Georges Brassens, troubadour à la française, a mis son art musical au service de la langue, de ses contes et de ses poèmes. Il chantait Dieu, l’amour, la mort, la difficulté d’être, la fuite du temps…Nous fêtons cette année le centenaire de la naissance et les quarante ans de la mort de Georges Brassens. Beaucoup d’événements sont prévus : des livres, des émissions, des hommages, et bien sûr les reprises de ses chansons par des artistes de grande qualité, par exemple Thomas Dutronc. Est attendue également la réédition par Universal de l’intégral en neuf volumes de Le Forestier chante Brassens, et Le Forestier, probablement le meilleur parmi les interprètes de Brassens, publie un livre chez Stock, intitulé Brassens et moi.
Difficile à bien jouer
Parfois, certains amateurs du chansonnier soulignent que ses structures mélodiques et harmoniques sont plus complexes et plus difficiles à interpréter qu’on ne le pense. C’est vrai pour certaines chansons, mais pour le plus grand nombre, la simplicité demeure la règle. Brassens n’est pas difficile à jouer, il est difficile de bien le jouer, c’est différent. La simplicité d’un univers musical constitue souvent la marque des plus grands, qui savent atteindre le merveilleux avec bien peu de choses.
On retrouve dans sa poésie les grands thèmes qui, selon lui, étaient les vrais essentiels : Dieu, l’amour, la mort, la difficulté d’être, la fuite du temps…
Il soulignait lui-même qu’il prenait grand soin, lorsqu’il composait, de garder un dépouillement tel que sa musique ne prenne le pas sur ses textes. Il a mis son art musical au service de la langue, de ses contes et de ses poèmes. Amoureux de la poésie, il excellait dans son expression et dans la mise en valeur des plus grands textes : à côté de ses propres quatrains, il a mis en musique des perles de François Villon, Paul Fort ou encore Hugo. Que l’on se souvienne de sa Légende de la nonne, un chef d’œuvre à la hauteur de l’auteur. « On voit des biches qui remplacent leurs beaux cerfs par des sangliers », y écrivait Hugo ; eh bien Brassens, en chantant cela, n’a certainement pas donné la confiture aux cochons !
Ce temps qui fait son œuvre
On retrouve dans sa poésie les grands thèmes qui, selon lui, étaient les vrais essentiels : Dieu, l’amour, la mort, la difficulté d’être, la fuite du temps… Ce temps qui fait son œuvre, inexorablement, le fascinait particulièrement. Il reprend Marquise de Corneille : « Le temps aux plus belles choses se plaît à faire un affront, et saura faner vos roses comme il a ridé mon front. » Il consacre à Saturne des vers qui comptent parmi ses plus beaux :
« Il est morne, il est taciturne,
il préside aux choses du temps,
il porte un joli nom Saturne,
mais c’est un dieu fort inquiétant […] ;
cette saison c’est toi ma belle,
qui as fait les frais de son jeu,
toi qui as payé la gabelle,
un grain de sel dans tes cheveux ; […]
je sais par cœur toutes tes grâces,
et pour me les faire oublier,
il faudra que Saturne en fasse,
des tours d’horloge, de sablier. »
Si le Bon Dieu l’avait voulu
Il y a chez Brassens cette touchante fidélité à la veille femme qui a perdu la fraîcheur du printemps et qui, encore et toujours, demeure aimée malgré Saturne. L’amour qui dure recueillie son hommage et sa gratitude, avec les mots de Paul Fort :
« Si le Bon Dieu l’avait voulu,
j’aurais connu la Messaline,
Agnès, Odette et Mélusine,
et je ne t’aurais pas connue. […]
Mais le Bon Dieu n’a pas voulu
que je connaisse leurs amours,
je t’ai connue, tu m’as connu
— gloire à Dieu au plus haut des nues ! —
Las ! que fussé-je devenu sans toi la nuit,
sans toi le jour ?
Je t’ai connue, tu m’as connu
— gloire à Dieu au plus haut des nues ! »
Troubadour à la française
Brassens est un conteur, un chansonnier, un héritier de cette belle tradition française des troubadours, qui se transmet de génération en génération depuis Guillaume de Poitiers au XIe siècle. Il a aujourd’hui de nombreux héritiers, des jeunes artistes qui, nombreux, reprennent et chantent ses chansons, mais qui, aussi, sont eux-mêmes des conteurs, des chansonniers à la française, tels que l’on n’en voit pas, ou peu, sous d’autres cieux.
Il chantait son testament avec cette complainte : « Je serai triste comme un saule, quand le Dieu qui partout me suit, me dira la main sur l’épaule, “Va-t’en voir là-haut si j’y suis”. » Bien sûr, puisque le temps poursuit sa fuite irrémédiable, c’est arrivé. C’était il y a quarante ans, il en avait 60.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, le 17 mars 2021.
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