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La Septante, la première Bible des chrétiens

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Une page du Codex Vaticanus

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Hans Ausloos - publié le 24/05/21
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La septante est la première traduction de l’Ancien Testament, dont les livres d’origine ont été écrits en hébreu et en araméen. Cette traduction en grec a été réalisée entre la première moitié du IIIe siècle avant Jésus-Christ et le début du IIe siècle de notre ère, une période de presque 400 ans.

Les premiers témoignages historiques de la Septante remontent au IIe siècle avant Jésus Christ. Parmi les textes qui parlent de la Septante, le plus important, qui néanmoins n’est pas simple à appréhender, est La lettre d’Aristée. Cette lettre, datée du IIe siècle avant Jésus-Christ, est un document juif qui raconte comment la Loi des Juifs a été traduite de l’hébreu en grec par soixante-douze savants juifs venus à Alexandrie vers le milieu du IIIe siècle avant J.-C., pendant le règne de Ptolémée II Philadelphe. Ce texte se présente comme une lettre, mais il a plutôt un caractère apologétique, il cherche à défendre quelque chose. On apprend dans cette lettre qu’en Alexandrie, au IIIe siècle avant J.-C., dans la ville récemment fondée par Alexandre en contexte hellénistique, le responsable de la bibliothèque propose au roi de faire une traduction des Écritures juives en grec. Il ne s’agit alors que d’une partie de ce que l’on appelle dans la culture chrétienne l’Ancien Testament, à savoir les cinq premiers livres de la bible juive, qui constituent le Pentateuque, ou plus précisément la « Torah » à une époque où le christianisme n’existait pas. Le roi donne son accord et il demande d’envoyer quelqu’un à Jérusalem pour demander au grand prêtre d’envoyer une délégation de savants juifs en Alexandrie.

Sont alors sélectionnés, pour chacune des douze tribus d’Israël, six représentants. C’est ainsi que septante-deux (vocable usité en Belgique qui signifie soixante-douze en français) savants sont envoyés en Alexandrie pour traduire la Torah. À leur arrivée, ces savants sont accueillis avec un banquet, puis commencent à traduire les cinq livres du Pentateuque, de manière indépendante. La traduction achevée en septante-deux jours, les cinq premiers livres de l’Ancien Testament en grec seront accueillis sous le nom de Septante. La Septante fait donc à ce moment-là uniquement référence aux cinq premiers livres de l’Ancien Testament dans leur version grecque, puisque seuls ces cinq livres ont été traduits en Alexandrie selon La lettre d’Aristée.

À partir du IIe siècle, le mot Septante ne désigne donc plus uniquement le Pentateuque mais l’ensemble de la bible grecque.

Par la suite, les autres livres de la Bible hébraïque (Prophéties, livres historiques, Sagesses, Psaumes, etc.) ont été traduits en grec, comme par exemple le livre des Juges, le livre de Jérémie et tous les autres livres de l’Ancien Testament. Par extension, ces traductions plus récentes seront considérées comme des textes de la Septante. Cela va plus loin encore, puisque plusieurs livres, comme le livre des Maccabées ou le livre de la Sagesse, absents du canon juif et écrits directement en grec, sont aussi intégrés à la Septante. À partir du IIe siècle, le mot Septante ne désigne donc plus uniquement le Pentateuque mais l’ensemble de la bible grecque.

Plusieurs théories existent pour expliquer le caractère apologétique de la lettre d’Aristée. Selon elle en effet, les 72 traducteurs ont traduit indépendamment les uns des autres et sont arrivés à une unique traduction. Vraisemblablement, il s’agit de légitimer la traduction grecque de la Torah. Pour les juifs de Terre sainte, la Sainte Bible était rédigée en langue hébraïque, et la validité d’une traduction constitue un enjeu théologique important : le texte grec peut-il être considéré comme un texte inspiré, s’agit-il encore de la Parole de Dieu ? Le récit de la traduction permet de donner ses lettres de noblesse à la Septante au moment où l’on commence à l’utiliser.

La traduction des cinq premiers livres, le Pentateuque, a été réalisée, d’après cette lettre, au début du IIIe siècle avant J.-C.. Pour les autres livres on ne sait pas exactement, entre le IIIe avant J.-C. et le IIe siècle de notre ère ; on pense en particulier que l’Ecclésiaste a été traduit au IIe siècle, et il est tout de même considéré comme appartenant à la Septante.

