Bannir les gros mots : bien plus qu’une question de politesse
Dire ou ne pas dire de gros mots n’est pas qu’une simple histoire de politesse. Certes on dira d’un enfant qui s’exprime correctement qu’il est poli et bien élevé, mais cette attention au vocabulaire va beaucoup plus loin. Elle participe à la construction sociale de l’enfant et à sa place dans la lignée des générations. Construction sociale dans la mesure où dès son plus jeune âge, l’enfant vit en groupe, d’abord au sein de sa famille, premier lieu où s’acquiert le respect de l’autre. Ne pas traiter son frère ou sa sœur de tous les noms, c’est un premier pas vers le respect de la dignité de son prochain.
En réagissant aux gros mots, il s’agit aussi de faire comprendre à l’enfant la différence des générations : « On ne peut pas dire la même chose à ses copains d’école, à ses frères et sœurs, et à ses parents, souligne Laure Dezert. Si un parent peut reprendre un enfant qui insulte son frère en lui disant simplement 'il y a d’autres façons de parler à ton frère', une réaction forte est en revanche nécessaire si un enfant insulte son père ou sa mère ». Une manière d’affirmer la place du père, ou de la mère, et son autorité en tant que parent, non pas selon une logique autoritaire ou patriarcale, mais en vue à la fois du bien de l’enfant et du bien commun.
Vers la recherche du bien commun
Gros mots et bien commun. Quel est le rapport entre ces deux notions ? Pour Laure Dezert, il y en a bien un. Ne pas accepter de gros mots venant de son enfant, c’est une manière de servir le bien commun. Le bien commun est en effet la recherche du bien de l’ensemble du groupe en même temps que celui des individus. En sanctionnant, ou tout du moins en réagissant aux grossièretés lancées par son enfant, non seulement on le fait grandir, mais on défend également la position de l’adulte et de l’autorité qui lui revient. « On fait grandir son enfant, qui, par la frustration, va dépasser le stade pulsionnel, et accéder à un autre niveau, plus constructif, tout en restaurant la notion de respect et de juste autorité, qui fait cruellement défaut aujourd’hui », précise la psychologue.
Par la notion de juste autorité, elle entend celle définie par Fabrice Hadjadj, celle qui redonne au père son rôle de père tout simplement parce qu’il est père (et non expert). En effet, pour le philosophe, le lien éducatif se fonde sur une "autorité sans compétence", malgré ses failles et ses faiblesses. "L’autorité sans compétence a une valeur en soi, et même une valeur sans prix", expliquait Fabrice Hadjadj à l'occasion du Grenelle de la Famille. "D’une part, le père y montre qu’il n’est pas le Père, qu’il est lui-même un fils, et donc qu’il doit avec son fils se tourner vers une autorité plus haute que la sienne. D’autre part, puisque son autorité ne vient pas d’une compétence, mais d’un don, le père ne peut pas faire de l’enfant sa créature, et essayer de le valoriser sur sa propre échelle de valeur : il doit l’accueillir comme un mystère. Et c’est cela l’autorité la plus profonde".