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Maritain à Toulouse, une ombre qui brille encore

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Jacques Maritain.

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Xavier Patier - publié le 22/11/23
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Qui se souvient encore de Jacques Maritain à Toulouse ? Sa mémoire et sa pensée, lumineuse et dérangeante, font encore parler dans les murs de la ville rose, raconte l’écrivain Xavier Patier.

Samedi, avec ma femme, promenade dans Toulouse. Ces rues que nous avions connues mystérieuses sont devenues le décor d’une gigantesque cohue. Une foule aveugle, courbée sur des téléphones mobiles, déborde de la rue Saint-Rome où des fast-foods ont remplacé les bouquinistes. Nous jouons des coudes pour traverser les galeries du Capitole, traçons notre sillon rue des Lois, poussons jusqu’à la rue Valade où se trouve l’aumônerie des étudiants. Un peu de calme. Porte cochère. Nous entrons. Dans une salle médiévale sans fenêtre, aux murs de briques, sont disposés des fauteuils et des chaises hétéroclites, signe infaillible d’une vie associative. 

Une conférence sur Jacques Maritain proposée par la philosophe Claire Bressolette va commencer. L’auditoire est âgé. Nous sommes une poignée : douze, quinze, peut-être. On ne peut pas à la fois envahir les trottoirs en faisant prendre l’air à son smartphone et se claquemurer dans une salle médiévale pour entendre une conférence sur Jacques Maritain. Maritain a achevé sa vie terrestre à Toulouse dans un retrait que la ville lui rend à sa manière. Comme Mauriac chez les Bordelais, Maritain est un homme dont les Toulousains ne parlent guère. Il n’y a pas de rue Maritain à Toulouse ; à peine une impasse d’une vingtaine de mètres de long dans le quartier neuf du Mirail, près d’une mosquée, loin du couvent de Rangueil où il a une allée.

Une ombre habitée de lumière

Dommage que nous soyons si peu nombreux à la conférence, car Claire Bressolette est brillante et a beaucoup à dire sur le philosophe. "Ombre et lumière" est le thème de sa causerie. On ne trouve guère trace d’une ombre chez ce grand penseur chrétien. Ou plutôt, même l’ombre chez lui est habitée de lumière. On y trouve cette clarté qui, dans le secret de chacun de nos cœurs, atteste une présence trinitaire. Le mal n’est pas une création : il est un non-être. Les intuitions heureuses décrites par Maritain font écho à ces réminiscences mystérieuses dont parle Proust dans le récit de la mort de Bergotte. 

Il supplie Gide de renoncer

La conférencière cède la parole à deux vives étudiantes, Flavie Bienfait et Célia Charlois, qui parlent respectivement de l’éthique et de la philosophie de l’art chez Maritain. L’auditoire s’anime. Des sourcils se lèvent quand on entend Maritain s’inquiéter de la manière dont Gide met en scène avec complaisance ce Mal qui est Quelqu’un. Maritain, doux et humble de cœur, supplie Gide de renoncer à publier Corydon. Gide se dérobe. Il a choisi son camp, il publie Corydon.

Il dit un non apparemment définitif au Dieu d’amour et de rédemption. L’écrivain Gide n’est pas Bernanos, ni même François Mauriac, grand oublié de cette conférence. Les échanges qui suivent me font songer à une note de Julien Green : "Dans un livre canadien sur l’enfer, il y a cette phrase : “Gide est probablement damné.” Le calme de ce “probablement” m’a fait sourire. Les théologiens sont féroces, surtout les théologiens amateurs." La férocité des théologiens amateurs : Maritain n’est pas un amateur et Green a le génie des petites phrases. 

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