Accueillir. Telle est la mission de Bernadette et Franco Gedda, ces soixantenaires tous deux responsables de cinq maisons du Cenacolo, une communauté composée de plus de soixante-dix lieux d’accueil à travers le monde. Elle a été fondée en 1983 par sœur Elvira, en réponse au mal-être des jeunes, et en particulier de ceux qui souffrent d’addictions (drogue, alcool, jeux, pornographie). La durée du séjour au Cenacolo, où se retrouvent des jeunes blessés par la vie, varie d’une personne à une autre, en fonction des besoins et de la profondeur des blessures de chacun. Une fois arrivés, ils partagent une vie de communauté simple et fraternelle afin d’y retrouver leur dignité, leur joie de vivre pour repartir vers un chemin moins escarpé que celui qu’ils avaient emprunté.
Partir, c’est justement ce que Franco, géomètre, n’a pas fait, lorsqu’il est arrivé au Cenacolo en 2000. Cet Italien y est d’abord arrivé en tant que toxicomane. Dépendant de la drogue pendant 23 ans, il cherchait à se reconstruire et à retrouver un équilibre de vie. « Quand j’ai commencé à relever la tête, j’ai tout de suite eu l’opportunité de servir quelqu’un, de l’aider. C’est ce qui me permet de continuer à guérir et à me donner de l’espérance encore aujourd’hui » a-t-il témoigné lors d’un colloque intitulé « Libérés des chaînes de la dépendance ». Franco est en effet un habitué des témoignages et n’hésite pas à raconter son parcours.
Écoute, patience et persévérance
C’est justement ce qui a interpellé Bernadette, lorsqu’elle a rencontré celui qu’elle épouserait. « Je n’avais pas forcément ‘flashé’ sur Franco, lui il m’avait repérée, moi non », confie-t-elle en riant. Elle était alors dans une communauté de l’Emmanuel qui, pour construire une chapelle, a accueilli pendant plusieurs semaines des ouvriers italiens. Après avoir noué des amitiés au fil des jours, c’est finalement, à la Pentecôte, que Bernadette ressent « un déclic », lorsqu’au cours d’une soirée de jeunes qu’elle animait, Franco est venu témoigner. Commence alors leur idylle durant laquelle Franco n’est autorisé à sortir du Cenacolo qu’un jour par semaine pendant un an. « Quand on s’est marié, on ne se connaissait pas beaucoup et, pour nous permettre de consolider notre mariage, sœur Elvira nous a proposé de rester dans la communauté de garçons dont Franco était responsable ». C’est alors que Bernadette se retrouve jeune mariée, seule femme au milieu de dizaines d’hommes. Un grand changement pour elle qui avait vécu auparavant dans un univers très féminin, avec ses trois sœurs.
Parmi les personnes que Bernadette et Franco accueillent, se trouvent des SDF, des célibataires mais aussi des hommes mariés ou en couple. La plupart sont en très grande souffrance, certains présentent des troubles psychologiques. Jamais Bernadette ne s’est sentie en danger ou a eu peur, même si elle avoue que les difficultés rencontrées sont réelles et nombreuses. Pour accueillir ces personnes blessées par la vie, il est nécessaire d’être à l’écoute. Qualité première que Bernadette trouve à Franco. Lui, de son côté loue la patience et la persévérance de sa femme qui fait à la fois office de grande sœur et de maman.
« Une énorme famille » et encore des projets
Bernadette et Franco ne sont pas parents, au sens propre du terme. Et pourtant, ils ont le sentiment d’appartenir à une « énorme famille », composée de tous ceux qu’ils ont accueillis. « Au bout de 17 ans passés au Cenacolo, on a beaucoup de mariages, tous les ans, avec des familles qui viennent nous voir le week-end ou pendant les vacances. Finalement on est comme des grands-parents, on a tous les avantages mais pas les inconvénients ! ». Malgré l’absence d’enfant, le couple a su développer une riche fécondité en accueillant des jeunes déboussolés, notamment des personnes adoptées qui « ont une blessure très profonde et nécessitent un accompagnement particulier avec des groupes de partage ».
Bernadette estime que le Cenacolo « les unit beaucoup ». « Ça nous travaille. On se dispute, on se réconcilie, les liens s’approfondissent. On rencontre aussi d’autres couples et on se fait coacher pour surmonter nos difficultés ». Leur vie est faite de petites et grandes joies. Les mariages de ceux qu’ils ont accueillis les rendent très heureux mais pas seulement. Ce qui leur apporte le plus de joie, c’est de « voir les pas que les jeunes font, comment ils avancent, grandissent, se convertissent et cheminent ». Bernadette raconte un évènement qui l’a rendue particulièrement heureuse : « Lors d’une confirmation, un des gars qui vient de la rue et avait eu beaucoup eu de mal à s’adapter aux règles de la vie en communauté, est venu témoigner. Il était rayonnant ».
Pour le couple, le Cenacolo est à la fois une sorte de sacerdoce et un lieu qu’il ne se voit pas quitter pour le moment. « On se sent utile, on ne se pose pas la question de partir, personne ne veut prendre notre place ». L’heure de la retraite n’a pas encore sonné pour ce couple qui ne pensait pas, au départ, rester si longtemps et se retrouve désormais avec cinq maisons à superviser dans toute la France. Et ce n’est pas fini ! « On nous demande d’ouvrir une sixième maison, on est débordé mais on s’abandonne », avoue Bernadette. « Le projet consiste à créer une maison pour garçons en lien avec l’écologie. Il y aura un atelier bois, on récupèrera de l’eau et on fera de la permaculture ». Et de conclure : « Avec un projet de vie comme le Cenacolo, on s’imagine mal ailleurs ».