Sans l’abbé Michel Guérin, il est probable que les apparitions de Pontmain n’eussent jamais lieu. Prêtre humble et tenace, c’est lui qui a littéralement relevé l’église de cette paroisse miséreuse et son « petit peuple ». Ce 15 janvier 1871, les cœurs sont lourds à Pontmain. La défaite française au Mans, le 11, ouvre à l’envahisseur allemand la route de l’Ouest. Aux maux de la guerre s’ajoute un hiver glacial ; des aurores boréales illuminent les nuits ; la terre tremble. Et l’on est sans nouvelles des trente-huit garçons du bourg appelés sous les drapeaux. Avant leur départ pour l’armée, le curé de Pontmain, l’abbé Michel Guérin, les a consacrés à Notre-Dame, et leur a promis qu’ils reviendraient sains et saufs. Nul alors ne doutait de sa parole mais, en cet hiver de désastres, la foi se fissure.
Ce dimanche, à la messe, personne ne chante et, aux vêpres, quand l’abbé Guérin veut, comme d’ordinaire, allumer les quatre cierges qui entourent la statue de l’Immaculée Conception, quelqu’un crie : “N’éclairez pas, Monsieur le curé ! Cela ne sert à rien de prier ! Le Ciel ne nous écoute pas…”. Décontenancé, il laisse l’église dans le noir et regagne son presbytère accablé, car ce cri lui semble être la condamnation de son long et patient ministère, de tous les sacrifices acceptés.
Au bout du monde
Michel Guérin est né le 8 juin 1801 à Laval, seul enfant d’un couple d’artisans du textile. À 14 ans, il perd son père, puis son grand-père et ce double deuil, en faisant de lui le soutien de sa mère, semble condamner son rêve secret : devenir prêtre. Toute son adolescence, il exerce le dur métier de tisserand, dans l’obscurité et l’humidité de la cave, seul endroit où il soit possible de travailler le lin. Cette expérience lui fait découvrir la misère du prolétariat exploité, sa déchristianisation, son désespoir matériel, moral et spirituel. Cependant, à sa majorité, Michel est admis au grand séminaire du Mans. Le 19 juillet 1829, il est ordonné et, contrairement à la plupart de ses camarades qui veulent des postes en ville, il demande “la paroisse la plus pauvre, la plus défavorisée du diocèse”. On le nomme vicaire à Saint-Ellier, village à la limite de la Bretagne et du Cotentin, à 150 km du Mans. Personne ne voulait du poste.
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Saint-Ellier est un bout du monde mais il y a pire : à six kilomètres se trouve Pontmain, paroisse avant la Révolution, désormais rattachée au bourg, mais par de si mauvais chemins qu’il est pratiquement impossible sept à huit mois par an, d’aller de l’un à l’autre. Pourtant, tout est à Saint-Ellier : l’église, la mairie, l’école. Les Pontaminois souffrent de n’avoir plus de prêtre et de devoir, trop souvent, en raison des difficultés, se passer des secours de la religion. Ils réclament la restauration de leur paroisse.
Une tâche titanesque
Pendant sept ans, l’abbé Guérin assiège son évêque, Mgr Bouvier, le suppliant de le nommer à Pontmain. Mgr Bouvier fait la sourde oreille. C’est méconnaître l’obstination mayennaise du prêtre. En 1829, enfin, il envoie le vicaire général qui s’écrie, effaré : “Mais c’est l’étable de Bethléem ici !” Pourtant, il approuve l’érection de Pontmain en paroisse ; fin novembre 1836, l’abbé Guérin en devient curé. La tâche qui l’attend est titanesque. L’urgence est de relever l’église qui s’écroule. Ce sera l’interminable chantier de sa vie. En 1853, il écrit à Mgr Bouvier qu’il en a fait, avec l’aide de Dieu, “dans sa simplicité, une très belle église, propre et bien tenue, capable de faire mal aux yeux de ceux qui seraient possédés de la passion de jalousie”.
