Est-ce la rançon de l’individualisme ? Nombre de mes amis catholiques ont désormais « leur » pape, vivant ou défunt. Chacun semble faire son marché, selon ses envies, révérant les enseignements d’un pontife, pas d’un autre. En 1995, l’encyclique L’Évangile de la vie de Jean Paul II avait divisé. C’est au tour de Laudato si’ (2015) ou de Fratelli tutti (2020). Pour d’honorables personnalités, le pape Francois aurait même fait de l’écologie sa « religion » personnelle, à la mode. Qu’en est-il ?
Le premier chapitre de Laudato si’, longue description des blessures infligées à la planète mais aussi aux pauvres (culture du déchet, perte de biodiversité, montée des inégalités etc.), s’achève par ces mots cinglants : « L’humanité a déçu l’attente divine » (LS, 61). C’est l’expression à mes yeux la plus poignante du texte. Certains s’étonneront-ils qu’un pape prétende savoir ce que Dieu pense de nous ? Or, la phrase est une citation... de saint Jean-Paul II, tirée de son audience du 17 janvier 2001 ! Elle avait pour titre : « L’engagement pour éviter une catastrophe écologique majeure. » En insérant cet extrait dans son encyclique, le pape François lui donne un statut éminent.
Voilà ce qu’avait affirmé Jean Paul II ce jour-là : « Malheureusement, si le regard parcourt les régions de notre planète, il s'aperçoit immédiatement que l'humanité a déçu l'attente divine. À notre époque, en particulier, l'homme a détruit sans hésitation des plaines et des vallées boisées, il a pollué les eaux, défiguré l'environnement de la planète, rendu l'air irrespirable, bouleversé les systèmes hydrogéologiques et atmosphériques, désertifié des espaces verdoyants, accompli des formes d'industrialisation sauvage, en humiliant — pour utiliser une image de Dante Alighieri — ce “parterre” qui est la terre, notre demeure. »
Même filiation entre François et l’actuel pape émérite : dans La Charité dans la vérité (Caritas in veritate, 2009), Benoît XVI écrit : « La question sociale est radicalement devenue une question anthropologique » ; dans Laudato si’, son successeur décline la formule : « Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » (LS, 118). Puis François, au nom du respect de tout être humain, récuse le fantasme de la surpopulation, qui est pourtant l’obsession convenue de la plupart des penseurs de l’écologie politique. Il affirme aussi : « Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement » (LS, 120).
Au nom de la cohérence, l’écologie intégrale fusionnera le triptyque : questions environnementales, sociales et anthropologiques.
S’il est un texte qui illustre la cohérence entre les trois derniers papes, c’est le message de Benoît XVI pour la Journée mondiale de la paix 2007. L’actuel pape émérite commence par citer son prédécesseur : « Dans l'encyclique Centesimus annus, Jean Paul II écrit : “Non seulement la terre a été donnée par Dieu à l'homme qui doit en faire usage dans le respect de l'intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l'homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté”. » Puis Benoît XVI pose les prémices de l’écologie intégrale du pape François : « En plus de l'écologie de la nature, il y a donc une “écologie” que nous pourrions appeler “humaine”, qui requiert parfois une “écologie sociale”. Et cela implique pour l'humanité, si la paix lui tient à cœur, d'avoir toujours plus présents à l'esprit les liens qui existent entre l'écologie naturelle, à savoir le respect de la nature, et l'écologie humaine. L'expérience montre que toute attitude irrespectueuse envers l'environnement porte préjudice à la convivialité humaine, et inversement. »
Le fameux « Tout est lié » de François apparaît en filigrane. Au nom de la cohérence, l’écologie intégrale fusionnera le triptyque : questions environnementales, sociales et anthropologiques. Les rendre indissociables, voilà l’innovation du pape François ! Il la traduit avec son génie pastoral : « Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap — pour prendre seulement quelques exemples — on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié » (LS, 117).
À chacun de décider si sa lecture d’un texte papal vise à vérifier qu’il est d’accord avec lui, ou à se laisser surprendre, bousculer et convertir par l’appel de l’Évangile à davantage de cohérence.