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“Tout passe, même le plus douloureux”, le témoignage poignant d’Isaure sur la dépression post-partum

ISAURE-ARMANET

Caroline Sans

Isaure Armanet

Marie Lucas - publié le 24/02/24

Isaure Armanet est mère de trois jeunes enfants. Elle vient de publier "Interdit de pleurer", un livre dans lequel elle raconte sa descente aux enfers après la naissance de ses deux premiers enfants, brisant le tabou de la dépression post-partum. Un récit particulièrement fort et émouvant.

La jeune mère que je rencontre par écran interposé a tout d’une maman ordinaire. Rien ne peut laisser deviner qu’elle revient de l’enfer. Beaux yeux bleus, visage fin et délicat d’une épouse d’officier de marine, intérieur soigné… Isaure, qui se définit comme altruiste et perfectionniste, prévient :  « Sur le papier, dans ma vie, tout semblait normal, et je dirais que rien ne me prédestinait à vivre la tempête, la tornade, l’ouragan, voire même le tsunami que j’ai vécu. » 

Comme tout à chacun, Isaure vit une enfance partagée entre grandes joies et lourdes peines. Jeune femme, elle ressent le besoin de faire un travail psychologique qui lui permet de gagner en sécurité, sérénité et estime de soi. Et puis c’est la rencontre bénie avec son mari. Avec lui, les planètes s’alignent. Il est l’homme de sa vie, il sera le père de ses enfants. Demain, il fera beau… Le conte de fées commence en Martinique. Pour Isaure, qui a ses attaches en région parisienne, il faut s’adapter à cette vie loin des siens, mais l’île a de nombreux atouts, et la jeune femme tombe sous le charme des Antilles… Quelque temps plus tard, elle apprend qu’elle est enceinte et s’en réjouit. Après une grossesse tranquille, Eléanore naît le jour où l’ouragan Maria passe sur l’île, peu de temps après le passage d’Irma… Serait-ce un présage ?  

Dans la salle d’accouchement, Isaure rencontre son bébé avec bonheur, même si très vite la connexion avec sa petite princesse disparaît. Larmes, difficulté à dormir, allaitement éprouvant, les débuts de la maternité sont bien loin de l’idéal fantasmé. « Cela va passer… » pense-t-elle. Sauf que cela ne passe pas et force est de constater que quelque chose ne tourne pas rond. De retour à la maison, entre les sautes d’humeur, la fatigue extrême et les crises d’angoisse, Isaure est tout sauf une jeune maman comblée.

J’avais peur qu’il me prenne pour une folle!

De son côté, Tanguy découvre les joies de la paternité, jonglant entre sa vie de jeune père et sa carrière professionnelle. « Tanguy vient d’une famille bien ancrée, très équilibrée, normale si je puis dire, et qui ne comprend pas grand chose à ce qui se passe » explique Isaure qui raconte avoir caché à son mari ce qu’elle vivait. Aussi, celui-ci pense que ça ira mieux demain… En réalité, la jeune femme a peur. « J’avais peur qu’il me prenne pour une folle – j’avais suivi une thérapie dans ma jeunesse mais je ne lui en avais pas parlé – , peur qu’il regrette son mariage avec moi et surtout, j’avais peur qu’il me quitte ». 

Son mari parti en mission, l’état de la jeune maman – qui est retournée en métropole – empire, le départ de Tanguy ayant provoqué un effondrement de ses humeurs.  Isaure essaie bien de faire face à cette nouvelle maternité si désarmante, mais sans succès. Au lieu d’un bonheur simple et intense, elle vit un véritable cauchemar : nuits sans sommeil, phobies d’impulsion, pensées mortifères… Son entourage, inquiet, finit par lui prendre un rendez-vous aux urgences de l’hôpital Bégin. Et là, le verdict tombe : « Vous allez rester chez nous, votre état est trop grave. » 

Hospitalisation

Séparée de son bébé, la jeune mère est hospitalisée sur le champ. Elle entre alors dans la période la plus sombre de sa vie et dans un tunnel d’une noirceur indescriptible. Le diagnostic de dépression post-partum finit par être posé, et la proposition d’entrer à « La Pomme », Unité d’Hospitalisation Mère-Bébé, lui est signifiée. Isaure accepte. Cette prise en charge médicale est déterminante pour la jeune maman qui décide de faire confiance à la médecine et aux progrès de la science. « Les psychiatres savent comment les émotions jouent sur le cerveau. Pour un mal de tête, je prends bien du Doliprane, alors en cas de trouble psychique, pourquoi ne pas prendre un médicament ? » Isaure croit aussi profondément à la puissance de la parole qui guérit et consulte à nouveau une psychologue. 

