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Petit garçon et lecteur de Tintin, on m’aurait bien étonné si l’on m’avait dit : "Tu es un vrai Nestorius !" Le majordome en gilet qui passe du service des frères Loiseau à celui du capitaine Haddock doit ici le céder à l’évêque mitré de Constantinople au Ve siècle. C’est lui en effet qui est l’auteur — condamné par l’Église — d’une réflexion que, petit hérétique en herbe, je m’étais faite : "Marie ne donne à Jésus que ce qu’il y a d’humain en lui, comment peut-on la dire mère de Dieu ? Ne serait-ce pas d’ailleurs contradictoire d’affirmer que Dieu a une mère ?" À la décharge de Nestorius et du petit garçon que j’étais, l’objection ne manque pas d’une certaine logique. Tous les chrétiens peuvent se rallier à la première question, et les musulmans ne manquent pas de soulever la seconde. En réalité, il faut en poser une troisième pour résoudre les apories soulevées par les deux premières : Marie a-t-elle été un seul instant mère de quelqu’un qui ne soit pas Dieu ? Ou pour le dire autrement : Jésus a-t-il toujours été Dieu ou bien l’est-il devenu à un instant du temps, que ce soit entre sa conception et sa naissance ou plus tard durant sa vie terrestre ?
Qu’est-ce que Jésus reçoit de sa mère ?
Or le Verbe éternel s’est uni à la nature humaine dès sa conception par l’Esprit saint dans le sein de la Vierge Marie. La nature divine n’est pas venue s’ajouter un beau jour à un embryon ou à un fœtus humains, pas plus qu’elle ne s’est greffée sur l’enfant nouveau-né, ou bien sur l’adulte plongé dans les eaux du Jourdain, ou encore sur l’homme crucifié puis ressuscité. À aucun moment la nature humaine de Jésus n’a existé autrement qu’unie substantiellement à la personne du Verbe. En Jésus, il n’y a pas deux personnes, mais une seule, la personne divine et éternelle du Fils, qui assume dans le temps la nature humaine en se l’unissant pour toujours.
Qu’est-ce que Jésus reçoit de sa mère ? Jésus ne reçoit pas de Marie l’existence, puisqu’il existe avant elle. Encore moins la divinité, puisqu’il était Dieu de toute éternité. Ce qu’il reçoit d’elle, c’est d’être un homme, car il ne l’était pas. Ça ne lui manquait pas à lui de ne pas être un homme. Mais il nous aurait manqué à nous qu’il ne le soit pas. On peut donc résumer par un syllogisme : Marie est "mère de Jésus", comme l’enseignent les évangiles. Or Jésus est Dieu et l’a toujours été. Donc Marie est mère de Dieu. Et donc Nestorius a été légitimement condamné par le concile d’Éphèse (431) qui a consacré le titre de theotokos, c’est-à-dire Mère de Dieu. CQFD. Sous le vocabulaire technique que l’Église a dû déployer pour expliciter le mystère, c’est d’une simplicité biblique.
Être la mère de Dieu
"Marie Mère de Dieu" est tellement un titre d’une simplicité biblique qu’on peut le faire remonter à l’Écriture. N’est-ce pas Élisabeth qui s’écrie, devant Marie : "D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur daigne venir jusqu’à moi ?" (Lc 1, 43.) Inspirée par l’Esprit-Saint, Élisabeth est théologienne, puisqu’en qualifiant Marie de "Mère du Seigneur" elle ouvre la voie au titre de "Mère de Dieu" qui lui est synonyme. Monsieur Jourdain de la théologie, Élisabeth proclame des dogmes sans en avoir l’air, sans même le savoir. Au concile d’Éphèse, l’Église n’a fait que se ranger à son avis.
Marie est la seule mère au monde à avoir été choisie et aimée par son fils avant même qu’elle puisse imaginer concevoir un enfant.
Être mère de Dieu, voilà qui n’est pas commun ! On plaisante souvent en disant que seule une mère juive pouvait avoir l’idée que son fils soit Dieu. Mais la réalité a de quoi donner le vertige plutôt que matière à plaisanterie. Car la réalité de l’Incarnation nous oblige à penser l’inconcevable : Marie a fait faire à Jésus ses premiers pas sur la terre qu’il avait lui-même créée ! Marie a enseigné ses premiers mots au Verbe de Dieu ! Marie a fait prier l’enfant Jésus sur ses genoux, lui qui est Dieu ! C’est cela, être la mère de Dieu. C’est aussi la fugue à douze ans, plus tard le reniement apparent devant tous les disciples ("Qui est ma mère et qui sont mes frères ?" Mc 3, 33). Et tout cela s’achève par la Croix et la détresse infinie d’une mère que la foi seule fait tenir encore debout lorsque presque tous ont fui. Être la mère de Dieu, c’est tout cela. Mais c’est aussi un privilège unique pour une mère : Marie est la seule mère au monde à avoir été choisie et aimée par son fils avant même qu’elle puisse imaginer concevoir un enfant. Marie a été choisie et aimée par son fils de toute éternité. Et son fils, c’est Dieu.
Par elle, Jésus est devenu notre frère
Entrer dans le regard de Marie sur Jésus suffirait à justifier que l’Église nous invite à célébrer la solennité de Marie Mère de Dieu au terme de l’octave de Noël. Mais il faut ajouter que le titre de "Mère de Dieu" reconnu à Marie concerne tous les chrétiens dans leur relation personnelle au Christ. En effet, Dieu aurait pu créer ex nihilo un corps humain pour son Fils, et n’aurait pas été moins homme. Il aurait pu nous sauver ainsi, et nous l’aurions adoré comme vrai Dieu et vrai homme. Notre foi n’aurait pas été si différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Mais parce qu’alors il ne serait pas né d’une femme, Jésus n’aurait pas été véritablement notre frère. En naissant de la Vierge Marie, Jésus est devenu notre frère et non pas seulement notre semblable. Il est donc capital pour notre foi que Marie soit vraiment "Mère de Dieu".
Au terme de ce parcours, un constat s’impose : Nestorius avait tort, et l’enfant que j’étais également. Ce n’est pas anecdotique. Un dominicain très sage faisait remarquer qu’on peut juger de la qualité d’un théologien à ses écrits sur la Vierge Marie. Si sa doctrine mariale pèche par excès ou par défaut, l’expérience prouve que c’est toute sa théologie qui est déséquilibrée. Ou pour le dire en termes moins châtiés, celui qui refuse de dire "mère de Dieu" finit toujours par dire "m… à Dieu". Avec Marie, disons plutôt "oui" à Dieu. Prier et célébrer la theotokos nous mène vers le Ciel. Faire sa juste place à la Mère de Dieu dans notre vie nous garantit la plus belle place dans le Royaume.