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Ne pas rater le passage de l’ange

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FRANCOIS GUILLOT / AFP

"La persistance de la mémoire" Dali.

Luc de Bellescize - publié le 04/12/23

Quelle est notre relation au temps ? Voulons-nous tout maîtriser, ou laissons-nous filer les jours qui passent avec insouciance ? Chaque heure qui passe ne reviendra plus, avertit le père Luc de Bellescize : il ne faut pas rater le passage de l’ange.

Léonard de Vinci a commencé le tableau de la Joconde en 1503. Il a été commandé par un négociant en étoffe, Francesco del Giocondo, et représente son épouse Lisa, qui venait d’accoucher. Il peint un instant qui passe, un regard et un sourire, une impression. J’ai lu — est-ce vrai ? — que c’était le premier portrait souriant de l’histoire. Le sourire d’une jeune femme illumine le monde de la douceur de Dieu. Le sourire est le fruit de la joie, peut-être celle d’avoir porté un enfant, d’avoir accompli sa vie ? La technique du sfumato, qui atténue les contours, enveloppe le tableau d’un voile, lui donne une impression mystérieuse.

Au loin serpente une rivière, l’arrière-fond est une nature vierge et chaotique, mais un chemin se dessine et un pont, image du temps qui coule et qui passe comme passent nos vies, comme coulent nos années fragiles. Le pont nous fait échapper au chaos, à la corruption de toutes choses. Il ouvre une espérance dans l’absurdité du monde. Nous allons passer d’un Royaume à l’autre, du siècle à l’éternité, de la terre des hommes au Règne de Dieu. Le Pont, c’est le Christ, le Seigneur. “Notre Pâque”, c’est-à-dire notre passage. Lui seul a traversé les mondes et déchiré les Cieux, a franchi la mort, est passé au-delà du voile qui nous sépare de l’invisible, de nos saints et de nos défunts. 

Montre dure ou montre molle ?

Léonard de Vinci a voulu représenter l’instant et la perspective, l’immédiateté et l’éternité. Quoi de plus fragile qu’un sourire, quoi de plus fugace qu’un regard ? “L’homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”, écrit Héraclite. Parce que le fleuve coule, parce que l’homme change et se transforme sans cesse. “Avec le temps va, tout s’en va » chantait Léo Ferré. Est-ce que notre temps est une larme versée, un sourire dissipé, une succession d’instants à jamais disparus ? Sommes-nous emportés par le temps comme « emportés par la foule qui nous traîne et nous entraîne” ? Est-ce qu’un chemin d’espérance se dessine pour l’homme, qui ordonne son temps à l’éternité ? “Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer ? Ah, si tu déchirais les Cieux, si tu descendais, dit le prophète Isaïe dans la première lecture, les montagnes seraient ébranlées devant ta face” (Is 63, 19). 

Les adolescents qui se lèvent pour aller à la messe font preuve d’un anticonformisme radical, d’un acte de liberté profonde qui rendra leur vie forte et lumineuse. 

Dans le tableau de Salvador Dali, la Persistance de la mémoire, on voit une montre dure dévorée par les fourmis, alors qu’à l’horizon s’étend la mer immense, et une montre molle qui dégouline. Quel est notre rapport au temps ? Est-ce le tic-tac de l’horloge implacable, où l’homme prétend parfaitement mesurer son temps, ou est-ce l’absence totale de maîtrise qui fait que le temps coule sur nous comme un fromage, et qu’on prend la vie comme elle vient sans trop se poser les questions essentielles ? Après l’excitation d’une soirée embrumée d’alcools, l’adolescent paresseux se retourne dans son lit au lieu d’aller à la messe, dans un état comateux et semi végétatif. Il ne supporte pas de s’ennuyer. Son rapport au temps est une montre molle, il se laisse emporter par la paresse de vivre. Il oublie que c’est de la jeunesse que dépend toute la vie, que c’est dans l’enfance que se forgent les hommes, qu’il est essentiel de sortir de la consommation frénétique de l’instant pour accepter l’ennui, la patience des grandes choses qui mûrissent en silence. Les adolescents qui se lèvent pour aller à la messe, et donc acceptent de ne pas tout comprendre dans l’immédiateté, font preuve d’un anticonformisme radical, d’un acte de liberté profonde qui rendra leur vie forte et lumineuse. 

