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Cette île de Méditerranée évangélisée par saint Paul après un naufrage

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La statue de saint Paul sur l'îlot de son naufrage .

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Jean-Pierre Fava - Daniel Esparza - publié le 28/06/24
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Les Actes des Apôtres racontent comment saint Paul est arrivé à Malte après un naufrage en l’an 60 après J.-C.. Il y a séjourné trois mois pendant lesquels il a accompli des miracles et évangélisé la population. Ce qui fait de Malte une communauté chrétienne aussi ancienne que celles d’Éphèse, de Jérusalem, de Corinthe et de Rome.

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"De tous les cadeaux apportés sur ces côtes au cours de l'histoire de votre peuple, le cadeau apporté par Paul a été le plus grand de tous", soulignait le pape Benoît XVI lors de son voyage apostolique à Malte, en avril 2010. Et de fait, le Nouveau Testament et la tradition rapportent avec constance comment l’apôtre Paul s’est échoué sur les côtes de l’archipel maltais après un naufrage, en l’an 60 après J.-C., alors qu’il se rendait à Rome pour y être jugé. Il y a passé trois mois, pendant lesquels il a pris soin d’annoncer la Bonne Nouvelle et d’ancrer le christianisme à Malte. Ce qui ferait de Malte une communauté chrétienne aussi ancienne que celles d’Éphèse, de Jérusalem, de Corinthe et de Rome.

Cet épisode est raconté avec force de détails dans les Actes des Apôtres, aux chapitres 27 et 28 : ils relatent le naufrage de Paul dans l’archipel, sa rencontre avec Publius, le chef de l'île qui deviendra le premier évêque de Malte, ainsi que les nombreuses guérisons qu’il y a opérées (Ac 28,1-10) :

Une fois sauvés, nous avons découvert que l’île s’appelait Malte. Les indigènes nous ont traités avec une humanité peu ordinaire. Ils avaient allumé un grand feu, et ils nous ont tous pris avec eux, car la pluie s’était mise à tomber et il faisait froid. Or comme Paul avait ramassé une brassée de bois mort et l’avait jetée dans le feu, la chaleur a fait sortir une vipère qui s’est accrochée à sa main. À la vue de la bête suspendue à sa main, les indigènes se disaient entre eux : "Cet homme est sûrement un meurtrier : il est sorti sain et sauf de la mer, mais la justice divine ne permet pas qu’il reste en vie." Or Paul a secoué la bête pour la faire tomber dans le feu, et il n’en a éprouvé aucun mal, alors que les gens s’attendaient à le voir enfler ou tomber raide mort. Après avoir attendu un bon moment, et vu qu’il ne lui arrivait rien d’anormal, ils ont changé complètement d’avis : ils disaient que Paul était un dieu. Il y avait là une propriété appartenant à Publius, le premier magistrat de l’île ; il nous a accueillis et, pendant trois jours, nous a donné une hospitalité cordiale. Or son père était au lit, atteint de fièvre et de dysenterie. Paul est allé le voir, il a prié, lui a imposé les mains et lui a rendu la santé. À la suite de cet événement, tous les autres malades de l’île venaient à lui et ils étaient guéris. On nous a comblés d’honneurs et, lorsque nous avons pris la mer, on nous a fourni tout ce dont nous avions besoin.

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Le pape François dans la grotte de saint Paul (Rabat), lors de son séjour à Malte en 2022.

Pendant son séjour à Malte, saint Paul aurait résidé dans une grotte près de la ville de Rabat, au centre de l’île. C’est de là qu’il aurait prêché et répandu la parole de Dieu, transmettant ainsi la foi chrétienne aux habitants de l’archipel. Aujourd’hui, cette grotte est devenue l’un des lieux les plus visités des îles maltaises. De nombreuses personnalités s'y sont rendues en pèlerinage, comme Fabio Chigi, le futur pape Alexandre VII, les papes Jean Paul II, Benoît XVI et, plus récemment, le pape François.

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Relique du poignet droit de saint Paul conservée dans la collégiale de La Valette.

À Rabat, "la grotte de saint Paul" se trouve sous l'église éponyme. L’île abrite toutefois de nombreuses autres églises dédiées à l’apôtre, comme la collégiale de La Valette qui fait mémoire de son naufrage. La construction de cette église, l’un des plus beaux édifices de la ville, remonte aux années 1570. Elle conserve une relique du poignet droit de saint Paul et l’une des quatre colonnes de marbre de la table sur laquelle l’apôtre des Gentils a été décapité à Rome en 64 après J.-C. Elles furent offertes par le pape Pie VII en 1818 en reconnaissance des services rendus par le chapitre collégial lors de l'épidémie de peste de 1813.

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Retable principal de la collégiale de La Valette représentant le naufrage de saint Paul réalisé par Matteo d'Aleccio (1547-1616).

