Ania, Leon, Karolina, Mania, ils le disent tous : le jour de l’invasion russe en Ukraine les a bouleversés à jamais. D’ailleurs, ils ne parlent pas de la guerre en Ukraine, mais de la guerre tout court. Oui, c’est vrai qu’ici, à Cracovie, elle est très proche, juste à deux heures de route en voiture. Bien dans leurs baskets, ces quatre jeunes âgés de 17, 18, 20 et 23 ans ont tous ressenti le besoin d’agir et d’aider le mieux possible ceux qui fuient les bombes et qui arrivent en masse dans cette ancienne capitale de la Pologne. Chacun s’est mobilisé à sa manière, avec sa propre sensibilité. En écoutant leurs témoignages, une conviction se dessine : dans la tragédie terriblement sombre de cette guerre, il y a des éclatantes étincelles d’espérance.
1Ania organise des kermesses pour l’Ukraine
Dès le premier jour de l’invasion russe en Ukraine, Ania Podgorna a ressenti le besoin de faire quelque chose. Originaire de Cracovie, cette lycéenne de 17 ans confie à Aleteia : "Quand j’ai appris que la guerre avait éclaté, en me réveillant le matin, il était 7 heures. J’ai jeté un œil sur Instagram. Tout de suite, j’ai vu un post de mon cousin qui annonçait la guerre. Cela m’a vraiment choquée. J’ai alors rejoint mes parents dans la cuisine. Quand ma mère m’a vue, elle m’a tout juste demandé 'Ania, mais qu’est-ce qui se passe ?' Comme un robot, je lui ai répondu 'Les Russes ont bombardé Kiev'. À l’école, tous les élèves étaient bouleversés. Plutôt que de reprendre son cours d’anglais, notre professeur de langues vivantes nous a expliqué l’histoire de la révolution de Maïdan. Toute la journée, nous en avons beaucoup parlé, continue t-elle. J’ai voulu dans l'immédiat faire quelque chose personnellement.
La première idée qui m’est venue, ça a été de fabriquer un drapeau de l’Ukraine et de le suspendre dans le hall du lycée, en signe de solidarité. Mais cela ne suffisait pas. Nous étions plusieurs à vouloir que l’école s’engage. Avec d’autres délégués de classe, nous avons eu l’idée d’organiser une kermesse 'SOS pour l’Ukraine'. Son but ? Réaliser, à notre petite échelle, une levée de fond pour aider les réfugiés qui étaient déjà en fuite vers la Pologne, et qui allaient très vite arriver à Cracovie. Nous avons imprimé 200 pin’s et des affiches 'Ukraine libre', cousu de grands drapeaux ukrainiens, apporté aussi des gâteaux faits maison. La kermesse a eu lieu trois jours après le début de la guerre, pendant la longue récréation. Chaque élève donnait ce qu’il voulait, la plupart du temps trois fois plus que le prix de chaque chose. Nous avons réussi à recueillir 3000 zlotys (750 euros) et décidé de continuer de tenir des kermesses deux fois par semaine jusqu’au mois de mai."
Ania précise à Aleteia que les délégués de classe et les bénévoles du lycée, encadrés par deux professeurs, décident ensuite comment utiliser l’argent : "En coopération avec une ONG, nous nous sommes concentrés sur des besoins urgents. Par exemple, les couches et les vêtements pour les bébés, les produits d’hygiène, ou encore de la nourriture. Avec dix autres lycées de Cracovie, nous avons créé un réseau d’aide, ce qui est plus efficace. L’union fait la force !", conclut Ania en souriant. Elle se dit prête à être aussi bénévole dans un lieu d’accueil des réfugiés.
2Léon accueille les familles à la frontière polonaise
Motivé dès le début de la guerre par ses parents, Léon Chlopicki, bachelier de 18 ans, a décidé de rejoindre les bénévoles de l’Ordre de Malte, basés à 8 km de la frontière polono-ukrainienne. "Un ami m’a appelé en disant qu’il cherchait des bénévoles. C’est comme ça que je suis parti pendant une semaine rejoindre le centre d’accueil pour les réfugiés. C’est une partie de l’école locale, avec en plus une grande tente dressée à l’extérieur, qui a été transformée en centre de transit. La plupart du temps, les Ukrainiens y restent deux ou trois jours, avant de repartir plus loin. Certains vont quelque part ailleurs en Pologne, d’autres plus loin, comme le Danemark par exemple. Chaque jour, nous recevions entre 200 et 300 personnes, la plupart des femmes avec des enfants, parfois des hommes âgés. J’étais le plus jeune… Mon rôle, c’était d’être à l’écoute de ceux qui arrivaient, de leur parler, de les aider, de leur sourire. C’était très important de leur envoyer des signes de soutien, de bienveillance. Je leur proposais du café, du thé. Aux enfants, je proposais de jouer au ballon", explique ce vice-champion mondial de karaté à Aleteia.