Traverser une dépression post-partum, c’est passer au travers d’une tempête, d’un ouragan, d’un cyclone, d’un tsunami dont on croit qu’on ne sortira jamais « alors qu’il y a bien un début et une fin » lance avec force Isaure. C’est aussi être confrontée à l’absence de tout désir, à des angoisses nocturnes terribles, des phobies d’impulsion, des anticipations négatives et à une perte d’estime de soi : « Je suis nulle, je ne vais pas y arriver, c’est trop dur. » Et puis, la dépression désincarne : « Le corps est en forme, le cœur et les muscles fonctionnent, mais c’est l’esprit qui ne va pas bien » ajoute la jeune maman avec lucidité. Alors, il s’agit de reprendre corps. Les médecins l’encouragent à sortir pour vivre des moments-plaisir : se faire les ongles, savourer un café en terrasse… et à chaque fois, elle en revient revigorée. 

Une épreuve de couple

Et Tanguy ? Durant cette période, les jeunes parents se sont totalement déconnectés l’un de l’autre, d’autant plus qu’Isaure continue à se taire sur ce qu’elle traverse, honteuse de son état. « J’avais tout pour être heureuse, je n’avais pas le droit de faire une dépression » explique-t-elle.  Elle ne se doute pas qu’à l’autre bout du monde, le jeune père est fou d’inquiétude : un ami médecin vient de lui révéler la gravité de la situation de sa femme. « Il a trouvé ça dur » se souvient Isaure sobrement. 

Novembre. Tanguy rentre en métropole. Les retrouvailles sont d’une intensité bouleversante. « Il est devant moi, immuable et fort. Rien ne change dans son comportement. Il me prend dans ses bras. J’ai soudain la certitude qu’il restera à mes côtés quoi qu’il arrive » écrit Isaure dans son livre dont la dédicace est éloquente : « À Tanguy, l’époux inaltérable-solide-inébranlable-insubmersible, de m’avoir soutenue et aimée pendant tous ces jours.» Dès cet instant, elle décide qu’elle ne lui cachera plus rien de ses angoisses ou de son état psychologique. Il est son appui, une ressource précieuse dont elle va découvrir les bienfaits. Le jeune père retrouve également avec bonheur sa petite fille, et retourne en Martinique quelques semaines plus tard.

La peur d’être seule avec son enfant disparaît.

De son côté, après deux mois d’hospitalisation mère-bébé, Isaure commence à aller mieux, et il est temps pour elle de quitter le cocon douillet de « La Pomme », de dire au-revoir à ses amies tourmentées et lumineuses, et de retourner dans la vraie vie. Convalescente, Isaure s’envole avec Eléanore vers son île, son mari, et savoure enfin les joies d’une vie de famille « normale ». Est-elle guérie ? Difficile à dire. « Jamais on ne vous parle de guérison, mais les rendez-vous s’espacent, le dosage des anti-dépresseurs diminue, le sommeil et l’appétit reviennent, vous pouvez à nouveau faire face à votre quotidien et surtout, surtout la peur d’être seule avec son enfant disparaît » explique-t-elle. Et le désir renaît…

Deuxième naissance, deuxième dépression

C’est ainsi que, tout doucement, l’envie d’accueillir un nouveau bébé naît dans le cœur des jeunes parents, et Pio voit le jour un matin de janvier. Alors qu’Isaure semble, au départ, cocher toutes les cases de la bonne mère, la machine s’enraye à nouveau. L’insomnie s’invite, assortie de crises de panique, d’angoisses et de pensées morbides. La jeune mère souligne le caractère mystérieux de cette réalité psychique et se demande comment elle a été sauvée. « Un bon ange gardien, une prière lancée dans la nuit, une âme céleste attentive ? » En fait, elle fait partie de ces mères à l’histoire personnelle chaotique dont le corps ne supporte pas la baisse brutale d’hormones après l’accouchement – comme d’ailleurs la reine Victoria. Mais elle ne le sait pas encore, et pour l’instant l’œil du cyclone est à nouveau sur elle. 

