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Aimer la Vérité

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Domaine public

Johannes Vermeer, La femme à la balance, 1662/1665

Jean-François Thomas, sj - publié le 14/01/24

Que reste-t-il du désir de la Vérité qui animait les rois mages ? Notre monde croule aujourd’hui sous des concepts sans aucun lien avec la réalité, alors qu’ils devraient être les fils des noces de l’intelligence et du réel.

Chaque mois de janvier est illuminé par cette fête de l’Épiphanie qui ne se limite pas à une seule journée, car la quête de ces rois mages trouvait son origine dans la recherche incessante de la Vérité. Tout homme digne de ce nom, fidèle à sa nature, est mû par cette faim, par cette soif. L’humanité n’a cessé de se battre pour conquérir des territoires, pour asseoir des pouvoirs, mais aussi pour faire triompher ce qu’elle considère ou considérait comme la Vérité. Bien des crimes sont commis en son nom, alors qu’elle devrait être au contraire ce qui unit. En fait, le choix semble relativement simple : la Vérité ou le néant, mais, ceci dit, le problème commence, comme pour Ponce Pilate, lorsque la question se pose de savoir ce qu’est cette Vérité tant convoitée. Le philosophe Leonardo Castellani dit avec fougue : “La Vérité est éternelle, et Elle prévaudra, que je la fasse prévaloir moi-même ou non” (La Vérité ou le néant). Le Christ n’a pas annoncé qu’Il était la Morale ou la Politique, mais la Vérité. Cela devrait suffire à convaincre, et pourtant, comme nous ne sommes pas habités par un zèle identique à celui de Gaspard, Melchior ou Balthasar, nous continuons à errer, en nous trompant de direction. 

De l’erreur naissent tous les péchés

Le respect de la Vérité devrait être la priorité de tous les programmes gouvernementaux car lui tourner le dos en la remplaçant par des produits frelatés nous conduit à la bêtise qui est, comme le rappelle saint Thomas d’Aquin, un péché mortel. S’il existe un crime contre l’humanité, c’est bien la persécution de la Vérité. Notre société occidentale, pourtant berceau dès l’Antiquité d’un enthousiasme pour la Vérité, n’hésite plus, depuis au moins deux siècles, à haïr la Vérité et à poursuivre ceux qui l’aiment.

Nous sommes devenus étrangers à la Réalité et donc à la Vérité, d’autant plus depuis que nous nous enfonçons dans le virtuel et l’artificiel. La communion avec la réalité permet de toucher, au moins d’effleurer, la Vérité.

Les Anciens nous avaient appris l’humilité en définissant simplement la Vérité comme l’équation entre l’intellect et la chose, donc comme une relation. Et ils savaient que la Vérité n’est rien d’autre que la Réalité : ce qui est vrai, est. Cet être des choses est de nos jours complètement ignoré. Nous sommes devenus étrangers à la Réalité et donc à la Vérité, d’autant plus depuis que nous nous enfonçons dans le virtuel et l’artificiel. La communion avec la réalité permet de toucher, au moins d’effleurer, la Vérité. Voilà pourquoi saint Augustin n’hésite pas à affirmer que le pire mal n’est pas le péché, mais l’erreur. Socrate disait déjà que tout péché est une erreur. De l’erreur naissent tous les péchés. De l’atteinte à la Vérité, naît notre divorce d’avec la Réalité. 

Les trois plans de vérité

Depuis Descartes, l’homme a osé relier la vérité logique, celle de son Moi existant, à la Vérité transcendantale qui est Dieu. Il ne respecte plus les trois plans de vérité : vérité morale, donc la vérité des paroles lorsque nous disons ce que nous pensons ; vérité logique, lorsque nous pensons bien et que nous nous soumettons aux choses ; et vérité des choses, la réalité intelligible, qui est transcendantale. Cette confusion entre les différents stades de vérité est catastrophique car seules les opinions variables surnagent et prennent la place de toute juste confrontation pour s’approcher de plus en plus de la Vérité.

