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Notre chroniqueuse Élisabeth de Courrèges a perdu sa mère le 10 mai 2023, après quatre ans de combat contre un cancer. Elle s’appelait Myriam de Courrèges, était mariée, mère de sept enfants et grand-mère de nombreux petits-enfants, médecin dans un centre de lésés-cérébraux, très engagée dans sa paroisse… Avant de mourir, elle a écrit un texte qu’elle a intitulé Cela fait quatre ans que je suis éligible à l'euthanasie, expliquant pourquoi il aurait été dommage de la demander. "N’était-ce pas beau à vivre tout cela ?", interroge-t-elle après avoir décrit ses joies familiales, sa gratitude pour les grâces reçues et son cheminement vers Dieu. "Donnez plutôt une aide active à vivre", implore-t-elle. Un témoignage de poids à l’heure où les contours du projet de loi sur la fin de vie, évoquant notamment "le droit de bénéficier d'une aide active à mourir", se précisent.
Myriam de Courrèges a transmis son témoignage à sa fille Élisabeth dans l'espoir qu'il soit relayé, afin de partager cette joie et cette espérance avec ceux qui n'osent plus y croire. Élisabeth l’a confié à Aleteia qui le reproduit ici dans son intégralité.
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Le jour où j'ai reçu l'annonce du diagnostic, avec la future loi de la fin de vie, j'ai compris que je serai éligible à l’euthanasie ou au suicide assisté. Depuis, quatre ans sont passés, bien remplis, et il aurait été dommage de ne pas témoigner de la présence de Dieu, le Christ et de l'Esprit-Saint.
La fin de vie :
Un Temps pour cheminer avec Jésus
Un temps pour découvrir les délicatesses du Seigneur
En fait un chemin de vie, qui a sa fécondité
Un chemin de sainteté
Mariée, mère de sept beaux enfants enrichis de gendres et belle fille, une progression exponentielle de petits enfants chaque année, j’étais une grand-mère active. Médecin dans un centre de lésés-cérébraux dans lequel j’ai appris ce qu’est la dignité de la personne, entourée d’amies qui mettent du baume au cœur et à l’âme, engagée dans ma paroisse, j’étais gâtée, j’étais heureuse.
Ce lundi de février 2019 je suis en train d’examiner un patient. Mon téléphone vibre dans ma poche. Revenue à mon bureau je vois afficher "laboratoire". Le résultat d’une prise de sang faite deux jours plus tôt peut laisser craindre une prise en charge urgente. A l’heure de la coupe je pose ma blouse et mon stéthoscope sur mon bureau et je pars aux urgences sans me douter que je ne reprendrai plus jamais ces instruments et que je devrais abandonner ma fonction médicale. Le soir même, en croisant les informations, je comprends que j’ai un cancer. Un médecin malade raisonne…
Celui-ci m’est confirmé dix jours plus tard. Le chirurgien vient me voir avec des mouchoirs, car il m’annonce la vigueur de la tumeur et donc qu’"il faut vous préparer et vous abandonner..." (vers la fin, rapide…) J’ai reçu une nouvelle grâce immédiate de paix et d'Espérance de mon Seigneur et mon Dieu… Une rencontre inattendue avec une amie aumônière me remplit de force.
J’étais donc déjà éligible à ce que la loi sur la fin de vie en cours de procédure propose : la fin active, l’euthanasie si ce n’est le suicide assisté… Et si tel eut été, que n’aurai-je pas vécu ?
Mon médecin a fait le choix de six mois d’un premier traitement qui semblait satisfaire dans un premier temps. Jusqu'à alors, depuis l’annonce du diagnostic, je considérais que mon "boulot" d'épouse et de maman n’était pas fini… et je croyais à l’Amour et la Puissance de guérison de Dieu. J’aime la vie, les autres, tout autre, les projets… Je continuais à m’impliquer, avec ma fatigue mais avec joie. Je continuais la formation paroissiale et apprenais à découvrir l’action de l’Esprit Saint dans ma vie.
