Une porte de sortie ?
En 2022, pour la première fois, les évêques de France avaient admis la possibilité du vote blanc dans leur document de réflexion publié avant l’élection : L’Espérance ne déçoit pas (Cerf). Même si cette année, l’évêque de Poitiers Mgr Pascal Wintzer, redoute que certains Français risquent de préférer le vote blanc, « ce qui ne serait guère courageux », cette option pourrait offrir à certains catholiques une porte de sortie, sans se dérober à leur devoir de participation à la vie politique (Gaudium et Spes, 75).
En 2017, lors de l’élection présidentielle, l’explosion du vote blanc lors du second tour avait été l’une des principales leçons de ce scrutin : il avait été multiplié par plus de quatre entre les deux tours et pulvérisait le précédent record de 1969 (6,4%) pour atteindre 11,5%. Parmi ces bulletins, se trouvait déjà le choix de nombreux catholiques dont le vote blanc, sur la base des intentions de vote après le premier tour, aurait dépassé les 15% de leurs suffrages.
Deux pathologies politiques
Il y a deux ans, Mgr Éric de Moulins-Beaufort avait résumé crûment le dilemme devant lequel peuvent se trouver les catholiques. Le président de la Conférence des évêques de France avait déclaré : « Notre pays ne se grandit pas en prétendant s’entourer de murs, il ne se grandirait pas non plus s’il en venait à renoncer à accompagner les êtres humains jusqu’au bout de leur vie en les entourant de fraternité au profit d’une mort prétendument douce. » Au-delà des programmes soutenus par les candidats qui se présentent aux électeurs — le contrôle ou l’élargissement de l’immigration étrangère, ou encore la poursuite de la légalisation des transgressions bioéthiques, il y a bien deux conceptions de la politique qui s’affrontent, mais qui se nourrissent l’une l’autre. D’un côté, un technocratisme libéral-libertaire, de l’autre un utopisme démagogique, même tempéré par la perspective du pouvoir. Le cardinal Jorge-Mario Bergoglio, futur pape François, les a décrites sous la forme du « syncrétisme conciliant » ou de la « pureté nihiliste » (Espérance, Institutions et Politique, Parole et Silence, 2014, p. 105). « En définitive, soulignait le futur pape François, c’est le syncrétisme conciliant qui est la forme la plus larvée du totalitarisme moderne : le totalitarisme de celui qui réconcilie, en ignorant les valeurs qui transcendent. »
En consacrant le pouvoir de chaque homme et toutes communautés, mêmes artificielles, de posséder sa vérité et son droit, on a dressé les hommes les uns contre les autres. Résultat, une violence politique inégalée, où la diabolisation de l’adversaire tient lieu de vertu politique. L’ennemi est une idole à l’envers. L’électeur est pressé de se prononcer moralement en barrant la route à l’adversaire, considéré comme une force maléfique. Quelles que soient ses idées ou son jugement sur tel ou tel programme, il est permis de considérer cette morale fétichiste comme un archaïsme qui nous éloigne de la raison politique. Cela, le chrétien ne peut l’accepter.
Le choix de la modération
Historiquement, le catholique a toujours soutenu les options politiques modérées, sachant qu’on ne construit pas la paix sociale, première condition du bien commun, dans l’excès. Il peut être fondé aujourd’hui à constater que le clivage qui s’oppose le plus à l’unité sociale n’est pas entre la France élitaire et la France populaire, mais entre celui d’un double système idéologique mensonger et la réalité d’une société civile qui doit reconquérir la politique. En tout état de cause, des catholiques peuvent estimer en conscience que le choix proposé, quel que soit le candidat, ne renforce en rien « l’élan collectif pour choisir de vivre ensemble en paix » comme le recommandent les évêques, mais au contraire s’applique structurellement à le déconstruire, notamment en gouvernant par la peur et non par la confiance.
Un vote de conscience guidé par la prudence
Dès lors, comment orienter son choix ? Quoi qu’il arrive, le vote doit être modeste. Voter reste un devoir de justice à l’égard du bien commun, qui engage en conscience, sachant que la conscience est guidée par la vertu de prudence (cf. CEC, 1780). Ce n’est pas un choix à l’instinct, la conscience doit se prononcer rationnellement en fonction d’une finalité juste à court, moyen et long terme et d’un contexte. Il s’agit non de choisir le bien et le mal, mais de participer à l’orientation d’une dynamique positive qui concourt à l’amélioration de la situation. Si aucune option ne paraît satisfaisante, l’objectif doit être politique, sachant qu’une élection chasse l’autre. Il faut toujours penser à l’avenir. Refuser de voter ou voter blanc peut entraîner l’élection du candidat le plus dangereux, donc aggraver la situation. Si vouloir éliminer le candidat jugé le plus dangereux en choisissant un candidat imparfait n’est pas illégitime, il faut que le candidat soutenu ne porte pas de projets politiques formellement inacceptables : voter pour un candidat centriste fer de lance du projet de légalisation de l’euthanasie pour faire barrage à un candidat d’extrême-gauche militant acharné contre la liberté d’éducation peut entraîner un non possumus légitime. De même, barrer la route à un extrémiste dont le parti peut obtenir la majorité en votant pour un autre extrémiste politiquement minoritaire mais idéologiquement plus dangereux est irresponsable, s’il renforce une dynamique qui fait du désordre une marque de fabrique. Le chaos social ou le blocage institutionnel ne peut pas être une option.
Confronté à ces cas de figure impossibles, l’électeur catholique s’efforcera, en conscience, d’assumer sa responsabilité politique autrement : l’élection n’est pas le tout de la politique. Il est toujours possible de servir le bien commun pas d’autre voies que le vote. C’est en ce sens que les évêques appellent surtout à se projeter au-delà des élections, rappelant que le « malaise social » ne pouvait pas être attribué uniquement à des « décisions politiques ».