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Mais que vaudraient les pierres si les âmes n’étaient à l’unisson ? En 1836, même s’ils le déplorent, les Pontaminois, découragés, s’éloignent de la pratique religieuse. Seule la récitation du chapelet les empêche encore de tout abandonner. Michel Guérin, grand dévot de Notre Dame, s’appuie sur Elle pour ramener son “petit peuple”. C’est par Marie, qu’il institue Reine des cœurs et des foyers en offrant à chaque famille sa statue, qu’il entame sa reconquête ; c’est par Marie qu’il ramènera ses ouailles au Christ. Ses catéchèses vivantes, ses sermons, simples mais qui vont à l’essentiel, l’exemple qu’il donne d’un prêtre entièrement voué à sa mission lui permettent de convertir. S’il déplorera toujours des défauts dominants toujours présents dans sa paroisse, il n’empêche qu’il la transforme en profondeur, avec des moyens très simples, des moyens de pauvre.
Admiré et jalousé
Ce souci spirituel se double d’une profonde compassion envers les pauvres. L’abbé Guérin veut soulager les miséreux. Il s’y emploie, se privant pour mettre de l’argent de côté et fonder le bureau de bienfaisance qu’il arrache de haute lutte à l’administration. Car ce grand timide, qui ne demande jamais pour lui, a toutes les audaces quand il s’agit d’obtenir justice pour sa paroisse. Son obstination est souvent payante et fait de lui une personnalité locale respectée.
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Cela ne va pas sans susciter des jalousies. Le succès du “petit curé de Pontmain”, les foules qu’il attire à l’occasion de la Fête-Dieu ou de l’adoration perpétuelle, agacent. On l’accuse d’ambitions personnelles, lui qui a renoncé à tout avancement, on lui cherche des ennuis. Il offre humiliations et souffrances pour le salut des âmes et la conversion de la France. Comment s’étonner que ses paroissiens le tiennent pour un saint, au point de le comparer au curé d’Ars ? S’il le savait, l’abbé Guérin en serait suffoqué, lui qui se tient pour le plus mauvais prêtre du diocèse… Certes, il sent les progrès de ses ouailles mais ne songe pas à s’en attribuer le mérite. Tout vient de Dieu.
La réponse du Ciel
C’est cela qu’il croit voir disparaître lorsque ses paroissiens lui crient qu’il ne sert à rien de prier car Dieu ne les écoute pas. Le surlendemain, l’apparition sera la grandiose réponse du Ciel au vieux prêtre fatigué dont la foi, l’espérance et la charité n’ont jamais faibli.
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Le 18 janvier, l’abbé Guérin confie, en larmes, au vicaire de Saint-Ellier sa détresse de n’avoir pas vu la Sainte Vierge. Elle, en tout cas, le voyait car chaque phase de l’apparition sera une réponse de Marie aux initiatives du curé. Dans toutes les mariophanies, Notre-Dame demande aux voyants d’aller répéter aux prêtres ses demandes. À Pontmain, l’abbé Guérin a été présent presque depuis le début de l’apparition. Quand une religieuse de l’école lui a dit que “les enfants voyaient la Sainte Vierge”, loin de douter, l’abbé Guérin aura ce cri de foi : “La Sainte Vierge ? Ici, chez moi, à Pontmain ? Oh ma sœur, vous me faites peur !” Connaissant mieux que personne les petits voyants, incapables d’inventer une pareille histoire, il n’aura de cesse d’obtenir de Mgr Wicart la reconnaissance du fait de Pontmain, accordée le 2 février 1872. Il n’assistera pas à la suite. Le 13 janvier 1872, il est victime d’un grave accident de voiture ; il ne s’en remettra pas. Il s’éteint le 29 mai suivant.
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Une tradition restée vivante
En 2013, les diocèses de Laval et du Mans ont ouvert la cause de béatification de ce prêtre humble et dévoué auquel une tradition restée vivante attribue le mérite de l’apparition du 17 janvier 1871. Cinq dossiers de guérisons médicalement inexpliquées, enregistrés depuis, sont en cours d’examen. Mais le plus admirable reste l’accueil fait, à travers le monde, par les fidèles, et par un clergé qui peut s’identifier au “petit curé de Pontmain”, à cette figure de prêtre dévoré par l’amour de Dieu et des âmes.
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