Lire une encyclique demande toujours un effort, a fortiori s’il vous déstabilise. Contrairement aux apparences, “Fratelli tutti” est en réalité un texte très logiquement construit. Le philosophe Henri Hude poursuit sa lecture de l’encyclique en montrant sa ligne directrice à travers la progression de ses huit chapitres.
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Quelle en est l’unité profonde de la troisième encyclique du pape François ? La “miséricorde” en est le premier élan, mais elle n’en fournit pas la structure. Il y a aussi la figure de saint François d’Assise, mais ce n’est pas une idée, plutôt une image émouvante et inspiratrice. En revanche, c’est bien dans “la fraternité et l’amitié sociale” que le Pape découvre ce qui confère à sa pensée une forte organisation et une cohérente unité de but.
La logique du Bon Samaritain
L’importance de cette encyclique, tient à ce qu’elle indique exactement le concept dont nous avons besoin pour retrouver une culture civilisée dans un monde devenu fou et qui rend fou. Elle fournit aussi non pas un projet, mais un horizon et en quelque sorte un rêve à notre monde, dont l’horizon démocratique s’est refermé et dont le rêve de liberté peu à peu tourne au cauchemar.
Le premier chapitre offre une phénoménologie de notre monde privé d’amitié, et qui en souffre profondément, mais qui espère s’en sortir. Comment l’espérer ? D’abord en prenant en compte l’apport de Jésus-Christ. C’est le deuxième chapitre, sur la parabole du bon Samaritain, de toutes les paraboles la plus appropriée aux temps que nous traversons. Puisqu’il est question d’amitié, il faut la définir avec précision. C’est l’objet du troisième chapitre. Ses deux propriétés les plus intéressantes sont une “concentration sur l’autre” en ce qu’il a de plus singulier et concret (n. 93) et une dynamique d’universalisation, devenir “ami universel” (n. 287).
Une culture d’amitié fondée sur la vérité
À cause de ces deux propriétés remarquables, une culture d’amitié et elle seule permet d’espérer comprendre et diriger avec sagesse l’évolution de notre monde. Son histoire est en effet celle d’une globalisation qui suscite une crainte de déracinement ou de décomposition, et un enthousiasme d’ouverture. C’est le quatrième chapitre. Il touche à la question des migrations et à la place des nations dans le système international. Contrairement à nombre de commentaires, le pape du dialogue a su prendre en compte les objections d’hommes de bonne volonté, qui avaient été déconcertés par une expression moins élaborée de sa pensée, devenue ici beaucoup plus réaliste et équilibrée.
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Le cinquième chapitre, envisageant un ensemble d’autres problèmes économiques ou politiques, et plus centré sur la vie intérieure des nations, cherche à définir une troisième voie entre néolibéralisme et populisme. Il évoque irrésistiblement les enseignements de Pie XI dans les années trente. Dans le sixième chapitre, le pape revient à l’amitié et en approfondit la définition. L’amitié sociale se vit à travers une conversation amicale, un dialogue amical, qui doit devenir le noyau dur d’une culture d’amitié. L’originalité de cette culture est sa façon de combiner la bienveillance au respect de la vérité objective (n. 206-207). “La vraie sagesse suppose la conformité avec la réalité” (n. 47). Ainsi, “que tout être humain possède une dignité inaliénable est une vérité qui correspond à la nature humaine indépendamment de tout changement culturel” (n. 213).
Le pardon ou la guerre
Le septième chapitre pourrait s’intituler “ou le pardon ou la guerre”. Entre personnes et communautés ou nations qui souvent (c’est inévitable) entrent en conflit, le pardon est la forme que doit nécessairement prendre et traverser une culture d’amitié capable de renaissance après des épreuves. De cette culture du pardon, dont il affronte toutes les difficultés, François voit surgir comme exigences d’aujourd’hui le refus de la peine de mort, et surtout de la guerre et de l’armement nucléaire. Ce refus général de la guerre fournit surtout un cadre d’ensemble à ce qui est pour lui le plus important : le refus des guerres de religion et l’inscription de l’ensemble des religions dans la dynamique de cette culture universelle de fraternité et d’amitié sociale. C’est le huitième et dernier chapitre.
Des questionnements stimulés
En résumé, l’encyclique nomme le concept central d’une nouvelle culture universelle, indique ensuite en économie et en politique un chemin central entre deux impasses, puis nous met en garde contre la guerre qui vient, inévitablement, tôt ou tard, et qui nous détruira, si nous ne nous retirons pas de ces impasses. Enfin, elle manifeste avec évidence le rôle indispensable du Christ dans la survie et le salut de l’humanité.
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Les deux derniers chapitres de l’encyclique, sur les très difficiles questions de la guerre et de la peine de mort, de la violence religieuse, et de l’arme nucléaire, requièrent une exégèse spéciale. Le temps semble avoir manqué pour produire une pensée aussi aboutie que dans les trois premiers quarts du texte, et tenant vraiment compte des objections incontournables, si du moins on veut aboutir à quelque chose en pratique. Sur l’arme nucléaire surtout, la mise en garde est salubre, elle était même indispensable, mais quant aux moyens de la faisabilité, et de pallier les inconvénients majeurs, la perplexité reste aussi entière. Peut-être le pape avait-il des raisons supérieures pour publier son texte avant une élection américaine, où la religion risque d’être instrumentalisée ? Cette limitation nous rappelle que le respect pour le magistère ordinaire ne signifie pas la mort du questionnement et de la liberté d’interrogation. Elle nous stimule tous à la réflexion. Elle ne saurait masquer la puissance de l’ensemble.