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Cette crèche qui dérange parce qu’elle annonce une énormité

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Jc Milhet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Crèche de la mairie de Perpignan.

Jean Duchesne - publié le 19/12/23

Pourquoi la laïcité militante qui garantit la liberté d’opinion, y compris religieuse, proscrit les crèches ? Pour l’essayiste Jean Duchesne, la réponse est trop explicite, la crèche dérange car elle annonce une énormité : Dieu descend jusqu’à l’homme, l’Histoire a un sens.

L’approche de Noël ramène dans les faits divers qui pimentent notre quotidien des polémiques autour de la laïcité, inscrite à l’article 1er de la Constitution en vigueur chez nous. La loi serait-elle donc violée en son fondement même si est installée dans un lieu public une crèche avec Marie, Joseph et le petit Jésus (plus le bœuf, l’âne, des bergers, des anges, les rois mages et d’autres personnages et animaux) ? Les querelles de cette année embrayent sur des affaires de statues de saints ou d’ecclésiastiques déboulonnées des carrefours où elles avaient été érigées. Il y a eu aussi des chamailleries sur la présence du président de la République à la messe du pape à Marseille en septembre, et, il y a quelques jours, des critiques indignées de l’allumage à l’Élysée d’une bougie de Hanouka par le grand rabbin de France.

Religions et ordre public

Le principe du droit en la matière est à première vue très clair. Il découle, en amont de la Constitution de 1958, des articles 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 7 de celle de 1793, de l’article 1er de la loi de 1905 de séparation entre l’État et des “cultes”, et enfin de confirmations du Conseil constitutionnel. Le risque peut être pris de résumer en disant que l’État est religieusement neutre, mais garantit le droit de croire (ou de ne pas croire) ce que l’on veut, et même de manifester ses convictions, pourvu que l’ordre public soit respecté. 

La priorité est dès lors de  déterminer en quoi consiste l’ordre public et ce qui est de nature à le troubler. Il ne semble pas qu’il ait jamais été formellement défini. Il n’est cependant pas difficile de deviner que c’est ce qui permet une coexistence paisible, où chacun exerce ses libertés sans restreindre celles des autres. Ceci exclut bien sûr toute intimidation et a fortiori toute violence. Dans le cas d’une crèche de Noël, on se demande où est l’agression, et même quelle est la gêne causée, sauf à ceux qui s’offusquent car pour eux la religion (quelle qu’elle soit) est la principale source de tous les maux, devrait disparaître à terme et doit en tout cas déjà être empêchée de paraître ou du moins strictement cantonnée dans la sphère du privé.

Le christianisme inscrit dans le paysage

Une telle censure peut être considérée abusive : l’opinion de quelques-uns étouffe celles des autres en niant un aspect constitutif de la laïcité, à savoir la liberté pour tous d’exprimer leurs convictions. C’est pourquoi d’ailleurs les détracteurs des Nativités et autres marques chrétiennes dans le décor invoquent plutôt la neutralité de l’État et des services publics de terrain (en particulier les mairies) : les autorités civiles ne doivent reconnaître aucun “culte”, car celui-ci deviendrait une norme commune s’imposant à tous. Mais ce n’est pas si simple, car le christianisme fait partie du paysage sans avoir besoin de confirmation institutionnelle.

Les crèches de Noël, même si elles sont forcément saisonnières, sont aussi inscrites dans la mémoire où s’enracine l’identité nationale.

La loi de 1905 interdit en effet de nouveaux signes religieux dans l’espace public, mais pas dans des propriétés privées, même s’ils sont visibles du dehors. Et les lieux de culte antérieurs à la séparation, avec leur architecture et les croix bien en évidence qui affichent la foi, ont été appropriés par l’État ou attribués à des collectivités locales, qui assument leur préservation. Tout cela fait partie de l’héritage patrimonial auquel est attachée une large majorité de la population, bien au-delà des seuls “messalisants”. On l’a bien vu au moment de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Et les crèches de Noël, même si elles sont forcément saisonnières, sont aussi inscrites dans la mémoire où s’enracine l’identité nationale, comme l’a rappelé récemment une tribune signée par une trentaine de sénateurs dans Le Journal du Dimanche.

