Yves Hélory, du manoir de Kermartin près de Tréguier (côte d’Armor), est fêté le 19 mai, jour anniversaire de sa mort. Il eut plusieurs vies : l’une consacrée à l’étude, surtout de la théologie et du droit, l’autre adonnée à la justice en tant que juge (official), la troisième en tant que prêtre dans deux paroisses rurales du diocèse de Tréguier, auxquelles il faut encore ajouter une quatrième, ses dernières années, vouée à la vie mystique et au service des pauvres, une fois en retraite de ses activités officielles.
Le rayonnement de sa sainteté aboutit à une enquête de canonisation — l’une des plus anciennes de l’histoire de l’Église —, qui se déroule à Tréguier du 23 juin au 4 août 1330. Vingt-sept ans après sa mort, en 1347, Yves est proclamé saint. Les 52 témoins interrogés durant le procès de canonisation, ont la plupart connu « Dom Yves », ainsi qu’ils l’appellent, au cours du dernier tiers de sa vie, en tant qu’official de Tréguier et « curé de campagne ». C’est aussi le cas de certains des 180 autres témoins qui disent avoir bénéficié d’une grâce ou d’une guérison. Leurs témoignages, traduits par l’historien J.-P. Le Guillou en 1989, dessinent le portrait d’une personnalité ardente dans la foi et la charité.
Saint Yves, un homme dévoué aux pauvres
La vie de Dom Yves s’organise autour de trois pôles : une prière intense, qui va parfois jusqu’à l’extase, une grande ardeur à « prêcher la parole de Dieu », en chaire bien sûr mais aussi dans des circonstances plus informelles, et un dévouement de plus en plus radical aux pauvres et aux démunis, dont il partage le mode de vie depuis qu’il a adopté un vêtement et une nourriture sommaires, « pour ramener les brebis du Seigneur à l’amour du Christ », comme l’atteste l’un d’entre eux.
Toutes ses activités convergent dans l’eucharistie, célébrée souvent avec larmes par ce « prêtre saint », comme disent les gens. Une famille divisée témoigne de sa réconciliation après avoir assisté à sa messe (témoin n. 13). Une autre fois, à l’élévation, un vagabond auquel Yves avait la veille graissé les chaussures est ébloui par la lumière de l’hostie (t. 151).
Un témoin se souvient que ses parents recevaient Yves dans leur manoir : « Dom Yves fut un homme très pacifique et très paisible. Il parlait peu en effet, sauf pour parler de Dieu et dire ce qui mène au Salut. Il ne se mettait pas en colère, mais se tenait pacifique et paisible. Et ses paroles, il les prononçait avec bienveillance et patience ; il écoutait parler les autres avec un cœur paisible. Toujours dans les mêmes lieux que j'ai dit, je l'ai vu souvent converser ainsi. Dans ses paroles venaient très souvent les mots : “Jésus-Christ, fils de Dieu” » (t. 4).
Saint Yves, un prédicateur charismatique
En chaire, il s’adresse à tous avec simplicité : « C'était un homme très humble. Il se comportait à l'égard de n'importe qui avec respect et humilité et, quand il prêchait, il poussait les gens par-dessus tout à l'humilité, disant que, s'ils étaient humbles et bienveillants, Dieu les exalterait et leur ferait du bien » (t. 43). « Aux laïcs qui ne savaient pas lire, raconte un de ses fidèles, il recommandait de dire souvent le Notre Père, et il prêchait aussi cette pratique dans ses sermons » (t. 38).
Avant chaque messe et chaque sermon comme après, il priait très dévotement, parfois avec larmes.
« Il s'adonnait beaucoup à la prière et à la prédication. C'est ainsi que je l'ai vu maintes fois célébrer et prêcher dans son église et ailleurs avec tant de charisme et de ferveur que les gens ne pouvaient se rassasier de l'entendre. Avant chaque messe et chaque sermon comme après, il priait très dévotement, parfois avec larmes. Il lui arrivait fréquemment d'aller prêcher le même jour dans plusieurs endroits, et il rentrait parfois de ses prédications extraordinairement fatigué, comme j'ai pu m'en rendre compte moi-même » (t. 43). « Quand il voyait une personne en proie à la désolation ou s'écartant du chemin de la vérité, la compassion le poussait, et il se mettait à lui prêcher à elle toute seule. C'est ainsi que j'ai vu Dom Yves prêcher la parole de Dieu à une brave femme toute seule. Elle s'appelait X. et était de la paroisse de Y. Il lui prêchait dans sa maison parce qu'elle était alors désolée d'avoir perdu quelque chose » (t. 38).