Chaque heure qui passe ne reviendra plus

Il ne faut jamais perdre son temps, chaque heure qui passe est précieuse et ne reviendra plus. Le temps qui dégouline nous fait déjà entrer dans la corruption du tombeau. Mais l’illusion de la totale maîtrise est aussi une image de la mort, d’où les fourmis de Dali qui dévorent la montre. Le temps véritable n’est pas celui d’une horloge suisse. Certaines heures n’en finissent pas, d’autres nous semblent trop rapides. “Plaisir d’amour ne dure qu’un instant, chagrin d’amour dure toute la vie.” L’imprévu des drames et des grâces bouscule toujours notre temps. La souffrance ne se maîtrise pas, pas plus que le bonheur. La joie et la peine sont les deux grandes éducatrices de notre âme, qui nous apprennent à faire confiance, à admettre que nous ne gérons pas tout, qu’il faut poser un acte de foi dans le Maître du temps et de l’Histoire, ouvrir le livre de l’Apocalypse et entendre la voix du Seigneur Dieu : “Je suis l’Alpha et l’Oméga, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout-Puissant” (Ap 1, 8). 

On décide toujours au risque de se tromper. La liberté ne peut grandir qu’en tâtonnant entre ombres et lumières.

Devenir un homme, ce n’est pas avoir une Rolex à quarante ans, dont l’aiguille implacable nous rapproche sans cesse de la tombe, mais apprendre de Dieu la vraie mesure de nos jours, nous déprendre de nous-mêmes pour compter sur un autre que soi. L’âge d’homme, c’est celui d’obéir à une parole qui nous dit, comme le Christ à Pierre : “Avance en eau profonde” (Lc 5, 4). Certains, particulièrement les jeunes, refusent de s’engager car ils ne sont pas “sûrs” de leur amour, de leur vocation, de leur décision. Mais la liberté n’est jamais une ligne claire et distincte, c’est un sfumato, elle est enveloppée d’un voile, elle est mystérieuse. On vit toujours au risque de la mort. On décide toujours au risque de se tromper. La liberté ne peut grandir qu’en tâtonnant entre ombres et lumières. Elle se conquiert dans l’acte de foi, qui n’est jamais encore la pleine vision. Si nous pensons avoir sur la terre la pleine vision de Dieu, la certitude absolue dans la maîtrise de nos amours ou de nos choix de vie, c’est que nous nous sommes tournés vers des idoles. Le veau d’or s’impose comme une évidence, mais notre Dieu se révèle comme un mystère, comme un petit enfant qui naît. Il ne faut pas trop s’installer, pas trop planifier. 

La part des anges

Ce qui embellit le temps de nos vies, c’est son imprévu, c’est la surprise des rencontres, c’est le passage mystérieux de la grâce. On dit d’une femme qu’elle “tombe” enceinte. C’est donc que l’enfantement nous fait tomber, il n’est jamais entièrement prévisible. La culture de mort, c’est le refus de l’imprévu. Ainsi la mentalité contraceptive participe-t-elle de la culture de mort, par l’illusion d’une puissance artificielle et technique sur le contrôle des naissances. Elle oublie que la vie se donne toujours comme une grâce. Un ange passe, Dieu agit dans l’ombre, un enfant surgit : “L’Esprit saint viendra sur toi, la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre” (Lc 1, 35). La sagesse, c’est l’art de se préparer à l’imprévisible. Nous avons l’illusion de maîtriser nos vies comme un plan quinquennal, mais les événements balayent bien vite nos prétentions trop humaines. Quand on reçoit l’appel à devenir prêtre, certains ont l’impression que nous renonçons à un plan de vie, peut-être à une belle carrière pour nous consacrer au Seigneur. Mais j’aurais peut-être eu une vie professionnelle lamentable et j’aurais fini alcoolique sous un pont de Paris… On ne renonce qu’à des potentialités souvent fictives. 

Dans un tonneau de bas-armagnac qui vieillit en silence, une part s’évapore. On l’appelle “la part des anges”. Toute vie a sa part des anges, le mystère de la douleur et de la grâce, l’imprévu de Dieu. Il ne faut pas rater le passage de l’ange. Sa parole nous conduira souvent là où nous n’avions pas prévu d’aller, mais là où Dieu nous attend, et là où nous serons pleinement nous-mêmes. “Maintenant vivante sera ma vie remplie de Toi, confesse saint Augustin au Seigneur. Jusque-là, trop vide encore de Toi, je pesais sur moi.” 

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contemplationlibertéSociété
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