L’homme n’est sauvé que par la Vérité. Son souci premier devrait donc être — quelles que soient les circonstances extérieures — de s’approcher de cette Vérité, tel saint Augustin vivant en plein cœur de l’écroulement de l’Empire romain mais poursuivant tranquillement ses disputes philosophiques et théologiques. Cela rejoint ce qui est rapporté d’Aristote par Diogène Laerce alors que ses disciples le questionnaient ainsi : “Comment les sages se distinguent-ils des ignorants ?” Sa réponse fut claire : “Comme les vivants se distinguent des morts, car la Vérité est la Vie.” La Vérité ne s’habille pas convenablement et elle échappe souvent à celui qui désire se l’approprier sans rien en partager. Il ne faut rien omettre de la Vérité découverte, révélée, ne rien en changer selon les modes du temps et les pressions idéologiques, ceci sous peine d’être rejeté au dernier jour. Leonardo Castellani, s’interrogeant sur la possible trahison de la Vérité par les hommes d’Église, écrivait : 

“La chaire de Moïse continue d’être la chaire de Moïse. Il faut faire ce que disent ceux qui y sont assis et renoncer à faire ce qu’ils font. Et dire aussi quantité de choses qu’ils taisent — choses qui doivent être dites à tout prix, quand bien même elles les feraient bondir comme des vipères, car c’est “rendre témoignage de la vérité”” (Le Verbe dans le sang).

Regarder devant ses yeux

L’avertissement donné par le Christ est plus que jamais valable car il faut parfois prendre des pincettes pour séparer le vrai du faux au sein de tant de déclarations et de prises de position multiples. La lutte entre esprit vrai et esprit faux redouble de violence. Le moraliste Joseph Joubert a cette maxime à propos des dérives de la pensée : “Les esprits faux sont ceux qui n’ont pas le sentiment du vrai, et qui en ont les définitions ; qui regardent dans leur cerveau, au lieu de regarder devant leurs yeux ; qui consultent, dans leurs délibérations, les idées qu’ils ont des choses, non les choses elles-mêmes” (Pensées, Essais, Maximes et correspondance, I). Notre monde croule sous ces concepts sans aucun lien dorénavant avec la réalité, alors qu’ils devraient être les fils des noces de l’intelligence et du réel, comme le rappelle le philosophe belge Marcel De Corte : 

“Il suffit que l’intelligence détourne son regard des êtres et des choses que le concept signifie, pour le fixer exclusivement sur le concept lui-même, sur le fruit de ses entrailles, c’est-à-dire sur elle-même et sur sa propre subjectivité créatrice. Le courant d’alimentation qui va de la réalité conçue au concept se trouve alors rompu et, en même temps, celui qui fait retour de l’expression à la réalité exprimée. L’expérience vitale du réel ne nourrit plus le concept. La connaissance dégénère en construction d’échafaudages et en architecture de formules. Des schèmes abstraits remplacent l’énergie et la vigueur de la conjugaison organique de l’intelligence et de la réalité” (L’Intelligence en péril de mort).

Aimer la Vérité

Les rois mages nous indiquent que le premier des trois genres d’activité de l’intelligence humaine est la contemplation qui précède l’agir de la vie morale et le faire de toutes les productions. Ignorer cette composante est se condamner à tourner le dos à la Vérité, à demeurer dans les ténèbres où ne brille plus l’Étoile. Nous sommes persuadés que le monde est le résultat de nos propres forces, de l’objectivation de notre subjectivité, de notre intelligence que plus rien ne lie et ne limite. Nous sommes aussi prétentieux que le statuaire de la fable de Jean de La Fontaine qui, devant le marbre, se demande s’il sera “dieu, table ou cuvette”, fable dont la morale précise : “Chacun tourne en réalités, / Autant qu’il peut, ses propres songes : / L’homme est de glace aux vérités ; / Il est de feu pour les mensonges” (Le Statuaire et la Statue de Jupiter). Nous n’en faisons qu’à notre guise et nous épousons l’arbitraire au lieu de nous prosterner comme les trois rois. Décidons au moins, en ce début d’année, d’aimer la Vérité plus que nos élucubrations.

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PéchésphilosophieSaint AugustinThomas d'Aquinverite
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