Saint Yves, le confesseur
« J'ai entendu parler de lui avant de le connaître, témoigne ce pécheur repenti. Alors, j'ai voulu le voir [...], c'est à Louannec [la cure de Dom Yves] que je suis allé le trouver. Là, je me suis confessé à lui de mes péchés. Après cette confession, les saintes monitions de Dom Yves ont fait naître en moi de tels sentiments de repentir et de dévotion que je me suis mis à pleurer mes péchés amèrement, et j'ai commencé à aimer Dom Yves et à m'appliquer le plus possible à suivre ses traces. À partir de là, pendant deux ans [les deux dernières années de la vie d'Yves], je lui ai fait de fréquentes visites à Ker Martin et à Tréguier » (t. 14). Cet autre le vit pleurer en entendant sa confession : « Il m'est arrivé une fois de me confesser à lui ; il pleurait amèrement en m'écoutant, et je crois qu'il voulait m'amener à un vif regret de mes péchés » (t. 41).
Saint Yves, un artisan de paix
Prêtre et toujours juriste, il demeure artisan de paix en cherchant la conversion des cœurs avant toute chose, comme en témoigne ce père de famille, en conflit avec ses beaux-enfants : « Il est arrivé que j'avais depuis longtemps un procès avec X... et Y..., lesquels étaient fils de ma femme. Et personne ne pouvait arriver à nous mettre d'accord. Or un jour, moi et ma femme, et les fils de ma femme, nous nous trouvions dans l'église de Tréguier. Dom Yves me dit à peu près ceci : “Geoffroy, pour l'amour de Dieu, faîtes la paix, vous et votre femme, avec les fils de votre femme car moi, si cela vous agrée, je réglerai les choses à l'amiable entre eux et vous.”
J'ai répondu en substance ceci à Dom Yves : “Nous ne voulons d'autre paix que celle que nous donneront le droit et la justice.” Dom Yves nous répondit alors : “Attendez que je revienne vous trouver, car je vais célébrer la messe du Saint-Esprit et demander à Dieu de pouvoir renouer entre vous des liens de paix.” Dom Yves célébra cette messe et revint nous trouver et nous ne pûmes en aucune façon nous opposer à sa volonté. Bien plus, nous dîmes : “Messire, pour ce qui est du différend qui nous concerne, faîtes absolument ce que vous voulez.” Il m'apparut que les prières de Dom Yves avaient changé nos dispositions intérieures et que Dieu voulait faire la paix entre nous sur cette affaire par l'intermédiaire de Dom Yves. C'était évident pour moi » (t. 13).
Saint Yves, prêtre jour et nuit
Un autre témoin, prêtre, qui fut le dernier confesseur d’Yves, évoque son compagnonnage sacerdotal :
« Les trois années qui ont précédé sa mort, feu X. et moi-même qui témoigne, nous nous sommes jurés l'un à l'autre de nous retrouver tous les jours de la semaine, samedi et dimanche exceptés, à la maison de Dom Yves appelée Ker Martin pour l'entendre expliquer la Bible et prêcher. Nous voulions aussi voir et imiter sa manière de vivre dans la mesure du possible. Ainsi donc chaque semaine, nous sommes venus ensemble en la demeure de Dom Yves et nous l'avons entendu faire la lecture de la Bible et prêcher [...].
Chaque jour de bon matin, dans sa chapelle personnelle de Ker Martin, il célébrait la messe et fréquemment il pleurait très amèrement avant la consécration. Après la messe, il nous faisait une lecture de la Bible. Puis il faisait aux pauvres qui se présentaient alors des aumônes de pain et de ce qu'il avait. Après quoi il prêchait la parole de Dieu jusqu'aux environs de midi. À midi, il prenait la nourriture que j'ai dite [du pain et des légumes] en compagnie des pauvres qui étaient là, de X. et de moi-même. Le repas fini, il regagnait sa chambre pour étudier et pour prier, et s'y tenait jusqu'à Vêpres. Il quittait ensuite sa chambre et récitait ses heures avec X. et moi-même » (t. 5).
