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Elles bourdonnent, plongent dans la confiture, tentent de se noyer dans le jus de fruit, se précipitent sur le rôti fumant, se saoulent dans la corbeille de fruits ou le fond de vin oublié dans un verre. Entre guêpes et abeilles, nous ne faisons pas toujours la différence, obnubilés par la présence de ces petites créatures qui "piquent". Alors, trop souvent, d’un revers de main ou d’un coup de torchon, pour faire taire les cris affolés de la famille, on les assomme, on les écrase et l’écrabouilleur se donne des airs de héros. "Sept d’un coup", comme disait le petit tailleur du conte pour enfants. Et pourtant, sauf rares exceptions, cris et gesticulations qui les affolent, ces insectes ne vous auraient jamais piqué… "Ne soyez donc pas si prompt à prendre ce que vous ne pouvez pas rendre…" fait dire Tolkien au sage Gandalf le Gris dans Le Seigneur des anneaux. Toute vie inutilement anéantie par peur ou par bêtise constitue une erreur.
C’est un peu la leçon que l’archange Gabriel donna, voilà un siècle, au père Lamy, curé de La Courneuve, merveilleuse figure de sainteté dont l’archevêque de Paris disait en confidence qu’il était "un second curé d’Ars". Les merveilles abondent dans l’histoire de ce prêtre champenois, et elles ont donné lieu, sous la plume de son premier biographe, le comte Biver — que Maritain tenait en haute estime, tout comme son héros — a de délicieuses fioretti. L’une vous prouvera qu’il ne faut jamais écraser les abeilles.
Nous sommes en août 1923. Depuis des années maintenant, le père Lamy, un vieil homme maintenant, tout cassé par l’âge et presque aveugle, s’échine durant ses vacances à édifier, près du village de Violot dans la Marne, à partir d’un relais de chasse en ruines, la chapelle Notre-Dame des Bois. La tâche est surhumaine, en dépit des interventions providentielles et de l’aide des anges qui sont, depuis l’enfance, la compagnie habituelle du prêtre. Ce jour-là, le père Lamy, désireux d’orner au mieux la statue de Notre-Dame à l’approche de l’Assomption, a fait une énorme provision de fleurs ; il ploie sous les roses, les lis, les pois de senteur et disparaît à demi sous sa gerbe. Ainsi s’avance-t-il, tel un bouquet géant qui marcherait, sur ce plateau de Langres où les ruchers abondent. Les butineuses sont invinciblement attirées par cette brassée de couleurs et de parfums, elles arrivent de partout et c’est bientôt tout un essaim de "mouches à miel" qui entoure le père Lamy, un peu affolé brusquement à la pensée qu’elles l’attaquent.
Mais voilà que retentit à son oreille une belle voix grave qui lui est familière, celle de l’Archange Gabriel, qu’il voit et entend si souvent. Ce n’est pas au prêtre que Gabriel s’adresse mais aux avettes et sur un ton de tendresse : "S’il vous plaît ! Ne le piquez pas ! Notre Reine ne serait pas contente et son ange gardien et moi serions obligés de prendre forme humaine pour le raccompagner chez lui…" Aussitôt, les abeilles, obéissant au souhait de la Reine des Anges, se dispersent. Aucune n’a piqué le vieux prêtre.
Gabriel, l’archange de l’Annonciation, "l’un des Sept qui se tiennent toujours devant Dieu", s’abaisse à parler, avec bonté et en un langage à leur portée, à ces insectes dérisoires que les humains écrasent sans y penser, si grand est son respect de la Création. Comment ne pas l’imiter ?