En paroisse, entourée de certains des miens, le sacrement des malades m’est donné une première fois. Lors d’un temps d’adoration, je reçus l’image de la Vierge Marie écrasant la tête d’un monstre ou serpent. La tumeur est dite maligne (procédant du Malin) parce que son développement physiologique procède d’une tromperie, (elle se fait prendre pour une cellule de défense)... De plus, ce cancer se développe face aux excès de notre vie moderne… Je recevais donc une grâce de confiance vis-à-vis de la protection de la Vierge Marie et sa capacité à m’en protéger. Nous avons marié une fille cet été là, j’étais toujours là, amaigrie certes, mais nous étions tous très heureux de l’événement. Notre paroisse nous demande de la représenter à un pèlerinage: nous y recevons la grâce d’une piste pour un nouveau traitement.
En janvier 2020, renouvellement du sacrement des malades en paroisse… Ce fut une démarche d’humilité et de vérité face à toute l’assemblée. Je vivais une vie presque normale même si une fatigue de fond la ralentissait et les projets furent au point mort. J’essayais de me concentrer sur le service et la vie spirituelle.
En mars 2020, parce que fiévreuse, les thérapies furent mises à demi-dose. Avant la fin de ces deux ans de thérapies apparaissent des métastases.
Ne le sachant pas encore, l’été 2021 fut un temps familial très heureux. La nouvelle m’est donnée en septembre, je fus convoquée pour une suite en janvier 2022. Je reçois à nouveau le sacrement des malades au cours d’une veillée de prière. Je reçus ce soir-là la certitude de vivre tout cela comme "amie de Jésus ".
Je prenais du temps, coincée chez moi par la grande fatigue, de jouir des visites, d’écouter, de rejoindre, de porter, de prier pour mes frères et sœurs, enfants, amis… C'était encore une vie remplie. J’avais du mal à prier et me sentais loin du Seigneur… Mon conseiller spirituel m’a dit que ce n’est pas grave. "Vous êtes sur la Croix, objectivement au plus près du cœur de Jésus".
Les chimio sont efficaces sur la tumeur mais elles ont une toxicité majeure sur d’autres cellules. Le cancérologue suspend les chimio pour l’été 2022, ce qui me permet de reprendre des forces et d’accueillir tous nos enfants dans la maison familiale : été merveilleux dans l’ambiance, les activités, mon anniversaire, louange et prière d’intercession, messages de familles et d’amis, mariage dans ma belle-famille.
En septembre le bilan est catastrophique. En l’absence de thérapie nouvelle, la décision désolante d’arrêter tout traitement est prise, alors que je sens en moi encore une force et une passion de vie.
Quel choc, quelle tristesse
Le profil de la Fin de vie est une autre étape...
Nouveau sacrement des malades au cours d’une veillée paroissiale pour appréhender dans la paix cette nouvelle étape dite palliative, débutée par un court séjour en service de soins palliatifs où l’aumônerie m’aidera merveilleusement à rester branchée sur la Parole de Dieu et à rester en paix.
J’ai vécu aussi cette étape où me sentant si peu interpellée par l'au-delà je me suis demandée si je n’avais pas reçu la Foi comme une fabrique rassurante, superficielle et sans amour. Et puis cette nuit de la foi où je me sentais abandonnée. Mais j’avais reçu une effusion de l’Esprit avant cette dernière et en me retournant je vois qu’il a été présent et fécondant à chaque instant.
La fin ? Comme un écran noir, que j’avais sous mes yeux dans ce service, écran à traverser, avec toute l’inconnu de ce qu’il y a derrière? J’implore l’Esprit Saint de donner à ce temps "d’attente" encore une fécondité… Une parole de grâce me fut donnée : il n’y a pas de "fin" mais une transformation de vie, qui prend ma vie d'aujourd'hui avec ce que j’en fais et qui sera transfigurée de la grâce divine. Et donc considérer l’aujourd’hui en le vivant le plus généreusement possible, le plus vivant possible, au plus proche du cœur de Dieu : dans ma vie de couple et de famille, avec la prière personnelle ou partagée, avec le sacrement du pardon et une direction spirituelle chaque mois comme avant dans la fréquentation de la parole de Dieu avec mon groupe de lectio, dans l’eucharistie, et dans une Espérance en croissance.
Je continue autant que faire se peut à servir, soutenir, écouter, faire du lien, rassembler.
