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L’œuvre de Dieu, c’est de répondre à l’amour par l’amour

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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 31/07/21
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La vie chrétienne n’est pas une logique comptable : c’est la réponse de l’amour au don de l’amour.

Devant le miracle de la multiplication des pains, les juifs reconnaissent que Jésus est un prophète dans la lignée de Moïse. Mais Jésus essaie de les amener plus loin que cette simple reconnaissance d’autorité qui n’est littéralement qu’une reconnaissance du ventre. Il y a un saut qualitatif à faire, sans quoi le chien Médor qui fait la fête à son maître en frétillant de la queue lorsque ce dernier rentre du travail avec des croquettes serait un modèle de foi : "Il me nourrit ? C’est mon maître, je l’adore !" 

Il faut passer de la reconnaissance du ventre à autre chose. Les juifs qui entourent Jésus sont bien conscients de cette exigence et n’en restent pas là. L’Esprit saint travaille déjà leur cœur, de manière à les amener progressivement à reconnaître le Christ comme leur Seigneur et leur Dieu. Mais la question qu’ils choisissent de poser à Jésus reste typique de la mentalité de l’Ancienne Alliance : "Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?" (Jn 6, 24-32.)

Cette mentalité n’est pas méprisable, c’est même l’attitude spontanée de l’homme religieux : il s’agit de "faire" des choses pour Dieu. Et l’on espère, en retour, quelque faveur de Dieu. C’est l’économie du don et du contre-don qui fonde la plupart des religions antiques, judaïsme compris. Et puisqu’Israël a reçu la révélation d’un Dieu personnel absolument transcendant qui peut tout demander aux hommes puisqu’il a tout créé, les exigences de ce Dieu sont infinies. Dès lors, ce "faire" pour Dieu se décline dans les moindres choses de la vie quotidienne, comme il arrive pour les juifs pieux qui observent scrupuleusement les 613 commandements de la Torah.

Sans la foi, animée par la charité, ces œuvres n’ont aucune valeur, et perdent tout à la fois leur signification et leur efficacité salutaire.

À la question des juifs : "Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?" (au pluriel), Jésus répond : "L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé" (au singulier). Comme souvent dans ses discussions avec les autorités juives ou avec les foules, Jésus ramène le multiple à l’unité, en prenant les choses de plus haut. Ce qui importe n’est pas l’observance scrupuleuse d’un catalogue de préceptes, mais l’unique acte de foi qui inspire toutes ces œuvres diverses. C’est de la foi en Dieu et en Jésus, le Fils unique envoyé du Père, que découlent toutes les œuvres que la Loi détaillait : sans la foi, animée par la charité, ces œuvres n’ont aucune valeur, et perdent tout à la fois leur signification et leur efficacité salutaire. 

Mais la réponse de Jésus ne doit pas nous endormir. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’avoir été libéré par le Christ du joug de la Loi et d’être soumis au seul commandement de l’amour de Dieu et du prochain, nous autres chrétiens soyons moins exigeants que nos frères aînés dans la foi en matière d’offrande de toute notre vie à Dieu et d’obéissance à sa volonté. Il ne faudrait pas non plus que, sous prétexte de supériorité de la foi sur les œuvres et de gratuité absolue de la grâce divine, sans considération des mérites antérieurs, nous envisagions la vie chrétienne comme un repos tranquille où nous serions dispensés de collaborer activement à l’œuvre de Dieu par toute notre intelligence et notre volonté. Cependant la réponse de Jésus n’est pas sans soulever un paradoxe. Si "l’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé", est-ce qu’il s’agit d’un "faire" de la part de Dieu ou de la part de l’homme ? Autrement dit, l’acte de foi en Jésus-Christ est-il l’œuvre de Dieu en l’homme ou bien l’œuvre propre de l’homme ?

L’acte de foi, comme tout acte bon, est tout entier un acte de Dieu et un acte de l’homme.

Comme toujours, c’est l’un et l’autre. Il n’y a guère que le péché dont nous puissions réclamer la paternité exclusive. Mon péché est à moi, rien qu’à moi. Pour tout le reste, pour tout ce que ma vie a de bon, de beau, de grand, de vrai, c’est une coproduction entre Dieu et moi. L’acte de foi n’y échappe pas : c’est Dieu qui le suscite, l’accompagne, lui donne de porter du fruit. Mais si Dieu enveloppe de toute part mon acte de foi, c’est bien mon acte de foi, qui exige mon consentement actif à la grâce à chaque instant. De sorte que l’acte de foi, comme tout acte bon, est tout entier un acte de Dieu et un acte de l’homme.

Aux juifs qui se satisfaisaient à bon compte d’avoir eu l’estomac rassasié par la multiplication des pains, Jésus avertit : "Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle." Les psychologues affirment qu’une étape importante de la croissance d’un enfant se caractérise par la capacité à choisir de différer une satisfaction immédiate en vue d’obtenir plus tard une satisfaction plus grande. C’est le bon sens même, mais ce n’est pas exactement ce que Jésus propose. Si Jésus invitait à la privation provisoire en vue d’un gain promis, il serait au mieux un économiste rationnel ou un coach sportif en plein discours de motivation ("no pain, no gain !"), au pire un ennemi du genre humain. Et la critique athée d’un Nietzsche aurait beau jeu de ridiculiser cet anéantissement de l’élan vital et du plaisir au profit d’un bonheur seulement promis dans quelque arrière-monde incertain.

En réalité, le premier mouvement de Jésus, parce qu’il est Dieu, est toujours de donner. Ce qui est donné doit être reçu, avec gratitude, et non pas repoussé au motif que ce serait un signe en vue d’autre chose. À nouveau, la logique divine n’est pas celle du "ou bien ou bien" : ou bien la jouissance d’un bien périssable mais alors on perdrait la promesse d’un bien éternel encore à venir, ou bien la privation d’un bien périssable au profit de ce bien éternel promis. La logique divine est celle du "et, et" : et ce bien périssable, et ce bien éternel, parce que Dieu donne pour donner encore, et mieux.

Jésus nous invite à sortir d’une logique comptable pour entrer dans sa folie divine. Jésus nous invite aussi à sortir de cette bizarre culpabilité catholique selon laquelle une grâce reçue devrait nous inquiéter tant elle serait le signe d’une exigence radicale ou d’un châtiment à venir : "Mon Dieu, pourquoi tant de grâces ? Qu’est-ce qui va me tomber dessus ?" En réalité, Dieu donne pour donner encore. La seule réponse qu’il attend est celle de la foi et de l’amour, qui ne se mesure pas en œuvres aussi louables soient-elles. Lorsque nous faisons une œuvre bonne, ce n’est pas pour rétablir la balance des paiements entre le Ciel et la terre, mais pour répondre à l’amour par l’amour.

C’est peut-être ce que Paul avait en vue lorsqu’il exhortait les chrétiens d’Éphèse : "Vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée" (Eph 4, 17.20-24). Le petit païen qui sommeille dans chaque baptisé, et espère obtenir la faveur de la divinité par quelque sacrifice, doit être délogé pour faire place à cet "homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité". Alors ce ne sont plus 613 commandements qui guideront notre conduite, mais l’Esprit saint qui improvisera avec nous et en nous les œuvres de l’amour. Ce chef-d’œuvre, tout entier de Dieu et tout entier de l’homme, c’est la vie chrétienne qui commence par la grâce sur la terre et s’achève dans la gloire du Ciel.

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