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Le père Lamy, sauvé des bombardements… par son ange gardien

La Courneuve après l'explosion de l'usine de grenades, le 15 mars 1918.

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Anne Bernet - publié le 13/10/22
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Écouter son ange gardien est parfois une question de vie et de mort. C’est l’expérience que fit le père Lamy, curé de la Courneuve, pendant la Première Guerre mondiale.

Le père Jean-Édouard Lamy (1853-1931), curé de La Courneuve au début du siècle dernier, que l’archevêque de Paris a comparé, auprès de ses proches, à "un autre curé d’Ars", est une admirable figure de sainteté. Cependant, la place du surnaturel dans sa vie a fait souvent oublier l’homme d’action et le prêtre engagé qu’il a été. Quant à sa familiarité avec le monde angélique, elle lui a certainement nui en un temps où déjà l’on n’y croyait plus, même dans certains milieux ecclésiastiques. Cette capacité à voir et écouter les anges lui a pourtant été souvent utile. En témoigne l’anecdote suivante, parmi bien d’autres.

Nous sommes en mars 1918. L’effort de guerre est poussé à son maximum et les usines d’armement installées dans cette banlieue voilà peu encore maraîchère travaillent à plein régime pour expédier chaque jour obus et munitions vers le front. Au début, la population s’est inquiétée de leur voisinage, susceptible d’attirer les bombardements ennemis, les Allemands possédant des canons de longue portée dont la fameuse Grosse Bertha, triomphe des aciéries Krupp, avec lesquels ils parviennent à frapper Paris. Les habitants craignent aussi un accident, à cause des énormes stocks de poudre avant de peu à peu s'y habituer, d’autant que ces usines fournissent du travail bien payé à des femmes obligées de faire vivre leurs familles maintenant que les hommes sont au combat, ou morts… Cette insouciance apparente ne change rien à la réalité du péril. L’on n’y pense plus, voilà tout. Sauf le père Lamy… En toutes occasions, il invite ses ouailles de Saint-Lucien à réciter chaque jour le rosaire afin de préserver la commune d’une "terrible tragédie". Simple bon sens, sachant que les poudrières pourraient faire sauter la moitié de la ville, ou prescience d’En-Haut, comme certains le pensent, avertis des liens que le vieux prêtre entretient avec le monde invisible ?

Quoiqu’il en soit, ce 15 mars 1918, le curé semble avoir oublié ses craintes et, Pâques approchant, il a décidé de se lancer dans un grand ménage de printemps. Depuis qu’un jour, il a reçu la visite impromptue de la Sainte Vierge — d’habitude annoncée par l’archange Gabriel —, escortée d’une bonne soixantaine de magnifiques esprits bienheureux. Malgré son âge, sa très mauvaise vue et ses rhumatismes, le père Lamy est, ce matin-là, à quatre pattes en train de faire le dallage à grands coups de serpillière et songe à aller chercher une échelle pour faire les vitraux crasseux.

"Va plutôt à Paris !"

Dans un coin, son ange gardien, en compagnie de l’archange Gabriel car ils sont souvent ensemble, le regardent faire, avec un sourire que le prêtre trouve dubitatif. Devinant ses intentions, ils font non de la tête et Gabriel dit à l’ange gardien, qui approuve : "Inutile…" L’échange n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Le père Lamy sait que les anges, à la différence des humains, ne parlent jamais pour ne rien dire et qu’il faut prendre leurs conseils au sérieux. Obéissant, il se relève et va ranger ses seaux et son savon noir ; il trouvera bien autre chose à faire cet après-midi pour embellir l’église. Mais voilà que, soudain, il n’en a plus envie. Une drôle d’idée, insistante, lui est venue : "Va plutôt à Paris tantôt !"

À peine a-t-il démarré qu’une déflagration épouvantable secoue tout le quartier, dans un bruit terrifiant, réduisant en miettes toutes les vitres à des kilomètres à la ronde, à commencer par les verrières de Saint-Lucien qu’il voulait nettoyer ce matin…

Qu’irait-il y faire ? Acheter les chapelets et les images pieuses qu’il offre chaque année aux enfants qui font leur première communion ? Cette course n’a rien d’urgent mais l’idée reste là, agaçante : "Va à Paris, va à Paris tout de suite !" Tellement obsédante qu’elle n’en est plus naturelle ; il faut que quelqu’un d’autre la lui souffle et, reconnaissant la manière détournée d’agir des anges gardiens, le prêtre prend son manteau, ferme sa porte, se dirige vers la station d’omnibus et monte dans le tramway pour la capitale qui s’ébranle en direction d’Aubervilliers. À peine a-t-il démarré qu’une déflagration épouvantable secoue tout le quartier, dans un bruit terrifiant, réduisant en miettes toutes les vitres à des kilomètres à la ronde, à commencer par les verrières de Saint-Lucien qu’il voulait nettoyer ce matin… L’usine d’armement Sohier vient de sauter, et des dizaines d’immeubles et de maisons avec elle… 

Protégés par les anges

Flageolant d’émotion, l’abbé Lamy descend du tram et contemple, atterré, ce qui reste de son église dont la voûte s’est écroulée. S’il avait suivi son programme, le vieux prêtre serait là, enfoui sous les décombres, au pied du tabernacle devant lequel il prie d’ordinaire à cette heure-là. Mort, sans doute, comme tant de gens victimes de cette catastrophe. Quant à la réserve eucharistique, sa préoccupation immédiate, elle est intacte, le tabernacle ayant été soutenu par deux briques bien d’aplomb, les seules à ne pas être tombées.

S’il a survécu grâce à cet avertissement miraculeux, le père Lamy comprend pourquoi. S’il gisait sous les décombres, il n’y aurait aucun prêtre pour se rendre au chevet des victimes que les secours commencent à dégager des décombres, et donner l’absolution. De sa survie dépend le salut de tous ces malheureux. Des heures durant, au milieu des gravats et des fumées toxiques qui le suffoquent, le curé de Saint-Lucien, s’oubliant pour les autres, va s’occuper des mourants et des blessés. Il y en a plus de neuf cents. Au soir, épuisé, il constatera que, comme les anges et Notre-Dame le lui avaient promis quand ils lui annonçaient la catastrophe, tous ses paroissiens sont sains et saufs. Protégés par le rosaire, les saints anges et la foi de leur vieux curé.

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