Mais il faut consentir : c’est dur de ne "plus pouvoir" inaugurer ou accompagner les projets familiaux entre autre ; il faut de l’humilité pour n’être plus moteur et devenir dépendant progressivement… Le plus dur, dans la "fin de vie", c’est l’apparente séparation qui s’entrevoit, source de chagrin de mon côté et de celui des miens, époux, enfants et petits-enfants… Il y a encore à accompagner les plus jeunes, aider les ménages, assurer le quotidien de son époux… Et il faudra faire sans, en apparence.
Ce temps de perte progressive stimule en moi le besoin d’exprimer tant de gratitudes vis-à-vis du Seigneur qui nous a gâtés de sa Présence, de mon mari, des enfants, des petits-enfants, de ma famille et belle-famille présente aussi, des amis, des frères et des sœurs de la paroisse, et même de tant d’inconnus croisés pour un sourire un renseignement. J’aimais ces interventions gratuites, gratitude pour mon travail et pour l’ambiance de travail… Tant de richesses reçues.
Phase palliative avec ses misères, le début des douleurs, la perte de force, la grande difficulté à respirer au moindre effort, la difficulté à marcher, les mauvaises nuits, les positions douloureuses… Le mercredi des Cendres, premier jour du Carême, je subis la survenue d’une complication médicale amplifiant considérablement les misères. Me voilà sept jours hospitalisée et coincée dans mon fauteuil, reliée à l’aspiration censée remettre le poumon en place (en vain)…
Pour ne pas subir ce temps mort, j’en fais quelque chose : je fais retraite, priant davantage et regardant des enseignements. J’écris un mot à chacun de mes enfants, à mon mari, et ce petit feuillet sur la fin de vie.
La souffrance s’insinue doucement mais sûrement. Mon conseiller spirituel m'invite à me mettre au pied de la Croix avec Marie qui a gardé l'Espérance, à méditer l’épiclèse : rejoindre le sacrifice du Christ "pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde, de tous". Ouvrir généreusement mes offrandes et intentions de prières.
Nouveau sacrement des malades qui fut un pur cadeau… Je ne l’avais pas demandé au cours de la veillée pour les malades. Le père vient vers moi : "Voulez-vous le sacrement des malades?", je réponds que je ne l’ai pas demandé. "Je vous le donne au nom de Jésus" !! Merci Jésus.
L’évolution se faisant plus rapide. Mon confesseur m’invite aussi à méditer les dernières paroles du Christ :
"Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné" ;
"Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font" ;
"Ce soir tu seras avec moi dans le Paradis" ;
"Femme, voici ton fils" ;
"Fils, voici ta mère " ;
"J’ai soif" ;
"Tout est accompli" ;
"Entre tes mains je remets mon esprit".
Je demande une mort douce à la Vierge Marie dont le chapelet est maintenant quotidien. Car j’ai peur, je ne suis pas brave. Et je ne veux pas marquer au fer rouge les miens.
Chemin de fin de vie… Un temps inutile ? Qu’en pensez-vous ? N’était-ce pas beau à vivre tout cela ?
Donnez plutôt une AIDE active à VIVRE.
Il faut du temps pour dire merci, exprimer, écrire notre gratitude.
Il faut du temps pour recevoir la croissance de l'Espérance qui permet d’envisager l’au-delà lumineux et toujours impliquant auprès de ceux que l’on continuera à aimer.
Il faut du temps pour les assurer que je resterai sur leur chemin, attentive à leur besoin, en intercédant pour eux sans cesse.
Il faut du temps, lorsque l’on est plutôt sec dans son âme (la nuit de l’Esprit) pour désirer la sainteté et supplier d’aller au plus près du Cœur de Jésus, pour jouir pleinement de son Amour toujours...
Il faut du temps pour apprendre à s’offrir sur notre croix, en s’accrochant à La Croix du Christ...
Il faut du temps pour apprendre à le faire POUR la Gloire de Dieu et le salut de TOUS.
L’euthanasie, le suicide assisté ?
réduction de vie... amputation de vie... indifférence aux siens ?...
Tel un bûcheron qui coupe un arbre vivant, vous coupez la vie dont la sève va s’écouler ET devenir inutile… Je prie pour ceux qui s’y donnent et pour leur bourreau.
Choisis donc la vie, même bouleversée et pénible, mais elle n’est pas sans fruit, elle n’est pas sans joie… Laisser du temps pour transfigurer le pénible présent en une Source Vive...
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