Dans un livre fourmillant d’anecdotes, la journaliste Bénédicte Lutaud évoque dans Femmes de papes (Cerf) cinq figures féminines étonnantes, actrices de l’histoire récente de la papauté.La première, Hermine Speier, est une archéologue juive, devenue une archiviste d’avant-garde du Vatican grâce à Pie XI et à Pie XII qui l’ont soutenue et protégée. La jeune religieuse bavaroise Pascalina Lehnert a été une assistante intrépide mais envahissante pour le pape Pie XII. La psychiatre Wanda Poltawska, figure de la Résistance polonaise rescapée des camps nazis, fut une conseillère très proche pour Jean Paul II en matière d’éthique familiale. Mère Tekla a favorisé le dialogue entre Cuba et Rome à la fin du pontificat de Jean Paul II. La féministe Lucetta Scaraffia a créé le premier mensuel féminin du Vatican avec le soutien de Benoît XVI puis du pape François, avant de démissionner…
Dans un livre fourmillant d’anecdotes, la journaliste Bénédicte Lutaud évoque cinq figures féminines étonnantes, actrices de l’histoire récente de la papauté.
L’intrépide Hermine Speier
La jeune archéologue juive Hermine Speier a été embauchée en 1934 aux archives photographiques du Vatican grâce au feu vert de Pie XI. Chassée de l’Institut archéologique allemand de Rome par les lois raciales d’Hitler, elle trouve ainsi refuge. À 36 ans, elle s’engage dans la création titanesque d’un catalogue évolutif des photos des musées, à des fins de conservation, de restauration et de recherche. Arrêtée en vertu des lois antisémites italiennes de 1938, mais vite sortie de prison par un ami officier, Hermine obtient le soutien de Mgr Montini, le futur pape Paul VI, et du cardinal Pacelli, le futur Pie XII, puis la protection de collaborateurs de Pie XI. C’est bientôt l’heure de sa conversion : en mai 1939, elle demande le baptême et reçoit la bénédiction de Pie XII. La guerre finie, au printemps 1946, elle fait une découverte archéologique sensationnelle, identifiant une tête de cheval venue du Parthénon. Elle en tire une notoriété qui bénéficiera à la fois aux femmes et… aux Allemands au sein du Vatican.
Lire aussi :
L’histoire incroyable de la première femme embauchée par le Vatican
L’insupportable mère Pascalina
En mars 1939, Josefina Lehnert, la future mère Pascalina, est la première femme de l’histoire de l’Église à assister à un conclave, au grand dam de la Curie : l’homme sur lequel elle veille, le cardinal Pacelli, secrétaire d’État du défunt Pie XI, est élu sous le nom de Pie XII. Religieuse allemande, elle s’est imposée comme sa collaboratrice dès l’époque où il était nonce à Munich : elle a tenu tête à des émeutiers armés en 1919. À la fois gouvernante, aide-soignante et secrétaire, elle s’est rendue indispensable au futur pape… Mais elle se rendra insupportable à son entourage…
L’été 1943, excédée par ses manières, elle flanque une gifle retentissante au cardinal Tisserant. Celui-ci hurle à Pie XII médusé : « Voilà ce qui arrive quand on introduit une femme dans un monde d’hommes. » Mais peu après, elle prend le volant d’un camion pour apporter des vivres à des réfugiés juifs hébergés à Rome. Un jour, elle interrompt le chef de la diplomatie des États-Unis pour rappeler à Pie XII que c’est l’heure de la soupe… À la mort de « son » pape, on lui donne vingt-quatre heures pour quitter le Vatican.
Lire aussi :
Comment l’Église a donné aux femmes une place éminente
Wanda, l’âme-sœur de Karol
Membre de la Résistance polonaise à 19 ans, Wanda Poltawska a été déportée par les nazis à Ravensbrück : elle subit des expérimentations médicales aux terribles séquelles. Libérée en 1945, elle fait des études de médecine à Cracovie. Mariée à un jeune philosophe, elle rencontre le père Karol Wojtyla, le futur pape polonais. Dans une amitié très forte, tous deux mèneront une réflexion commune sur le mariage et la sexualité. Leurs échanges contribueront à la “théologie du corps” de Jean Paul II.
Une volonté commune de lutte contre l’avortement les unit, renforcée chez Wanda par le souvenir des infanticides commis par les SS dans les camps. Intransigeante en matière éthique, elle protestera contre le silence ecclésial au sujet de la pédophilie. Après l’attentat contre Jean Paul II, elle s’impose au Vatican auprès de lui. Elle lui doit beaucoup : en 1962, il avait contribué à sa guérison miraculeuse d’un cancer. En 2005, elle veille sur les derniers moments de ce pape qu’elle aimait comme un frère.
Mère Tekla, la diplomate
Religieuse napolitaine devenue abbesse générale de l’ordre de Sainte Brigitte, mère Tekla obtient le soutien de Fidel Castro pour son implantation à Cuba en 2003, cinq ans après la visite de Jean Paul II, malgré la tension persistante entre le régime et une Église persécutée. Elle a installé des couvents dans une dizaine de pays : à la tête d’un véritable “empire financier”, elle y puise les moyens de son action humanitaire.
La journaliste Lucetta Scaraffia
Lucetta Scaraffia, universitaire et journaliste, féministe soixante-huitarde revenue à la foi catholique, crée en 2012 le premier mensuel féminin du Vatican, Donne Chiesa Mondo (“Femmes Église Monde”). Avec le soutien et les encouragements persistants de Benoît XVI, puis, initialement, ceux du pape François. Elle y aborde avec hardiesse des dossiers brûlants sur le statut des femmes dans l’Église, et les abus dont elles peuvent souffrir. Face à des blocages, elle remet sa démission en 2019, déplorant quant à elle une tendance à passer les pires dérives sous silence.
Femme à Rome, toujours un défi “dans un monde d’hommes” ?
Lire aussi :
L’Église et les femmes, antagonisme ou accord profond ?