Il a été très impressionné par la force des relations entre les bénévoles créée entre tous ceux qui aidaient et qui formaient ainsi une communauté très unie : les secouristes, les médecins, les policiers, les militaires et les jeunes bénévoles de différentes nationalités. "Tous, nous ressentions le même besoin de faire tout notre possible pour apaiser ces réfugiés qui arrivaient. Ils manifestaient beaucoup de reconnaissance. Ils étaient nombreux à avoir du mal à croire que tout était gratuit, qu’on était à la frontière juste pour eux, par pure empathie", confie-t-il.
Comme ce monsieur de 70 ans qui avait fuit de Kiev : "Il a sorti une feuille de sa poche. Il y avait écrit le nom de la capitale polonaise. Il m’a expliqué que sa fille vivait en Israël, et qu’il allait tenter de la rejoindre en prenant un avion à Varsovie. Son fils était resté se battre à Kiev. C’était un épicier. Avant de fuir Kiev, il a donné aux militaires tout ce qu’il restait dans son magasin. J’étais très ému par la fragilité de cet homme qui aurait pu être mon grand-père. Je sentais qu’il avait vraiment besoin de me parler, de se sentir à nouveau en sécurité.
Comme le centre d’accueil se trouvait dans une école, les classes continuaient. Dès que la cloche de l’école sonnait, il sursautait, cela lui faisait penser aux alertes à la bombe. Il n’arrêtait pas de me remercier alors que je ne faisais que l’écouter, et que j’avais l’impression que c’était tellement peu. En tout cas, ce que je voulais montrer à tous ces réfugiés dont je m’occupais, c’est que je tenais à eux", confie encore Léon. Il a déjà décidé de retourner aider à la frontière dès que possible.
3Karolina prépare les chambres pour les arrivants
Karolina Chlopicka, 23 ans, étudie le droit à l’Université Jagellonne de Cracovie. Comme beaucoup d’autres jeunes, elle s’est engagée comme bénévole dans un hôtel pour les réfugiés. En fonction des besoins du jour, elle prépare les chambres, fait la sélection des vêtements pour que les réfugiés, qui arrivent souvent sans rien sur eux, puissent trouver tout ce qu’il faut. En dehors du travail concret à faire, ce qui est essentiel pour Karolina, c’est de rester à leur écoute : demander ce dont ils ont besoin, être attentif à ce qu'ils n'osent pas dire, leur expliquer le fonctionnement du lieu. "Je rencontre des jeunes, beaucoup d’enfants, des personnes âgées, des familles entières avec mères, enfants et grand-mères. C’est dès le début du conflit que j’ai ressenti l’appel de faire quelque chose pour eux. On sent cette guerre si proche, comment ne pas aider ? En plus, il y a beaucoup de choses concrètes que nous, les étudiants, nous pouvons faire", souligne-t-elle. Elle est émue de voir tant de gratitude de la part de toutes les personnes qu’elle a aidé.
Comme cette dame de 60 ans, pour qui Karolina a préparé la chambre. "On parlait, j’étais heureuse de voir son sourire de reconnaissance. Une fois, elle m’a interrompu en s’excusant : elle devait appeler pour vérifier si son mari était encore en vie… La guerre est palpable ici, comment ne pas aider à transformer sa vie en mieux, même avec des petits gestes ?" s’interroge Karolina qui pense rejoindre bientôt un autre groupe d’aide qui est en train de s’organiser. Sous le nom de 'Bienvenue en Pologne', il a pour objectif d’apporter de l’aide juridique aux réfugiés. Une manière pour elle d’exercer ses acquis en droit dans un but pro bono.
4Mania donne des cours de langues
En voyant ses amis en Pologne se mobiliser pour aider les réfugiés, Mania Skowronska, 20 ans, a cherché comment se rendre utile elle aussi. Cette étudiante en Langues et civilisations orientales à Paris a été inspirée par un ami dans la création d’un groupe d’étudiants qui propose aux jeunes réfugiés ukrainiens de leur apprendre la langue du pays où ils vont s’installer. "Peu importe où je suis, avec ce groupe je peux aider les jeunes Ukrainiens dans leur nouvelle vie. Par le biais de Zoom, je propose des cours de langue : en polonais pour ceux qui veulent rester en Pologne, en français pour ceux qui souhaitent s’installer en France", explique-t-elle à Aleteia. Cette aide est même plus que ça. "Nous voulons que ces jeunes puissent savoir qu’ils peuvent compter sur nous, qu’ils peuvent demander de l’aide. J’espère que notre soutien leur permettra de recréer un réseau de connaissances et, pourquoi pas, de se faire des nouveaux amis là où ils vont vivre", poursuit-elle. Elle conclut notre entretien avec beaucoup de détermination : « Face à cette tragédie, tout le monde peut aider. Il suffit de chercher. »