Pour de nombreux Polonais, la cérémonie de béatification du cardinal Wyszynski, célébrée en même temps que celle de Mère Roza Czacka ce dimanche 12 septembre à Varsovie, est emblématique. Nommé cardinal par le pape Pie XII en 1952, le primat de Pologne est un héros de la lutte pour la liberté religieuse dans son pays du temps du régime communiste. Lors du conclave qui élit Jean Paul II le 16 octobre 1978, il joue également un rôle clé : sans son conseil et son soutien, Karol Wojtyla n’aurait probablement pas accepté de devenir pape.
Une célèbre séquence, au moment de la messe d'inauguration pontificale le 22 octobre 1978, symbolise leur amitié d’exception : il s’agenouille, embrasse la main de Jean Paul II, puis tombe dans ses bras.
"C’était bien sûr un tandem historique de l’Eglise de Pologne : les deux hommes ont lutté côte à côte contre les autorités communistes pendant des décennies. Mais leur relation était extraordinaire pour bien d’autres raisons", explique à Aleteia Marek Zajac, l’auteur de Kwiatki Wyszynskiego, (Les fioretti de Wyszynski, en français, ndlr) livre biographique sur le bienheureux.
Selon lui, les deux hommes avaient des personnalités complètement différentes : le tempérament, la différence de génération et d'origine sociale. Pourtant, leur amitié à la fois spirituelle et humaine était impressionnante. L’un très prince de l’Eglise, l’autre célébrant la messe avec comme autel son canoë…
"Imaginez ces deux géants avec chacun un charisme hors du commun. D’habitude, dans ce genre de relation, l’un a du mal à coexister avec l’autre. Mais entre Wyszynski et Wojtyla, il n’y avait aucune rivalité. Ils se comprenaient sans mots. Chacun savait parfaitement se concentrer sur ses propres responsabilités et rester dans l’ombre quand il fallait soutenir celles de l’autre. Le lien qui unissait les deux prélats polonais était celui d’une amitié profonde, spirituelle et authentique. Avec toujours un respect mutuel étonnant, caractérisé par un vouvoiement que les deux hommes ont gardé jusqu’à la fin", explique le biographe.
Pour lui, la relation entre le primat de Pologne et Jean Paul II est comparable avec celle entre un père et un fils. Et elle touchera sa quintessence lors de leur dernière conversation téléphonique trois jours avant la mort du cardinal Wyszynski.
Nous sommes le 25 mai 1981. Jean Paul II est entre la vie et la mort dans la clinique Gemelli à Rome après la tentative d’assassinat du 13 mai 1981. Le cardinal Wyszynski est en train de mourir d’un cancer à Varsovie. La conversation entre les deux amis n'est possible que par téléphone. Mais le primat de Pologne est incapable de se lever de son lit. Il faut alors tirer le câble de l’appareil jusqu'à sa chambre. Il respire difficilement, des mots sortent de sa bouche en rafales, notés par les proches du prélat :
"Saint-Père, Père, je suis très faible… Merci pour votre rosaire, c'est un réconfort pour moi... Père.... Nous sommes unis par la souffrance... Prions l'un pour l'autre. La Sainte Vierge Marie est entre nous... Tout espoir est en elle... Père, j'embrasse vos pieds... Bénissez-moi... Père, Père, Bénissez-moi encore une fois. Amen. Amen. Amen."
Le primat de Pologne sait que sa mort est proche et que cette conversation avec son ami est la dernière. Ce qu’il ne sait pas, c’est que Jean Paul II va survivre à l'attentat. Il meurt trois jours plus tard, le 28 mai 1981. Depuis sa chambre d’hôpital, Jean Paul II s’associe aux funérailles qui ont lieu à Varsovie, place de la Victoire, là où lui-même a célébré la messe historique du 2 juin 1979. Ce fameux jour où, en pleine homélie, le Pape a prononcé cet appel qui devait éveiller l’élan national de Solidarnosc : « N’ayez pas peur ». Son ami, le cardinal Wyszynski était juste à côté de lui. Comme toujours.