La PMA étendue aux femmes célibataires et aux couples de femmes est l’une des mesures phares du projet de révision de la loi de bioéthique. Utilisée pour concevoir des enfants orphelins de père, elle prolonge une technique qui, à l’origine, réduit la procréation humaine à sa seule dimension biologique, non sans lourdes conséquences psychologiques.La sexualité conjugale offre le berceau anthropologique adéquat à la conception éventuelle d’un enfant mais la PMA change profondément ce cadre et ces conditions naturelles. Le 12 décembre 2008, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié l’Instruction Dignitas personae (DP) “sur certaines questions de bioéthique”, un document exceptionnel par la pénétration de la pensée sur les enjeux éthiques contemporains en matière de biomédecine. Approuvé par Benoît XVI qui en a suivi attentivement la rédaction, il est daté du 8 septembre 2008. Structurée en 3 parties et 37 articles, elle actualise l’Instruction Donum vitae (DV) “sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation” signée le 22 février 1987 par celui qui n’était encore que le cardinal Joseph Ratzinger. Les deux textes doctrinaux constituent un diptyque inséparable pour réfléchir aux défis bioéthiques du XXIe siècle. Donum vitae donne une très simple définition de la PMA (DV, II) :
Par procréation artificielle ou fécondation artificielle, on entend les diverses procédures techniques destinées à obtenir une conception humaine d’une manière autre que par l’union sexuelle de l’homme et de la femme […] fécondation d’un ovule en éprouvette (fécondation in vitro) et insémination artificielle moyennant transfert, dans les organes génitaux de la femme, du sperme précédemment recueilli.
Deux principes clés : la dignité de la personne et celle du mariage
Deux axes fondamentaux structurent le discernement éthique du Magistère en matière de techniques d’assistance médicale à la procréation : 1/ la reconnaissance de “la dignité de la personne à tout être humain depuis sa conception” (DP, 1), critère qui appelle des considérations morales spécifiques (voir “Pourquoi l’Église désapprouve-t-elle le recours aux techniques d’assistance médicale à la procréation ?”, II) ; 2/ la dignité “du mariage et de la famille qui constituent le contexte authentique où la vie humaine trouve son origine” (DP, 6). Ce second point s’enracine lui-même dans de solides réflexions anthropologiques à propos de la signification plénière de la sexualité et de la procréation humaines.
La sexualité humaine exprime le don total et fidèle des époux
“L’acte par lequel les parents mettent en œuvre les conditions pour qu’une nouvelle personne existe est le seul et même acte par lequel les conjoints témoignent réciproquement de leur amour et de leur don”, observe avec pertinence le cardinal Tettamanzi . Parce que la sexualité humaine exprime au sein du mariage le don total et fidèle des époux, elle offre “un berceau anthropologique qui correspond de façon surprenante à ce que l’enfant est et est appelé à être : amour et don”.
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L’assistance médicale à la procréation « homologue », c’est-à-dire au sein du couple demandeur, contourne l’obstacle de la stérilité en mettant en jeu des techniques de substitution aux relations conjugales (insémination artificielle et fécondation in vitro avec transfert d’embryon). Même si elles ne font pas appel à des donneurs de spermatozoïdes ou d’ovocytes étrangers au couple, les méthodes développées ne respectent pas « les valeurs spécifiquement humaines de la sexualité qui exigent que la procréation d’une personne humaine doive être poursuivie comme le fruit de l’acte conjugal spécifique de l’amour des époux (DP, 12).
Le technicien manipule l’acte conjugal
La PMA exclut le langage des corps et l’union affective et spirituelle des époux. La procréation est amputée, non pas des mécanismes reproductifs, lesquels sont récupérés par la technique, mais de la communion interpersonnelle conjugale et de son expression corporelle (Olivier Bonnewijn, Éthique sexuelle et familiale, Édition de l’Emmanuel, Paris, 2006, pp. 267-292). La relation conjugale est dissociée de la procréation et déclassée à un fait simplement reproductif. L’une des preuves de l’instrumentalisation de la sexualité humaine est le recours quasi systématique à la masturbation de l’homme sommé de fournir les spermatozoïdes nécessaires aux opérations techniques suivantes. « La masturbation, par laquelle on se procure habituellement le sperme, est un signe de cette dissociation ; même quand il est posé en vue de la procréation, le geste demeure privé de sa signification unitive : il lui manque la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans un contexte d’amour vrai, le sens intégral du don mutuel et de la procréation humaine (DV, II, 6). Le véritable protagoniste de la procédure devient alors le technicien qui insémine artificiellement la femme ou qui transfère l’embryon fabriqué dans son utérus dans le cadre d’une fécondation in vitro. Leur paternité et leur maternité sont transférées à des hommes et des femmes en blouse blanche.