Le retable principal de l’église, représentant le naufrage de saint Paul, est l’œuvre de Matteo d'Aleccio (1547-1616), élève de l’école de Michel-Ange. La statue de saint Paul, prototype de toutes les autres statues de l’apôtre visibles à Malte, a été réalisée par le sculpteur maltais Melchiorre Gafa (1635-1667). L'église abrite également de nombreux objets d'art en or, en argent et en pierres précieuses, offerts pour la plupart par les grands maîtres de l’Ordre de Malte et par les évêques.

Aujourd’hui encore, Paul est fêté dans toute l’archipel. Le 28 juin, veille de la fête de saint Pierre et saint Paul, les habitants des îles de Malte et de Gozo célèbrent L-Imnarja, une fête des lumières, une véritable fête populaire. On y manifeste en famille sa joie et sa reconnaissance en allumant des feux de joie et des bougies. L’occasion est belle également pour déguster des spécialités locales et écouter de la musique traditionnelle. Et c’est à Rabat, ville d’élection de saint Paul selon la tradition, que la fête est la plus spectaculaire. En fin d'après-midi, après la messe, se déroule un défilé de chevaux, d'ânes et de mulets.

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L'archevêque de Malte, S.E. Mgr Charles J. Scicluna aux festivités de Mnarja 2023 à Buskett, Rabat.

2.000 ans de tradition chrétienne

Stanley Fiorini, professeur émérite à l’Université de Malte décrit cette longue présence chrétienne dans l’archipel, vieille de presque 2.000 ans.

Aleteia : Les Actes des Apôtres mentionnent le naufrage de Paul sur l’archipel et de nombreuses guérisons. Pourtant la plupart des chrétiens ignorent que Malte a été l'un des premiers berceaux de la foi, et l'une des premières colonies romaines à se convertir. Comment expliquez-vous que cette réalité soit méconnue ?
Stanley Fiorini : La taille modeste de l'île, 260 km2 et à peine 10.000 habitants à l’époque, n’a pas favorisé la notoriété de cet épisode. Et puis cet aspect de l'histoire de Malte a largement été éclipsé par la période du néolithique, bien plus visible encore aujourd’hui sur un plan archéologique avec ses nombreux vestiges souterrains et en surface. Notez d’ailleurs que ces richesses préhistoriques et archéologiques, datant de 5.500 ans avant notre ère, révèlent déjà une certaine religiosité, bien que non chrétienne, à Malte. Et puis, il faut relever que même dans les Actes des Apôtres, il n'est pas dit que Paul ait converti des Maltais, mais seulement qu'il a accompli de nombreux miracles de guérison. Cependant, imaginer Paul ne pas faire le moindre effort pour prêcher l'Évangile durant trois mois semble absurde. 

Il existe bien des preuves solides de l’évangélisation paulinienne, ne serait-ce que dans les Actes apocryphes de Pierre et Paul ou encore dans le poème grec Tristia ex Melitogaudo.

D’ailleurs aujourd'hui encore, certains universitaires ne reconnaissent pas l’exactitude de cet évènement pourtant clairement écrit noir sur blanc. Ceci nourrit leur tentative de réfuter certains faits historiques, comme la conversion de l'île au christianisme par Paul, ou la continuité du culte pendant la période arabe. J'appelle ces universitaires les "iconoclastes des derniers jours". Pourtant, il existe bien des preuves solides de l’évangélisation paulinienne, ne serait-ce que dans les Actes apocryphes de Pierre et Paul ou encore dans le poème grec Tristia ex Melitogaudo. Mais il faut bien admettre que le christianisme ne s'est pas rapidement propagé dans les îles maltaises. Des preuves montrent qu’au IIe siècle, les religions païennes étaient toujours très répandues. À Mdina, par exemple, on érigeait encore des statues d'Apollon. Comme ailleurs, la nouvelle religion n’a commencé à paraître au grand jour qu’après l'édit de Milan de Constantin en 313 après J.-C. Les catacombes chrétiennes, connues dès le IVe siècle, sont les preuves les plus anciennes et les plus évidentes d’une présence chrétienne dès les premiers siècles de notre ère.

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Les catacombes de saint Paul, Malte.

Et ensuite, comment la foi chrétienne se manifeste concrètement à Malte ?
Au VIIe siècle, Malte voit l’érection de plusieurs églises semi-troglodytiques, comme Sainte-Hélène de Bormla et la basilique byzantine de Tad-Dejr. D’autres églises rupestres, moins connues car propriétés privées, comme Saint-Georges à Fawwara, présentent également des caractéristiques romaines distinctives. Il existe encore bien d’autres preuves d’une présence chrétienne à Malte au premier millénaire. Je pense à la basilique byzantine et le baptistère de Tas-Silġ, construits au IVe siècle par exemple. Il y a aussi des traces de culte dans le site archéologique de San Pawl Milqi. Enfin la présence d'un évêque pour la communauté de fidèles maltais est attestée en 553. Sans compter l’existence de quatre lettres adressées aux évêques de Malte par le pape saint Grégoire le Grand (592-604 après J.-C.).

