Le Saint-Siège a annoncé le renouvellement pour deux ans de l’accord avec la Chine sur la nomination des évêques, un pacte critiqué par certains mais considéré comme inévitable par Rome. Retour en quatre questions sur les grands enjeux de cette annonce.
1Que comprend cet accord pastoral ?
Il s’agit d’un accord strictement pastoral – et donc sans valeur diplomatique officielle – signé par la République populaire de Chine et le Saint-Siège en 2018. Ses termes sont secrets, mais il a été dévoilé dès le départ qu’il portait sur la nomination des évêques catholiques en Chine. Valable seulement pour deux ans "à titre expérimental", il a été renouvelé une première fois en 2020.
L’accord a tout d’abord permis en 2018 de réintégrer six évêques excommuniés qui avaient officiellement demandé pardon à l’Église, et à six évêques non reconnus par Pékin de l’être désormais. L’Église a pour cela dû accepter le processus de sélection "démocratique" des évêques par l’Association patriotique (liée au Parti communiste chinois) des catholiques de chaque diocèse. Cependant, le candidat choisi en Chine est ensuite systématiquement présenté au Pape, lequel doit donner l’approbation finale. Le Pape peut exercer un droit de veto si le candidat ne lui convient pas. Six évêques de "l’Église clandestine" ont désormais rejoint l’Église officielle. L’accord a aussi conduit à modifier le tracé de certaines régions ecclésiastiques. Il est possible qu’il y ait d’autres dispositions présentes dans l’accord, mais elles ne sont pour l’heure pas connues.
2Pourquoi l’accord est-il encore renouvelé ?
Alors que les négociations sur le renouvellement n’avaient pas encore commencé, toutes les parties impliquées, à Pékin comme à Rome, ont manifesté dès le début de l’été un souhait commun de voir l’accord être renouvelé une seconde fois, le cas d’une adoption définitive ne semblant pas encore envisageable. Le pape François en personne a signifié son souhait d’une prolongation dans un entretien à l’agence britannique Reuters effectué le 2 juillet, affirmant que le processus de nomination des évêques était lent, mais que cette lenteur était préférable à la "situation bloquée" qui existait jusqu’alors.
Sans accord, il n’y aurait plus d’Église catholique en Chine.
"Sans accord, il n’y aurait plus d’Église catholique en Chine", insistait pour sa part en août dernier le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, à qui le pape François a confié personnellement l’épineux dossier des relations avec Pékin. Le bras droit du Pape assurait en outre que l’accord n’omet pas "les éléments fondamentaux et inaliénables de la doctrine chrétienne" et que les évêques nommés sont d’ « authentiques pasteurs". Il affirmait aussi, sans les dévoiler, que des "pas en avant" avaient été effectués ces dernières années dans le dialogue entre la Chine et le petit État romain.
De son côté, la Chine avait officiellement ouvert la porte à un renouvellement de l’accord par l’intermédiaire du porte-parole du ministre des Affaires étrangères Zhao Lijian le 6 juillet dernier. Celui-ci avait alors souligné que du point de vue de Pékin, l’accord avait été "mis en œuvre avec succès grâce aux efforts des deux parties". Cependant, il faut noter que la Chine a semblé la plupart du temps se désintéresser de l’accord ces deux dernières années.
3Quel poids a joué l’arrestation du cardinal Zen ?
L’arrestation le 11 mai dernier du cardinal hong-kongais Joseph Zen, plus grand adversaire de Pékin au sein de l’Église catholique a été un contre-temps inattendu dans le rapprochement opéré par le Saint-Siège vis-à-vis de l’appareil chinois dirigé par le président Xi Jinping. L’évêque émérite de Hong Kong a été l'une des voix les plus critiques contre l’accord, qu’il voit comme une trahison de l’Église vis-à-vis de l’Église souterraine chinoise – la communauté catholique qui refuse d’être sous contrôle du Parti communiste.
Devenu persona non grata au Vatican, où, malgré son statut de cardinal, l’accès au pape François lui a été refusé, le cardinal Zen s’en était pris au cardinal Parolin, l’accusant de manipuler le pontife, et avait encouragé les catholiques chinois "à se retirer dans les catacombes". Son arrestation – en tant que membre du conseil d’administration d’une association de soutien aux manifestants qui s’oppose à l’emprise grandissante de Pékin sur Hong Kong - en fait une figure de martyr pour les défenseurs de la liberté de culte qui se sont empressés de demander au Vatican un réel soutien.