Puisque toute traduction est déjà une interprétation, il y a un problème de principe à traduire un texte sacré. En particulier, la Septante présente des différences nettes avec la version des Écritures utilisée par les juifs d'aujourd'hui, qui font ressortir des options théologiques. Cela interroge sur la valeur de ces options, et sur la date de leur apparition dans les textes. La Septante n’est pas tout à fait identique aux textes hébraïques. Les textes originaux de la Bible ont été écrits principalement en hébreu, parfois en araméen, et certains en grec. Entre la Septante et la bible utilisée aujourd’hui par les juifs (ce que l’on appelle le texte massorétique), on observe plusieurs différences. Par exemple, dans la Septante, les psaumes 9 et 10 sont regroupés en un seul, le livre de Jérémie est nettement plus court et les chapitres ont un ordre différent ; d’autres au contraire, comme les livres de Job, et d’Esther, ont des suppléments. De plus, en ce temps, chaque livre était écrit sur un rouleau distinct. Quand, à partir du IIe siècle, on a collectionné les rouleaux différents dans un « codex » (un livre composé de pages reliées ensemble), on a dû prendre des décisions concernant l’ordre des « livres » bibliques. L’ordre est différent entre les deux versions, hébraïque et grecque. Une hypothèse pour expliquer cette différence est qu’elle traduit un enjeu théologique.

L’ordre des livres de la Septante propose une ouverture vers l'espérance chrétienne.

La version hébraïque suit l’ordre suivant : la « Torah », la Loi, puis les « Nevi’im », les prophètes, enfin les « Ketouvim » — d’où le mot « Tanakh » qui regroupe les initiales des trois parties, les autres écrits. La « Torah » parle du don de la Loi de Dieu, les prophètes en sont les médiateurs, tandis que dans les autres écrits (comme le livre des Psaumes), on lit la réponse humaine à la Loi divine. Dans la Septante, le récit commence aux origines : la Création, et l’histoire primitive du peuple israélite ; au milieu se trouve le présent, les Psaumes, la louange, et les prophètes sont placés à la fin. Cet ordre vient peut-être d’une influence chrétienne, car les prophètes sont considérés comme annonceurs de la venue du Christ, et ils représentent ainsi le futur qui sera réalisé par Jésus. L’ordre des livres de la Septante propose ainsi une ouverture vers l'espérance chrétienne.

Il est légitime de se demander si les traducteurs ont introduit une théologie particulière dans le texte. En effet, il y a encore d’autres différences claires entre la Septante et les textes hébraïques. Par exemple dans la Genèse, il est dit dans le texte massorétique que Dieu acheva ses œuvres au septième jour, tandis que la Septante affirme que Dieu acheva ses œuvres au sixième jour. En contexte juif, le septième jour est un jour de repos complet, donc la seconde version est plus décisive. Cependant, on ne sait pas si ce sont les traducteurs qui ont modifié le sens du texte, ou si le texte sur lequel ils travaillaient avait déjà ce sens-là. En effet, il y avait alors plusieurs manuscrits des livres du Pentateuque, et il est bien possible que les traducteurs aient utilisé un original différent du texte hébreu qui nous est parvenu. Nous ne sommes pas capables de dire quel est le texte originel.

Dans l’Exode 4, 24, il y a un passage très problématique : le texte hébraïque affirme que Dieu aborda Moïse et chercha à le faire mourir. Quelqu’un a sans doute refusé ces termes et a affaibli le texte, ce qui a conduit à remplacer « Dieu » par « un ange du Seigneur » dans la Septante ; ainsi ce n’est pas Dieu directement qui aurait cherché à tuer son prophète. Pour autant, est-ce le traducteur grec qui a changé le sens, ou la modification avait-elle déjà été apportée dans le texte utilisé pour la traduction ? Il faut être prudent avant d’affirmer que c’est la Septante qui a modifié le sens.