Ce paroissien se souvient de lui comme dormant par devoir ! « Il priait avec dévotion et célébrait à peu près tous les jours. Il passait la nuit presque sans dormir et l'occupait en prières, lectures et bonnes exhortations. Je crois qu'il se serait bien des fois passé de sommeil, mais qu'il dormait un peu parce qu'il avait à célébrer le lendemain » (t. 20).
Saint Yves, proche des miséreux
« J'ai bu et mangé bien des fois avec Dom Yves, par terre, entouré de pauvres, se souvient ce Trégorrois, témoin d’une scène extraordinaire : « Il ne mangeait que du pain grossier et des plantes potagères... et il buvait de l'eau fraîche [...]. Une fois, je l'ai vu donner aux pauvres une fournée entière de pain. Ce jour-là, par la suite, j'étais à table avec lui à Ker Martin, dans sa maison, quand arriva un pauvre d'une laideur extrême et misérablement vêtu. En ma présence, Dom Yves le fit asseoir en face de lui et manger avec lui dans la même écuelle.
Tandis que le pauvre se tenait près de la porte de la maison, il se tourna vers Dom Yves et vers moi et nous dit en breton : “Adieu ! Que le Seigneur soit avec vous.” Cela dit, le pauvre apparut à Dom Yves beau et vêtu d'un habit blanc, comme Dom Yves me le rapporta aussitôt. Il me dit que celui qui était arrivé très laid s'en allait beau et que la maison resplendissait de la clarté de son habit. À dater de ce jour, Dom Yves ne mangea pas à cette table mais, après le départ du pauvre, il se mit à verser des larmes et dit : “Maintenant je sais qu'un envoyé de notre Seigneur est venu me visiter” » (t. 3).
Ce paroissien, lui, se trouve un jour avec Dom Yves, dans cette maison qu’il avait faite pour les pauvres : « Il y avait là un pauvre qui allait, disait-il, à saint Jacques ou aux Sept Saints de Bretagne, je ne me rappelle plus bien. “Tu as donc de bons souliers, lui dit Dom Yves. Oui, messire, s'ils étaient graissés.” Dom Yves fit apporter de la graisse et le pauvre voulut les graisser mais, sous mes yeux, Dom Yves les graissa de ses mains » (t. 19). Un autre qui marchais avec échasses et béquilles raconte : « Passant par la cité de Tréguier et ne trouvant personne pour me donner l'hospitalité pour l'amour de Dieu, je suis arrivé à la maison de Dom Yves à Ker Martin. Il manifesta une grande joie à me recevoir, joignit les mains, les leva au ciel et me dit : “Béni soit Dieu qui m'a envoyé un messager !”
Tout de suite, on a dressé la table, et il m'a servi du pain, du potage et de l'eau. Dom Yves a mangé avec moi du pain grossier seulement et il a bu de l'eau fraîche. Le soir, il m'a fait coucher dans un lit. Le lendemain, j'ai pris la liberté de m'en aller. Je ne me trouvais pas loin de la ville de La Roche-Derrien, tout près d'une chapelle, quand je vis Dom Yves. “Pourquoi t'être retiré comme cela ?” me dit-il, et il m'a donné deux deniers. Il est entré dans la chapelle et y a célébré la messe devant moi et en présence de nombreuses personnes que je ne connaissais pas. À l'élévation du Corps du Christ, j'ai vu une sorte d'éclair tourner rapidement autour du calice, si vite que je n'ai pu le fixer. L'élévation finie, l'éclair disparut » (t. 151).
Saint Yves, un saint du Ciel
Pour tous les contemporains qu’ils l’ont connu, pas de doute : Dom Yves est un saint du Ciel : « On dit partout de lui qu'il est en paradis en raison de la vie de bien qu'il a menée, assure celui-ci, et à cause des miracles fréquents et très manifestes que le Seigneur accomplit à Tréguier et ailleurs d'une manière continue et admirable à l'invocation de son non » (t. 14).