Une frontière parfois incertaine

En pratique, l’État ne peut pas ignorer les religions, comme phénomènes sociaux, culturels, et même réalités économiques (écoles, hôpitaux, humanitaire, fiscalité…). La frontière entre la neutralité requise par la laïcité et la reconnaissance qu’elle interdit est parfois incertaine. Charles de Gaulle, président de la République et catholique pratiquant, assistait passivement à la messe comme ses prédécesseurs quand il y était amené ès-qualité, par exemple à Reims pour sceller la réconciliation avec l’Allemagne en 1962. Mais en 1966, pendant une visite officielle en URSS, il est allé le dimanche dans une petite chapelle latine de Leningrad et y a communié, au nom de la liberté religieuse, sans que nul n’ose le lui reprocher.

De même, il n’y a guère eu de vagues il y a peu lorsque Emmanuel Macron est allé jusqu’à prendre la parole dans la cathédrale de Lyon : c’était aux funérailles de l’ancien maire Gérard Collomb dont le soutien lui avait précieux pour sa première élection en 2017. La société civile a elle aussi ses cérémonies, son “sacré” où elle est un peu empruntée, et il n’est pas rare que ses élus composent alors avec les “cultes”, notamment pour des obsèques. Du côté des religions, on trouve des ambiguïtés analogues. Ainsi, l’allumage de la bougie de Hanouka à l’Élysée n’était, selon le grand rabbin de France, pas un acte cultuel. Mais pour le président du CRIF (Conseil représentatif des Institutions juives de France), c’était une entorse à la laïcité… 

Un message à décoder

On peut encore s’interroger sur la franc-maçonnerie. Le président de la République (qui s’est aussi rendu chez les protestants, les musulmans…) a été reçu début novembre au Grand Orient, la principale obédience française. Bien qu’anticléricale, elle a des rites, des traditions, une hiérarchie, et elle “offre une recherche spirituelle”…, mais elle est discrète. D’autre part, l’État, à travers l’Éducation nationale, parle toujours des vacances de la Toussaint et de Noël. Sauf qu’on abstient soigneusement de rappeler quelles fêtes en sont le prétexte : tout le monde doit en profiter, même en ignorant ou occultant pourquoi. “Joyeux Noël !” devient donc une obscénité, voilée sous des vœux de “Bonnes fêtes !”, au pluriel et sans motif identifié.

La question est dès lors de savoir non pas si les crèches dans des lieux ouverts à tous  troublent l’ordre public (ce n’est à l’évidence pas le cas), mais si elles sont trop explicites. Imposent-elles des convictions particulières et partisanes ? Aucun maire ne présente “sa” crèche comme un acte de foi personnelle. Et l’imagerie folklorique envoie un message qui reste à décoder. En dehors des minorités de croyants qui y retrouvent leur foi et d’incroyants qui s’en offusquent, on ne perçoit que la célébration attendrie d’une fragile naissance qui promet un renouveau de la vie au moment de l’année où les journées sont les plus sombres et courtes. L’antique saint Nicolas de Myre, réputé si bon pour les tout jeunes, a été éclipsé par le Santa Claus d’Europe du Nord, lui-même supplanté par le Père Noël américain livreur de cadeaux et enfin par des festivités qui, à cette occasion, se flattent de n’être point égoïstes.

L’énormité de Noël

Une fête de la gentillesse et de l’enfance, en prélude huit jours à l’avance aux bombances conventionnelles du nouvel an, relève d’une religiosité naturelle dont le laïcisme intransigeant s’accommode assez bien, car cela laisse le ciel vide. Mais la crèche dérange dans la mesure où elle annonce une énormité : Dieu qui se fait bébé, qui ne cesse de descendre jusqu’à l’homme pour lui ouvrir le chemin jusqu’à Lui qui n’est que don de soi. Du coup, le temps n’est plus platement cyclique et sans destination, mais l’Histoire a un sens. L’enjeu dès lors n’est plus simplement que les images de la Nativité demeurent visibles (elles ne disparaîtront jamais complètement), mais qu’elles soient regardées comme bien plus qu’une scène touchante. Les détracteurs des crèches, au moins, ne s’y trompent pas. Il s’agit seulement de ne pas se bloquer comme eux sous le choc et à l’inverse de s’en découvrir décoincé.

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