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Le Sauveur n’est pas l’homme providentiel

L'adoration des mages.

L'adoration des mages.

Pierre Vivarès - publié le 25/12/20 - mis à jour le 10/11/21
L’enfant de la crèche est l’antithèse de l’homme providentiel. Avec Lui, pas de recettes pour un monde meilleur mais le don de la grâce pour aimer comme il nous aime.

En lisant la presse, en regardant les réseaux sociaux, les débats télévisés, en contemplant toute cette agitation qui fait partie de la vie quotidienne de l’humanité, l’on peut être parfois amusé et souvent agacé des prises de position tranchées, des attitudes partisanes ou des postures idéologiques des uns ou des autres. C’est le jeu de la vie publique et le pire serait peut-être que tout le monde se désintéresse de ce qui construit notre vie commune.

Membre d’une communauté, nous prenons part à cette vie publique et nous avons nos idées sur les événements qui se déroulent sous nos yeux : cela est sain pour tout le monde. Cependant je constate souvent que beaucoup voudraient faire émerger, découvrir ou révéler des hommes ou des femmes providentiels, celui ou celle qui résoudrait tous les problèmes de notre société, une sorte de « sauveur des temps présents ». 

Endoctrinés

Ce désir est nourri par la nostalgie de figures passées, forcément idéalisées. Notre histoire fourmille de ces hommes providentiels que le temps transforme en mythes. Cet homme providentiel est celui qui entre en résonance avec une époque et permet de sauver sa communauté des périls qui la menacent. Ils ont sauvé, à un moment donné, la patrie ou l’honneur, ils ont éclairé de leur génie une époque, donnant des lettres de noblesse à leur communauté dont elle peut désormais se targuer.

Nourris par cette nostalgie, certains aspirent à trouver l’Élu, celui qui nous sauvera des malheurs des temps ou redonnera la richesse et la puissance à la communauté par lui ainsi guidée. Ils se rallient alors derrière tel homme ou femme politique, tel savant ou journaliste, tel philosophe ou sociologue, tel projet politique ou sociétal. Ils ne sont plus simplement instruits par une réflexion comme une autre grâce à laquelle ils forment leur propre jugement, ils sont endoctrinés dans une vision du monde à laquelle tout doit se soumettre. 

L’antithèse de l’homme providentiel

En ce jour de Noël nous sommes venus vénérer l’enfant de la crèche, le Prince de la Paix, Jésus « Dieu sauve » ; l’Emmanuel « Dieu avec nous », le Christ Messie, le Sauveur, le Bon Pasteur, le Fils de l’Homme, Fils de Dieu, Fils de David, le Seigneur et le Maître, le Saint de Dieu, le Roi d’Israël, le Prophète, le Serviteur, le Verbe, l’Agneau de Dieu, le Grand prêtre, le paraclet, la Porte. Nous pourrions prendre un temps de prière sur ces noms que Jésus se donne à lui-même ou qui lui sont donnés par les évangélistes en regardant cet enfant couché dans la mangeoire. Chacun est une approche de l’unique mystère du Verbe fait chair dans le sein de la Vierge Marie.

Il ne donne pas de recettes pour un monde meilleur mais invite à une conversion personnelle.

Cependant, malgré tous ces titres, cet enfant est l’antithèse de l’homme providentiel et il vient en dénoncer l’idée. Par sa naissance, sa vie et sa mort, il ne coche pas les cases de l’homme providentiel qui a réussi et sauvé son peuple, sa nation ou sa foi des périls qui la menaçaient. Il n’a accompli aucune victoire politique ou militaire, aucune réforme sociétale, aucune libération des oppresseurs, des hypocrites ou des profiteurs de tous bords. Il n’a réuni autour de lui que quelques rares partisans dont la fidélité pendant sa vie fut plus que fragile et il est mort quasiment abandonné de tous. Il est cependant le Sauveur. 

Jésus ne place pas l’homme dans l’attitude d’un suiveur endoctriné. Il n’aliène pas la liberté de ses disciples qu’il renvoie quotidiennement, en conscience, à leurs responsabilités. Il ne donne pas de recettes pour un monde meilleur mais invite à une conversion personnelle. Il ne crée pas une nation politique qui dominerait les autres et ne sépare pas en ce monde le bon grain et l’ivraie. Il ne dénonce pas un ennemi temporel contre lequel il faudrait se battre et ne promet pas une richesse matérielle ou une sécurité sociale. Il ne nous appelle pas « serviteurs » mais « amis ». 

Une histoire de grâce et de liberté

Notre désir d’hommes providentiels est une forme de paganisme qui nous fait chercher le salut de l’âme et du corps ailleurs qu’en Dieu, qui nous fait abdiquer nos responsabilités quotidiennes en nous cachant derrière la doctrine d’un autre. C’est aussi une forme de violence pour être du bon côté et avoir raison contre tous les autres. La fragilité de cet enfant de la crèche que nous contemplons aujourd’hui est le signe de notre propre fragilité mais aussi le signe qu’il n’y a pas d’un côté les décideurs et d’un autre les suiveurs : il y a, en chaque être humain, cette histoire de liberté et de grâce face à Dieu notre Père qui recommence à chaque naissance d’un petit d’homme.

Le Christ nous donne le salut, c’est-à-dire qu’il nous rend capables de vivre cette aventure et, en devenant ses disciples, nous n’abdiquons rien. Nous prenons juste au sérieux la mission qu’il nous donne d’être au milieu de ce monde témoin de l’amour qu’il a pour l’humanité, nous recevons sa grâce pour aimer comme il nous a aimés, nous proclamons l’urgence de contempler en chaque personne humaine le visage de Dieu qui seule peut apporter la paix. 

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