Le christianisme s’est largement approprié la Septante, d’abord puisque les évangélistes ont travaillé en grec ; ensuite parce que la théologie de la Septante correspond bien au message chrétien. Pour les premiers chrétiens, la Septante fut très importante car les évangiles ont été écrits presque tous en grec et comportent de nombreuses allusions à l’Ancien Testament, pour lesquelles la traduction grecque a été utilisée. Ainsi la Septante est considérée comme la première bible des chrétiens. C’est probablement pour cette raison que certains juifs se sont opposés à la Septante, bien qu’elle fût à l’origine une entreprise juive. Les juifs ont cessé d’utiliser cette traduction, précisément parce qu’elle était utilisée par les chrétiens. En réaction, des révisions furent apportées aux Ier et IIe siècles à la traduction grecque par des savants juifs. La traduction de la Septante étant considérée comme trop interprétative, la révision d’Aquila par exemple aboutit à une nouvelle traduction beaucoup plus littérale.

La traduction grecque se prête bien à l’interprétation messianique. En particulier cette nouvelle version évite le mot grec Christos, qui est très important pour le Nouveau Testament, et qui se trouvait dans la Septante. En effet, il avait été utilisé pour traduire le mot Messiah, l’« oint de Dieu », et il est évité par Aquila car il est lourd de sens dans le christianisme, et d’autres mots plus neutres sont cherchés à la place. De manière générale, des résistances subsisteront parmi les juifs aux traductions, notamment la Septante, et ils privilégieront le retour aux textes hébraïques.

Une autre marque de l’influence de la traduction grecque de la Septante se trouve dans Matthieu 1, 23 : « La vierge sera enceinte. » Il s’agit d’une référence à l’Ancien Testament, dans lequel le mot almah, jeune fille, a été traduit en grec par parthenos, qui signifie jeune fille ou vierge. En se référant à la Septante, les auteurs néo-testamentaires ont utilisé ce dernier sens, ce qui fait de ce texte un texte messianique.

Puisque leurs genèses respectives sont liées, on peut s’interroger sur l’influence du christianisme sur la Septante. Cette dernière, un temps considérée comme secondaire et suspecte, fait partie des plus anciennes sources historiques, à une époque où les écrits étaient déjà multiples. La Septante présente donc un intérêt à la fois pour l’Église et la recherche car elle apporte un éclairage original et s’ancre dans une période complexe.

Lorsqu’on a commencé à étudier la Septante de manière scientifique au début du XXe siècle, et que l’on observait les différences d’avec le texte hébraïque, la conclusion était presque systématiquement de dire que la Septante était secondaire, parce qu’elle avait modifié le texte et était donc de moindre valeur. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, et en particulier grâce à la découverte de nombreux manuscrits hébreux à Qumrân, on sait qu’au début de notre ère, entre les IIe siècles avant et après J.-C., il y avait déjà une grande pluralité de textes. Par exemple, le livre de Jérémie est presque 3000 mots plus courts dans la Septante que le texte hébraïque : on a d’abord conclu que les traducteurs avaient supprimé une partie du texte originel. À Qumrân, nous avons trouvé un texte en hébreu qui est presque identique au texte grec, également plus court que le texte que nous connaissons du livre de Jérémie. La Septante n’est donc pas nécessairement une version secondaire.

Au contraire, car l’ensemble de textes hébraïques le plus complet que nous ayons pour le texte massorétique date du XIe siècle, tandis que les codex grecs les plus complets remontent au IVe ou Ve siècle. Ils sont plus anciens que les textes hébraïques, ce qui rend la Septante très importante pour la recherche puisqu’elle nous donne des textes matériellement plus anciens que les textes hébraïques bien qu’elle soit une traduction.

La Septante a aussi été à l’origine de la première traduction latine de l’Ancien Testament, la Vetus Latina, qui est plus ancienne que la Vulgate de saint Jérôme, qui est une traduction directe des textes en hébreu. Si par la suite c’est la Vulgate qui a servi de référence, les pères grecs de l’Église, comme les évangélistes, ont utilisé la Septante pour citer l’Ancien Testament De plus, les textes dits « deutérocanoniques » de l’Ancien Testament, c’est-à-dire canoniques pour l’Église catholique, mais non reconnus par le judaïsme puis le protestantisme, tels que le livre des Maccabées ou le livre de Judith, ont été écrits en grec. Le livre des Maccabées, en particulier, a une grande importance théologique, car il mentionne la résurrection des morts. La Septante a donc été la première source du christianisme, et continue de constituer une référence pour la recherche scientifique car les textes témoignent d’un texte parfois plus ancien que les textes hébraïques disponibles.

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