Au commencement, il y a une femme mondaine qui pavane dans les salons parisiens du Grand Siècle où elle fait merveille tant elle a d’esprit, de culture et d’à-propos. Et avec ça toujours riante ! Le sort, pourtant, ne l’a pas ménagée : orpheline à 7 ans, publiquement humiliée par un mari volage -le fringant marquis de Sévigné-, puis veuve avec deux enfants à charge à 25 ans à peine, Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696), femme énergique et indépendante, prend la vie du bon côté, se satisfaisant d’une existence frivole.
Si l’on devait résumer à grands traits cette existence ? Réunions mondaines entre gens du monde (elle compte parmi ses proches madame de Lafayette, madame de Scudéry et François de la Rochefoucauld), gestion des terres bretonnes héritées de son mari (un manoir en Ille-et-Vilaine), nombreuses lectures (elle parle quatre langues et sa culture est vaste) et pratiques de dévotion propres à son temps. Convaincue à l’instar de la majorité de ses contemporains de l’existence de Dieu, la marquise n’a cependant pas hérité de la ferveur religieuse de sa grand-mère paternelle, sainte Jeanne de Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation.
Bien sûr, elle assiste à la messe, fait maigre durant le carême, est assidue aux sermons et oraisons funèbres des grands prédicateurs tels le jésuite Bourdaloue, mais jusqu’au mitan de sa vie, sa foi semble n’être que de surface.
Des lettres pour conjurer l’absence
Deuxième acte : madame de Sévigné ne se reconnaît plus. Sa joie de vivre s’altère, son humeur change et il lui faut le secours du ciel pour ne pas dépérir. Quelle nouvelle épreuve a eu raison de sa piquante légèreté ? La séparation d’avec sa fille bien-aimée, Françoise-Marguerite, qu’elle a mariée en 1669 au comte François de Grignan, lieutenant général de Provence, pour lui assurer une situation tout en la gardant sous son aile.
Comment la chair de sa chair s’éprendrait-elle d’un homme de 14 ans de plus qu’elle, honnête mais laid et déjà deux fois veuf ? Elle lui préfèrera certainement, pense-t-elle, la compagnie de sa piquante mère ! Car cette dernière, privée trop tôt de l’affection de ses parents puis de son mari -et peu portée sur la galanterie-, a déversé sur sa progéniture tout l’amour dont son cœur recèle. Mais cet amour, tendre pour le cadet (Charles), a dégénéré pour l’aînée en affection dévorante et intrusive. Aussi quand la toute nouvelle comtesse de Grignan décide, après deux ans de mariage, de suivre son mari sur ses terres, laissant sa mère dans son hôtel à Paris, c’est pour la marquise un coup de poignard. Comment vivre sans cette fille tant aimée ?
Un recentrage progressif sur l’essentiel
Mais à toute chose malheur est bon. D’abord parce que c’est à cette séparation que l’on doit la prolixe et savoureuse correspondance de madame de Sévigné : sa fille en est la principale destinataire (plus de 700 lettres). Ensuite parce que cet évènement va affermir la foi de Marie et la conduire peu à peu à s’affranchir des vanités du monde. C’est ce que taisent ce film et la plupart des commentateurs de l’œuvre de madame de Sévigné. Il faut se reporter à l’excellent opuscule de son biographe attitré Roger Duchêne, Les écrivains devant Dieu, Mme de Sévigné (Ed. De Brouwer, 1968) pour mesurer le chemin parcouru par cette mère dévastée.
Car si ces lettres -non destinées à être publiées- sont un témoignage exceptionnel sur la cour du Roi-Soleil et fourmillent d’informations précieuses et d’anecdotes truculentes relatées dans un style alerte, elles sont aussi une confession poignante de la lutte intérieure menée par une femme en souffrance. Une fois tombé le masque de la commère aux bons mots apparaît le visage touchant d’une chrétienne parfaitement lucide sur ses défauts, comme son impatience, son besoin de briller, et son attachement excessif pour sa fille, que l’affliction rapproche de Dieu.
L’offrande ultime
Pour remédier à la tiédeur de son amour pour Lui et cesser de renâcler contre Sa volonté, madame de Sévigné intensifie sa prière et sa lecture d’ouvrages pieux, notamment jansénistes, s’efforce d’offrir ses souffrances et implore le ciel de l’aider à mesurer sa passion pour sa fille. Elle sait que seul Dieu – Jésus-Christ est peu évoqué - mérite un amour absolu, et que son adoration pour sa fille relève de l’idolâtrie.
Les chrétiens de tous temps qui s’efforcent de lutter contre leurs propres idoles, qu’il s’agisse de l’argent, du sexe, du travail, de la recherche de vaine gloire, etc. trouveront là un témoignage inspirant de combat spirituel. Combat dans lequel Marie marque des points décisifs puisqu’elle rend son dernier soupir dans le château de sa fille à Grignan (Drôme) en se privant volontairement de sa présence à ses côtés, pour se réserver tout entière au Seigneur.