Un avant-projet de loi "relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie" a été dévoilé en décembre dernier. Tant sur la forme que sur le fond, que penser de ce document fortement attendu par certains et fortement contesté par d’autres ? Avant qu’Emmanuel Macron ne laisse entendre le 8 janvier que ce texte serait finalement scindé en deux projets de loi distincts, celui-ci visait trois objectifs à la fois : mieux respecter les personnes en fin de vie (personne de confiance, directives anticipées, droit de visite…) ; inclure les soins palliatifs dans une vision plus large de soins d’accompagnement et dans une stratégie décennale ; créer un dispositif légal de suicide assisté et d’exception d’euthanasie, sous le terme d’aide à mourir.
Des mesures profondément contradictoires
La ministre en charge du dossier, Mme Agnès Firmin Le Bodo, tenait beaucoup à faire voter dans une même loi ce produit "trois en un", alors qu’il s’agit de mesures profondément contradictoires entre elles. Le président de la République pourrait-il prendre conscience que cette volonté de "tordre le bras" aux soignants et aux parlementaires était contre-productive et donc politiquement dangereuse ? Rappelons qu’en Belgique, modèle cher au président, ce sont trois lois distinctes (une sur chaque sujet) qui ont été votées en 2002. Inscrire l’aide à mourir dans le Code de la santé publique vise aussi à en faire un soin comme un autre. Selon ses partisans, ce serait un "ultime soin palliatif", alors qu’elle en est l’exact opposé en termes d’éthique médicale millénaire : constituant une exception à l’interdit du meurtre, ce dispositif serait plus logiquement à inscrire dans le Code pénal, comme c’est le cas en Suisse, aux Pays-Bas ou au Canada.
S’il était logique et cohérent, Emmanuel Macron devrait décaler de plusieurs années la date d’application du volet "aide à mourir", pour laisser au plan décennal de soins palliatifs le temps de porter ses fruits.
Il y a par ailleurs une attitude assez "Tartuffe" à parler d’aide à mourir et ne surtout pas utiliser les termes de suicide assisté et d’euthanasie. Emmanuel Macron n’aime pas ces mots, masquons donc la réalité pour lui faire plaisir ! La ministre a créé un groupe de travail piloté par l’académicien Erik Orsenna afin de trouver d’autres termes plus neutres, sans succès apparent. En revanche, quel cynisme d’inventer le terme choquant de secourisme à l’envers, pour expliquer qu’un soignant devra rester à proximité pour "finir le travail" en cas d’incident avec le produit létal !
Coups d’accélérateur et coups de frein
Enfin, sur le calendrier de présentation du texte, on assiste depuis l’automne 2022 à des coups d’accélérateur et des coups de frein. Le président de la République a semble-t-il perçu également le risque politique majeur de chercher à légaliser le suicide assisté et l’euthanasie avant de mettre en œuvre un plan ambitieux concernant les soins palliatifs. Mais là aussi, personne n’est dupe. Ce décalage de quelques mois, selon ses dernières annonces, ne change pas les enjeux et les défis éthiques. La priorité absolue, tout le monde en convient, consiste à garantir un réel accès aux soins palliatifs pour tous ceux qui en ont besoin, soit environ 60% des personnes en fin de vie. Or seulement la moitié des besoins sont couverts aujourd’hui. S’il était logique et cohérent avec cette priorité, Emmanuel Macron devrait décaler de plusieurs années la date d’application du volet "aide à mourir", pour laisser au plan décennal de soins palliatifs le temps de porter ses fruits.
Des silences inacceptables
Cette partie "aide à mourir" du projet gouvernemental révèle des choix idéologiques inquiétants et dangereux. Elle contient d’un côté des silences, des flous ou des ambiguïtés sur des aspects essentiels du dispositif, et de l’autre un luxe de détails procéduriers, source de multiples conflits juridiques potentiels. Le premier silence inacceptable concerne le choix entre le suicide assisté, présenté comme la règle, et l’euthanasie, présentée comme l’exception si la personne ne peut s’administrer elle-même la substance létale. Mais qui fait ce choix : le malade ou le médecin ? À quel moment ? Et quid en cas de désaccord ? Dans les pays étrangers où les deux modalités co-existent (Belgique, Pays-Bas, Canada…), l’immense majorité des personnes exigent une euthanasie effectuée par un soignant, même si elles peuvent faire le geste elles-mêmes. Le risque que l’exception devienne progressivement la règle reste donc immense.
Une autre ambiguïté majeure concerne le critère du "pronostic vital engagé à court ou moyen terme". Tous les médecins savent bien qu’il est impossible de déterminer à l’avance si la personne en a encore pour six mois ou un an à vivre. Donc la porte restera ouverte à bien des abus, et on glissera très vite vers l’abandon de cette limite, comme au Canada où le critère de "mort naturelle raisonnablement prévisible" voté en 2016 a été supprimé dès 2021.
De grands flous
La condition vague d’une "souffrance physique réfractaire ou insupportable" reste également pleine d’ambiguïtés. D’une part, le caractère insupportable d’une souffrance dépend d’un ressenti très subjectif du patient, et comme on le constate à l’étranger, il est impossible au médecin de contester ce ressenti. D’autre part, si on laisse l’alternative entre une douleur soit réfractaire, soit insupportable, on aura voté la loi la plus laxiste du monde ! La condition ne peut qu’être cumulative, comme par exemple en Belgique où la loi exige une « souffrance [...] constante et insupportable qui ne peut être apaisée », ou au Canada où la loi demande des "souffrances [...] persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées".
Le plus grand flou entoure aussi la commission de contrôle et d’évaluation, qui serait un organe sans autonomie, totalement dépendant du ministère de la santé. Rien n’est dit sur sa composition et ses pouvoirs, éléments pourtant déterminants pour mesurer son degré d’indépendance et de pouvoir : tout est renvoyé à un décret en Conseil d’État. Cette commission n’effectuera qu’un contrôle a posteriori, dont on sait qu’il reste purement formel et n’empêche pas les dérives, à l’image de la Belgique et des Pays-Bas (quasiment aucune poursuite judiciaire depuis vingt ans).
Clause de conscience
En sens inverse, le projet de loi contient d’excessives précisions sur le déroulement de la procédure, le rôle des soignants (et notamment, rester dans la pièce à côté en cas de besoin de secourisme à l’envers !), les circuits pour la fabrication et la délivrance des produits létaux, etc. Dans les explications, près d’une page entière précise comment un détenu en prison pourra accéder au dispositif, selon qu’il est en détention provisoire ou condamné définitivement : on mesure ici le travail minutieux effectué par les fonctionnaires concernés…
Il y aurait encore beaucoup d’autres dangers à mentionner, en particulier sur la clause de conscience : offerte aux professionnels de santé, elle est refusée aux pharmaciens d’officine qui seraient pourtant mis à contribution pour distribuer les produits létaux. Mais on préfèrerait en réalité ne rien avoir à commenter, et que le texte reste à l’étude dans les cartons du ministère le plus longtemps possible !
EDIT : Cette tribune a été mise à jour ce mercredi 10 janvier à 11h18 après un démenti de l'Elysée sur les propos tenus par Emmanuel Macron devant les représentants des cultes.