L'archipel semble néanmoins avoir été déserté pendant plus d'un siècle à partir du IXe siècle ? Les chrétiens ont-ils disparu de Malte à cette époque ?
Il est vrai que l’Église à Malte semble avoir subi de plein fouet l’assaut islamique de 869, à en juger par le fait que son évêque a été retrouvé en prison à Palerme huit ans plus tard, et que le Qasr Habashi de Sousse en Tunisie a été certainement été construit avec des pierres provenant des églises de Malte. Ceux qui soutiennent la thèse d’une rupture dans l’histoire du christianisme à Malte entre 869 et 1091 s'appuient principalement sur deux éléments. Le premier, c’est que cette période a longtemps été considérée comme archéologiquement stérile, ne révélant aucune présence ni musulmane, ni chrétienne. Le second, c’est la récente découverte par les historiens maltais d’un texte d'Al-Himyari du XIVe siècle, qui affirme qu'après 869, ces îles sont restées dépeuplées pendant 180 ans. Si ce document dit vrai, cela implique nécessairement une discontinuité ethnique et religieuse. Mais il faut comprendre qu’à Malte l'archéologie médiévale a trop longtemps été négligée, au profit d’une attention accrue pour les périodes paléolithique et néolithique. Cela explique en partie cette "stérilité" apparente : personne ne cherchait vraiment la preuve d’une présence chrétienne à Malte ; or ce n'est plus le cas aujourd’hui. Moi je crois que certaines églises ont, dans une certaine mesure, été épargnées et que des communautés chrétiennes sont restées sur place. Alors que tout le monde pensait que Malte avait été déserté au Xe siècle, Nathanael Cutajar et son équipe d’archéologues ont découvert des céramiques démontrant une occupation continue de l’archipel et une activité commerciale aux IXe siècle et Xe siècle. De plus, d'autres chercheurs ont analysé des données palynologiques à partir de carottes sédimentaires, révélant une production céréalière ininterrompue dans ces îles depuis le néolithique jusqu'à nos jours, sans aucune lacune. Des interprétations plus récentes de textes littéraires arabes confirment ce scénario.

Si cette thèse est encore très discutée, les historiens citent souvent l'Andalousie comme un exemple de cohabitation religieuse pacifique en Méditerranée. Pensez-vous que Malte puisse être considérée comme un autre exemple de coexistence cosmopolite relativement réussie en raison de cette présence chrétienne continue ?
L'animosité entre chrétiens et musulmans semble rejeter toute idée de cohabitation pacifique, aussi appelée “Convivencia”. Cette hostilité s'exprime également dans des incidents tels que le meurtre d'un Sarrasin par des chrétiens de Malte et de Gozo au XIIe siècle. Pour ce crime, ils ont été sanctionnés par le roi Roger et graciés seulement en 1198 par la fille du roi, la reine Constanza. Il est également pertinent de rappeler la signification de "Malti", le nom donné à un geôlier détesté d'Andalousie, décrit dans un poème d'Ibn Quzman Muhammad datant d'environ 1150. Il semble en effet qu'en Andalousie, des geôliers chrétiens aient été employés pour garder les prisonniers musulmans, car ils avaient tendance à moins sympathiser avec eux ; un geôlier maltais étant alors particulièrement précieux s'il parlait aussi l'arabe.

Est-il possible d'affirmer que certains des Berbères et des Arabes peuplant Malte aient été eux-mêmes chrétiens ? Avez-vous connaissance de preuves en ce sens ?
Pas à ma connaissance, si vous faites référence à la période avant 1200. Cependant, un recensement de 1241 dénombre une population de 10.000 habitants, dont 4.374 chrétiens et 5.626 musulmans. Les chrétiens représentaient 55% de la population de Gozo et seulement 40,8% de celle de Malte. En 1250, année de la mort de l'empereur du Saint-Empire germanique, Frédéric II, les musulmans avaient été anéantis et ceux qui restaient fidèles à leur foi étaient exilés à Lucera, dans les Pouilles italiennes. Des individus maltais ont été identifiés parmi les exilés de cette colonie musulmane en 1300. Et ceux qui sont restés se sont convertis. Voilà comment expliquer, de façon plausible, la continuité de la langue arabe à Malte, contrairement à la Sicile, et la profusion de toponymes arabo-berbères.

Ces convertis, qui avaient tout à perdre à rester musulmans, semblent être les ancêtres de l’actuel peuple maltais, où les citoyens portent des centaines de noms de famille arabo-berbères, comme Bugeia, Busuttil, Buhagiar, Sammut, Zammit, Borg, Abdilla, et bien d'autres. Une attention particulière doit être accordée au prénom “Mohammed”, qui, au milieu du XVe siècle, s'était déjà métamorphosé en “Mamo”. D'autres changements de noms de famille ont été effectués lorsque s’appeler Dejf, Bsajla, Rqiq et d'autres sur l’île est devenu dangereux. Anthony Luttrell fait remarquer avec perspicacité que la prolifération des chapelles rurales - une pour environ 25 personnes - ne peut être expliquée que par le désir des propriétaires de démontrer leur appartenance chrétienne sur leurs terres.

En partenariat avec VisitMalta

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