« Espérons ! » Étonnant graffiti, apparu récemment à proximité d’une école primaire. On ne sait s’il s’adresse aux enfants ou à leurs parents, s’il concerne l’avenir professionnel des écoliers ou la survie de l’enseignement lui-même. Peut-être le lieu est-il choisi sans intention, seulement parce que beaucoup de gens y passent. Pour tous, au cœur d’un monde largement désenchanté, s’agirait-il donc simplement d’espérer ?
Sans autre contexte qu’un mur gris, ce graffiti « espérons ! » résiste à l’interprétation, mais il est au minimum inhabituel par contraste. Ce n’est a priori ni un défi anonyme fanfaron (« Société, tu m’auras pas »), ni l’expansion publique et narcissique d’une émotion intime (« Je t’aime, Géraldine ! »). Ce qui frappe est la première personne du pluriel. L’adepte du graffiti s’intègre rarement dans son invective. Il dit généralement « tu » ou « vous », soit parce qu’il prétend ne pas agir comme les autres, soit parce qu’il va de soi qu’il ne conseille que ce qu’il pratique depuis longtemps : il écrit « Faites l’amour, pas la guerre » ou « Votez Chirac », étant entendu que le sexe ou le vote RPR n’ont plus de secret pour lui. Au contraire, dans ce graffiti original qui appelle à espérer, l’auteur s’inclut dans le groupe auquel il s’adresse. Il suggère qu’on ne peut espérer qu’à plusieurs, en postulant une communauté.
« Entrez dans l’Espérance » est bien différent, car le verbe « entrer » fait de l’Espérance non pas une abstraction, mais un lieu qui nous précède et nous attend.
Espérer peut-il toutefois devenir une injonction ? « Le verbe lire, écrivait Daniel Pennac en son temps, ne supporte pas l’impératif. Aversion qu’il partage avec quelques autres. » Difficile de dire « Rêvez ! », en effet, et vain, sans doute, de dire « Votez ! » Un appel à espérer n’a-t-il, de même, aucun sens ? Si c’est d’espoir que l’on parle, peut-être.
Jean Paul II, en revanche, situa l’enjeu à une autre hauteur, quand il osa proclamer : « Entrez dans l’Espérance ! » Tout sépare son impératif de notre graffiti, car celui qui écrit « espérons ! » serait bien en peine de nous dire ce qui fonde son espoir. Quand « espérons ! » est dit à haute voix, l’intonation est d’ailleurs souvent désabusée : elle transforme presque le mot d’ordre en antiphrase ironique. « Entrez dans l’Espérance » est bien différent, car le verbe « entrer » fait de l’Espérance non pas une abstraction, mais un lieu qui nous précède et nous attend. Le lieu d’une promesse, c’est-à-dire un lieu à la fois habité par une parole passée et un lieu à féconder. En ce sens, l’Espérance est un royaume et, seul royaume véritable, elle est le déploiement de la présence attentive de son Roi.
On mesure ainsi l’écart entre l’appel mécanique à l’espoir, masque du néant repeint aux couleurs du progressisme, et la proclamation de l’Espérance, qui transmet un trésor reçu à faire fructifier. Il y a quelques années, Tim Guénard appelait les chrétiens à être des « tagueurs d’Espérance ». Si on tient absolument à témoigner de ce royaume sur un mur, il est vital de ne pas oublier d’indiquer la porte qui permet d’y entrer.