La confirmation psychologique
Des études récentes dans le domaine des sciences humaines confirment la pertinence anthropologique et éthique de l’enseignement magistériel de l’Église catholique à ce sujet. Une enquête menée en France par l’Institut national d’études démographiques (Ined) a mis en lumière le vécu existentiel des couples soumis à la médicalisation à outrance de la procréation artificielle, confirmant indirectement l’analyse éthique du Magistère. D’après les auteurs, l’équipe biomédicale régit et exerce une emprise de plus en plus forte sur l’homme et la femme qui ressentent douloureusement cette immixtion dans leur intimité conjugale.
Un sentiment d’intimité dépouillée et exposée
Les chercheurs lèvent l’un des tabous de la médecine reproductive contemporaine :
La masturbation est devenue la pratique emblématique du dispositif médical de l’AMP. […] Les propos des hommes qui ont participé à nos entretiens rendent compte d’un sentiment d’intimité dépouillée et exposée […]. L’instrumentalisation de l’usager permet à la biomédecine de désacraliser l’activité sexuelle et la masturbation dans le but de l’accomplissement d’une procréation par voie non sexuelle.
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L’étude investigue avec précision l’envers du décor, les magazines pornographiques dans la cabine du laboratoire prévue à cet effet, le devoir de se masturber sur commande “sous le regard de l’institution médicale” pendant que l’infirmière et les autres hommes attendent dans la salle d’attente. Les sociologues n’hésitent pas à qualifier cette pratique d’activité sexuelle transgressive non conjugale.
Les témoignages des femmes rejoignent l’expérience des hommes :
Je ne supporte plus l’idée de faire un bébé avec du sperme. Car depuis longtemps je n’ai plus le sentiment de faire un bébé avec mon mari. L’homme dans la FIV est réduit à l’état de sperme. Il donne ses spermatozoïdes. Un point, c’est tout […]. À tel point que j’ai l’impression étrange et désagréable de fabriquer un bébé avec le médecin plutôt qu’avec mon compagnon. La femme, le sperme du mari et le gynécologue : voilà la nouvelle Sainte-Trinité.
Les femmes souffrent de cette mainmise sur leur féminité évoquant une dépersonnalisation de leur corps manipulé comme un objet par les médecins et qui n’est plus considéré que sous l’angle d’une machine à produire des ovocytes.
La disparition de l’acte amoureux, une déshumanisation
Les auteurs émettent une explication qui rejoint sur le fond le Magistère pour rendre compte du désarroi des couples pris dans l’engrenage de la PMA : “La déshumanisation […] pourrait correspondre à la disparition de l’acte amoureux.” Même si les conjoints n’osent pas toujours se l’avouer à eux-mêmes, cette substitution les blesse profondément. De même, le moment de conception de leur enfant si la procédure aboutit – lequel est digne de respect et d’amour comme n’importe quel enfant, faut-il le rappeler ? – est objectivement marqué par une certaine violence qui commence à être l’objet de recherches .
De nouveaux droits pour protéger la procréation humaine
Le langage existentiel des couples rend ainsi témoignage au délicat discernement opéré depuis plus de vingt ans par le Magistère sur cette question complexe. On comprend alors que la norme éthique dégagée par l’Église n’est pas là pour s’imposer de manière coercitive et extérieure dans la vie des époux et l’acte conjugal proprement dit ; elle est plutôt la condition intérieure de son authenticité même en visant à sauvegarder la richesse et la spécificité de la sexualité et de la procréation humaines et par conséquent le bonheur même des conjoints et de l’enfant à naître.
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Aujourd’hui, les considérations morales, anthropologiques et psychologiques étayent en profondeur la réflexion menée par le Magistère sur ce sujet. La procréation humaine ne peut être appréhendée comme une vulgaire mécanique reproductive sans vie ni amour. C’est pourquoi le Magistère en est venu à énoncer deux droits inédits pour protéger la signification profonde de la procréation humaine : “le droit des conjoints à devenir père et mère uniquement l’un à travers l’autre” (DP, 12) et “le droit de l’enfant d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents” (DV, II, 8). Ces affirmations ne remettent pas en cause la bonté morale de l’adoption. Passer outre, c’est susciter des dégâts psychologiques qui sont aujourd’hui étudiés avec précision. Ce qui montre a posteriori que les critères d’une procréation responsable s’appuient sur la recta ratio (la “raison droite”) et sont inhérents à la structure même de la sexualité conjugale. Benoît XVI montre ainsi que “la loi naturelle, qui est à la base de la reconnaissance de la véritable égalité entre les personnes et les peuples, mérite d’être reconnue comme la source à laquelle doit s’inspirer également la relation entre les époux dans leur responsabilité d’engendrer de nouveaux enfants. La transmission de la vie est inscrite dans la nature, et ses lois demeurent.”