La foule immense des paroissiens qui somnolent — quand ils ne s’endorment pas carrément — pendant la vigile pascale ne doit pas s’alarmer mais bien se réjouir. Le sommeil aussi a été transformé par la Résurrection : le repos du disciple pendant la messe n’est plus celui de jardin des Oliviers. Quand Jésus, réclamant pour la seule fois de sa vie un soulagement de la part des hommes, soulagement qu’il n’a pas reçu parce que ses disciples préféraient dormir plutôt que de veiller avec lui, a ressenti la tristesse jusqu’à en mourir, il a opéré notre salut sans nous. Comme le note Blaise Pascal, "Jésus a prié les hommes et n’en a pas été exaucé". Notre sommeil au seuil de la Passion est un scandale. La solitude du Christ est le fruit d’un sommeil coupable, autre nom de notre indifférence.
Cette puissance irrépressible
Mais après la Résurrection, notre sommeil a cessé d’être une complicité avec le mal. La première messe dominicale mentionnée dans l’Histoire, celle qui fut célébrée à Troas — "Le premier jour de la semaine nous étions réunis pour rompre le pain" (Ac 20, 7) — contient une anecdote amusante. Saint Paul en personne, nous dit-on, prononce l’homélie. Comme la plupart des prédicateurs, il est trop long. Tout saint Paul qu’il est, son propos est à ce point captivant que le jeune Eutyque décroche. Il se laisse gagner par un profond sommeil. Le garçon était assis sur le bord de la fenêtre, il tombe de trois étages. "On le releva mort", dit le texte. Même saint Paul, le plus percutant des évangélisateurs, ne pouvait rien contre cette puissance irrépressible qu’est notre besoin de dormir. Les amoureux le savent, il existe une force plus grande que l’amour le plus passionné : le sommeil.
Cependant Paul ne s’alarme pas. Il met de côté son amour-propre de conférencier. Il déclare : "Ne vous agitez pas ainsi : le souffle de vie est en lui !" (v. 10). On ramena le jeune garçon vivant et ce ne fut pas une petite consolation. Autrement dit, l’événement marquant de la première messe de l’histoire est la résurrection d’un paroissien qui s’était endormi pendant le sermon.
En ressuscitant, le Christ a sanctifié nos somnolences dominicales.
En ressuscitant, le Christ a sanctifié nos somnolences dominicales. Il a fait du sommeil — qui était une participation au mal — l’antichambre de la résurrection. Blaise Pascal, encore lui, avec ce solide bon sens auquel conduisait son génie, fait observer que tous ceux qui doutent de la Résurrection ne sont point éblouis par l’idée qu’un homme naisse. "Quel est plus difficile : de naître ou de ressusciter ? Que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ?" Et le savant ajoute que c’est l’habitude seule qui nous porte à douter. Depuis Pâques, la résurrection est devenue la chose la plus naturelle du monde. Comme la naissance. Et même le sommeil y conduit.