoins, ce sont des maîtres. Je suis sûre que pour vous, il en est de même. Peut-être même vous reconnaissez-vous, personnellement. Ces personnes bâtissent une cité, celle de la culture de vie, inébranlable. Elles donnent à voir, au milieu des difficultés, des sacrifices, des souffrances, ce qu’il y a de plus beau et de plus humain en chacun : cette capacité à prendre soin. C’est comme si elles actualisaient en permanence cette injonction claire et forte de Moïse qui s'adresse à nous aussi : "Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort et malheur... Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez" (Dt 30, 15. 19). En cela, ces héros du quotidien sont aussi des hérauts. Ce sont des témoins pour toute la société, qu’elles en aient conscience ou non.

Andréa et le "laboratoire du répit"

Je pense par exemple à l’aventure admirable des "bobos à la ferme". C’est l’histoire d’un jeune couple parisien, qui voit sa vie bouleversée après l’annonce que sa fille Andrea, âgée de seulement quelques mois, est porteuse d’une maladie dégénérative rare et grave. Les deux jeunes parents se retrouvent d’un seul coup confrontés aux immenses difficultés liées à la fonction d’aidant. Sept ans plus tard, ils ont créé des lieux de répit, des gîtes inclusifs pour le répit des familles, ils animent le "laboratoire du répit" et mené une enquête nationale auprès de 1.800 parents aidants d’enfants en situation de handicap. Leur exemple est édifiant : "Face à l’injustice à laquelle on ne peut rien, nous avons décidé d’agir. Ce sentiment nous a donné l’énergie de construire plutôt que de nous écrouler. Tout ça, c’est grâce à Andréa. C’est à elle que ce projet est dédié, elle en est son poumon." Faites-vous ce cadeau d’aller lire leur lettre Ma chérie, mon bijou, ma dadou : 

Tu as huit ans, ma Dadou, et il est très probable que tu n'en aies jamais neuf. Quand tu seras partie, je te promets de continuer ce combat que tu nous as transmis car, même s'il est trop tard pour nous, il est encore possible de le gagner demain avec les autres parents, frères et sœurs qui transforment la fatalité et la différence en une énergie créatrice de sens, de justice et de cohésion.

Les difficultés, la solitude, l’inquiétude, l’épuisement des aidants sont souvent immenses. Le répit est essentiel pour eux. C’est évidemment plus souvent facile à dire qu’à faire. C’est pour cela qu’aujourd’hui, il est possible de devenir "aidant des aidants", ce que propose depuis 2008 l’association Avec nos proches

"Pendant huit ans, j’ai veillé sur elle"

Dimanche dernier, 11 février 2024, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, un paroissien, Arnaud, nous a fait le cadeau d’un court témoignage. Lui qui a monté un groupe pour les aidants de personnes atteintes de maladie neuro-dégénérative, a posé sur le papier des mots si forts, si beaux, qui résument non sans poésie les drames, les doutes, les déchirements et les espoirs de nos vies. Ces quelques mots lus délicatement devant une assemblée traversée par un silence ému, il a accepté qu’ils trouvent ici un deuxième écho. Qu’il en soit remercié :

Dès les premiers jours de ma vie, elle a veillé sur moi. Elle m’a élevé avec tendresse, comme maman. On a ri, joué, chanté les trente années qui ont suivies. Je l’aime tant, ma mamie. Mais elle a commencé à perdre la mémoire. Nos rires et nos histoires autour de la grande table se sont fait plus rares. J’ai vu la souffrance de Papy, les nuits blanches de maman et bientôt le sentiment d’être coupable.

Coupable…
de placer Mamie dans une maison
de laisser Papy seul dans sa maison ?
Coupable d’abandon ou bien
Capable de prendre la bonne décision ? 

Papy nous a quittés quelques mois plus tard et Mamie n’a pas réagi à son départ, elle l’avait oublié. Pendant huit ans, j’ai veillé sur elle avec tendresse et écouté maman dans sa tristesse. Je ne sais pas si je les ai aidées. Je sais seulement que je les ai aimées. Éperdument. Je les aime tant. Maman et moi allions la voir dans sa nouvelle maison. Plus aucun regard, plus aucun sourire n’éclairaient son visage, mais je sais qu’elle aimait notre présence, nos heures absentes à ses côtés, à la regarder, à l’aimer en silence. 

J'aime à penser que dans son âme, nos états d’âme la berçaient.
Que nos mots soignaient ses maux si tant est qu’elle en ait ?
Je lui caressais la joue, passait la main dans ses cheveux,
À la quête d’un sourire ou d’une lueur dans ses yeux.

Quatre ans plus tard, je recevais le sacrement de confirmation. Comment, autrement, aurais-je eu la force de continuer. Comment aurais-je pu continuer à aimer ? Comment aurais-je pu aller au-delà de moi-même, prier et espérer ? Maintenant, Mamie est partie. Je sais qu’elle est heureuse. Elle a retrouvé Papy et sa mémoire. Et elle prie pour moi.

Je crois en l’esprit saint
À la communion des saints
À la vie éternelle.

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