Discrétion du Vatican sur le procès du cardinal Zen
Mais l’inculpation sur des motifs très politiques du cardinal chinois n’a jamais constitué un casus belli entre Rome et Pékin. Le Saint-Siège, sans éviter le sujet, a fait preuve d’une très grande discrétion sur le procès du cardinal Zen, se contentant de dire qu’il était "préoccupé" et qu’il suivait de "très près" l’affaire. Interrogé sur cette arrestation au retour du Kazakhstan en septembre, le pape François a évité la question et décrit le cardinal comme "une personne âgée" qui dit "ce qu’il ressent".
La Chine a pour sa part rapidement indiqué que la procédure lancée contre le cardinal Zen n’avait rien à voir avec sa foi catholique. Et alors que ce dernier avait été arrêté pour trahison d’une puissance étrangère selon les principes de la loi sur la sécurité imposée par Pékin en Chine il y a deux ans, le cardinal Zen s’est finalement retrouvé inculpé pour une simple erreur administrative, risquant au maximum quelques milliers d’euros d’amende.
En somme, les deux parties semblent avoir tout fait pour que le renouvellement de l’accord ne souffre pas de cet événement.
4Un signe de rapprochement ou de stagnation ?
Dans les mois qui ont précédé le renouvellement de l’accord, le cardinal Parolin a, à de nombreuses reprises, exprimé le souhait de voir l’accord évoluer. Dans le processus de sélection, un pas semble avoir été effectué. Le pape François a évoqué le travail d’une "commission bilatérale vaticano-chinoise" en charge de l’« entreprise gigantesque" que représente selon lui le dialogue avec la Chine. Plusieurs médias ont affirmé que les représentants du Pape pourraient un jour quitter Hong Kong et s’installer à Pékin, un rapprochement qui serait significatif mais qui pour l'heure n'a pas été effectué. Et même si le Vatican est encore très loin de l’établissement d’une relation bilatérale avec la Chine, le maintien d’un accord ad experimentum est déjà le signe d’une normalisation positive des rapports.
Interrogé après l’annonce, le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, qui est en charge de l’évangélisation auprès du Pape à Rome, a mis en avant les avancées effectuées ces dernières années en Chine. "De nombreux signes attestent que de nombreux catholiques chinois ont saisi l’inspiration suivie par le Saint-Siège dans le processus en cours", se réjouit-il, mettant en avant le dynamisme des paroisses et communautés "dans toute la Chine". Il témoigne que dans celles-ci, "de nombreux nouveaux baptêmes, même parmi les adultes" sont célébrés et se réjouit de l’existence d’une "communion ecclésiale qui transcende les frontières", citant notamment le rôle joué par les expatriés chinois catholiques qui finance la construction d’églises et de chapelles.
Cependant, le cardinal philippin reconnaît aussi l’existence de "souffrance" résultant de "pressions et interférences inappropriées" au sein de l’Église en Chine. Le cardinal Parolin assure pour sa part ne pas vouloir masquer ces difficultés, évoquant des "diocèses dans lesquels, malgré tous les efforts et la bonne volonté, aucun dialogue fructueux n'existe avec les autorités locales".
Un bilan encore maigre
De plus, si le secrétaire d’État a évoqué des "pas significatifs" effectués ces dernières années, il reste qu’en l’absence d’annonces officielles, son souhait de voir l’accord évoluer n’a pas été exaucé.
Et le bilan de l’accord est pour l’heure bien maigre : en quatre ans, seulement six nominations d’évêques ont pu être effectuées dans un pays qui compte 108 diocèses , dont 69 sont vacants et un certain nombre ont des évêques très âgés. "Nous espérons sincèrement qu'au cours du prochain exercice biennal, nous pourrons continuer à identifier, selon la procédure établie, de bons candidats à l'épiscopat pour l'Église qui est en Chine", déclare le cardinal Parolin.
Cependant la Chine n’a pour l'instant guère montré depuis de signes probants de sa volonté de faire évoluer la relation avec le Saint-Siège. Le dernier exemple est son refus d’organiser une rencontre au Kazakhstan, à Nour-Soultan, entre le Pape et Xi Jinping en septembre dernier lorsque les deux hommes se sont retrouvés, le temps de quelques heures, dans la même ville.