Le droit au blasphème est devenu un devoir. C’est dans l’aveuglement et l’hypocrisie de nos sociétés que le diable l’emporte. Durant des siècles, nos ancêtres restaient attentifs aux présages. Le paysan, aux nuages, savait quoi faire de son champ. Il n’est pas besoin de remonter jusqu’aux Grecs ou aux Romains pour en évoquer le souvenir. On guettait les présages, on les observait et on les acceptait : rêves, rencontres fortuites, accidents, jusqu’à la signification des prénoms, chacun y allait de son interprétation. La Bible se fait l’écho de cette quête au cœur battant. Les hommes cherchent un signe. Au point de ne plus pouvoir le reconnaître quand il se présente à leur entendement, occupés qu’ils sont par la recherche. Cet aveuglement des pharisiens de l’Évangile ne serait-il pas l’annonce de ce qui nous arrive collectivement aujourd’hui ?
Il n’y a plus de signes des temps
La rationalité dogmatique a fait son œuvre en notre société : démontrant avec arrogance que la quête de signes était pure superstition et qu’un homme instruit ne devait se contenter que des faits matériels, réduisant par exemple la médecine à la science. Rien de surnaturel n’est plus acceptable : une culture qui exclut ainsi Dieu comme compagnon possible de l’homme finit par faire de l’homme lui-même son propre dieu. Il n’y a plus de signe des temps, juste des accidents dans l’histoire. Plus de relecture possible car on nie à la vie de trouver hors d’elle-même une justification.
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Un chauffeur de taxi rencontré l’autre jour me disait combien l’incendie de Notre-Dame fut pour lui un présage funeste que des catastrophes, ô combien plus importantes, allaient sûrement se produire. Les plus lettrés souriront et penseront qu’il n’y a là que parole d’homme du peuple, probablement peu instruit et donc trop crédule. Quant à moi, je me fie volontiers à ce bon sens humain : non pour m’en effrayer mais pour m’y instruire. Non que ces évènements constituent l’enchaînement d’un scénario écrit d’avance et dont nous aurions à deviner l’issue. Mais parce que chaque accident, chaque catastrophe nous révèle ce que nous sommes à la manière dont nous le traversons.
Ce que dit sur nous le terrorisme
Ainsi de l’assassinat terroriste par cet islamiste tchétchène qui frappa notre pays en plein cœur. L’affreux du crime commis, outre l’acte lui-même, est ce qu’il révèle comme béance dans notre belle nation : des collégiens suspectés d’avoir dénoncé au bras meurtrier leur propre professeur pour quelques billets, l’incapacité de générations de jeunes gens qui sont nés, ont grandi en France, ne connaissent que la France et qui pourtant ne s’y reconnaissent pas et lui préfèrent d’autres pays ou aucun ne pourrait vivre aussi libre qu’ici. Pays dont ils ignorent tout et qu’ils mythifient de manière délirante. Et puis il y a ces caricatures… dont il est difficile de parler tant le débat est piégé et tant les censeurs de l’ordre moral se montrent d’autant plus acharnés à suspecter toute parole critique qu’ils se montrent incapables de comprendre ce que ressentent les gens ordinaires.
Comment n’imaginer comme réponse à l’horreur de tous ces crimes terroristes que l’obligation de communier dans l’admiration du blasphème ?
Nous voici donc, enfants de Rabelais et de Ronsard, d’Hugo et de Péguy, de Bossuet et de Chateaubriand, de Colette, de Yourcenar et Césaire, nous voici si légitimement fiers de notre langue et de nos lettres, nous voici obligés d’encenser des dessins médiocres et de voir du génie dans ce qui n’est que de la drôlerie… Nous voici, héritiers de Voltaire et Bloy, de ceux qui, le verbe haut, ont su pourfendre les imposteurs et dévoiler les Tartuffe, contraints de nous prosterner devant des croquis à l’humour ado-scato. Comment n’imaginer comme réponse à l’horreur de tous ces crimes terroristes — de l’école juive de Toulouse au professeur du collège de Conflans, de la rédaction de Charlie Hebdo au colonel héroïque — que l’obligation de communier dans l’admiration du blasphème ?
Le devoir de consentir au blasphème
Que l’on dessine n’importe quoi et que l’on dise les plus grandes sottises, aucune difficulté à l’accepter dès lors que l’on me laisse le droit de ne pas écouter, ou lire, ou enrichir ceux qui veulent vivre ainsi. D’ailleurs force est de constater que depuis longtemps, nul ne s’en prive. Mais imposer non pas le droit au blasphème, mais le devoir de consentir au blasphème, cela me dépasse. Par la triste surenchère d’une communication qui pousse le moindre élu à se rêver invité de BFM, certains proposent de distribuer à chaque lycéen de France un livre recueil des caricatures de toutes les religions. On n’ose imaginer la réaction de vierges effarouchées que suscitera le premier acte de contestation de cette proposition dont nul ne semble assez courageux pour la dire dangereuse.
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Les mêmes qui dénoncent les violences faites aux femmes, souriaient, obscènes, lorsqu’on évoquait la manière dont la pornographie provoque des ravages dans la jeunesse. Désormais, ils s’apprêtent à enterrer avec émotion les futures victimes d’un terrorisme qui trouvera un terreau toujours plus fécond dans une jeunesse qui n’en pourra plus de la manière dont notre société dégrade et rabaisse la dimension spirituelle qui a jusqu’ici fait la grandeur de l’homme.
Le visage du diable
Sur un tout autre aspect, plus grave encore, ils feignent de ne pas voir la folie destructrice d’une loi qui autoriserait une mère en détresse sociale à avorter de son enfant jusqu’au neuvième mois de sa grossesse. « Tout cela, répondront-ils, ne sont que des paroles réactionnaires, liberticides et pour tout dire fascisantes… » Et ils tourneront les talons pour revenir à leurs loisirs. Comme celui de regarder un match de football en direct depuis le Stade de France. Ils ignoreront alors qu’à quelques centaines de mètres des joueurs millionnaires qui s’y disputent une balle, des milliers de migrants vivent dans un immense bidonville, abandonnés, loin des yeux et du cœur… Ils seraient bien surpris, de voir qu’en tout cela, c’est bien le diable qui nous montre son visage. Car c’est lui qui l’emporte lorsque ceux qui peuvent agir restent immobiles, lorsque ceux qui savent se taisent. Lorsque, plutôt que d’accueillir les présages, et de chercher à en tirer les leçons pour le bien de tous, on les nie avec entêtement.
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