« Cette deuxième dépression post-partum est très dure, j’ai l’impression d’être un cas », avoue la jeune maman. Mais cette fois, avec Tanguy, ils forment une équipe qui va gagner. Alors, après avoir pesé le pour et le contre, et à sa demande, Isaure décide de retourner à « La Pomme ». Elle fait un gros bisou à sa petite Eléanore – qui sera gardée par la famille – et, accompagnée de son nouveau-né, franchit une nouvelle fois les portes de l’Unité d’Hospitalisation Mère-Bébé : « Je me demande ce que je fais là, et puis, d’un seul coup, je me souviens que je fais partie de la famille des tourmentés.» Ce sera donc une dépression post-partum 2. 

Une expérience spirituelle forte

Dans ces traversées périlleuses, la foi est un grand secours pour Isaure qui ne cache pas croire en Dieu. Elle témoigne de son cri lancé vers le ciel, de sa prière des psaumes « si puissante », du sacrement des malades reçu à deux reprises, de ce prêtre qui l’a rassurée durant une confession : « Non, vous n’êtes pas responsable de vos pensées suicidaires ». Elle ajoute : « Lors de ma deuxième dépression, j’ai fait une expérience spirituelle forte. D’un point de vue humain, tous ont tout fait pour m’entourer, me consoler. Mais le seul qui m’ait vraiment rejoint dans mes angoisses, c’est Jésus. Jamais je ne me suis sentie abandonnée, je savais qu’Il était là. » Enfin, elle évoque la prière en couple – notamment une neuvaine pour sa guérison faite à l’aide d’une prière de saint Padre Pio. « Et nous avons été dans les Pouilles faire un pèlerinage car c’est grâce à lui que je m’en suis sortie, j’en suis convaincue ! » Car le cyclone 2 est passé, et la tempête s’est apaisée… 

Deux enfants, deux dépressions et deux hospitalisations plus tard, Isaure a repris une vie de mère au foyer ordinaire, ou plutôt extraordinaire ! Vivante, heureuse, elle réinvestit son quotidien de jeune maman avec bonheur et, du haut de ses 35 ans, affirme avec sagesse : « Je préfère 100 fois l’Isaure d’aujourd’hui à celle d’hier ! » Ayant reconnu, nommé, accueilli, apprivoisé, sa fragilité, la jeune femme se sent maintenant plus forte. « Je suis en train de réaliser que la fragilité, ça peut être beau, sourit-elle. Et je continue, aujourd’hui encore, à voir une psychologue. C’est parfois éprouvant, mais c’est ma sécurité, et mon équilibre en dépend. »  Elle se connaît mieux, sait que la période du post-partum est à haut risque pour elle. 

J’ai appris à accepter le regard de mon mari sur mes failles, mes blessures.

Et puis, elle aime pointer les bienfaits de cette épreuve qui a permis à leur couple d’aller vers plus d’authenticité, de vérité et de transparence : « J’ai appris à accepter le regard de mon mari sur mes failles, mes blessures. » Isaure se tait quelques instants puis reprend : « Et puis,  je me dis que si Tanguy ne m’avait pas connue, il n’aurait pas eu accès à cette fragilité, et qu’il aurait peut-être été plus dur, moins compréhensif avec les autres… » 

Au cœur de cette extrême souffrance, la jeune mère a surtout expérimenté que la lumière finit toujours par transpercer les ténèbres. Oui, la vie est la plus forte et tout peut guérir, même l’inavouable. La preuve ? Après un long discernement, un conseil médical et la mise en place d’une organisation de choc, un petit Joseph est venu agrandir la fratrie. Et la traversée du post-partum s’est bien passée : ni tempête ni tsunami sur le paquebot familial, mais une météo printanière au beau fixe. « Alléluia ! Tout passe, même le plus douloureux. » 

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DépressionMaternité
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