Lorsque Jean raconte l’apparition de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine (Jn 20, 11-18), son récit présente des personnages principaux (le Christ, Marie-Madeleine), et des personnages secondaires : les anges. Adoptons le point de vue des anges. Certains ricanent : "Les anges, et puis quoi encore, pourquoi pas les licornes, tant qu’on y est ! Tout ça c’est des images…" Eh bien non, pas du tout ! Les anges font partie de la foi, tout autant que l’Incarnation ou la Trinité. Ça n’est peut-être pas aussi important que de savoir que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, ou que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, mais ça n’est pas moins vrai. Et pas moins à croire, par conséquent.
La plus belle mission à deux anges anonymes
Les anges, donc. Il y en a deux, ce jour-là, au tombeau vide. Deux anges. Si la jalousie était possible chez les bons anges, il devait y avoir des envieux au Ciel ce jour-là. Pensez donc : oubliés, les archanges Michel, Raphaël et Gabriel ! Pourtant, d’habitude, c’est à eux que Dieu confie les missions prestigieuses : combattre le démon, annoncer à Marie qu’elle va être la mère de Jésus, etc. Et là, ce sont deux anges anonymes. C’est inhabituel : Dieu aime appeler chacun par son nom, car Dieu nous aime personnellement et non pas en groupe. Avec Dieu, personne n’est plus jamais anonyme. Alors baptisons-les : l’un s’appelle Gontran, l’autre Anatole. Gontran et Anatole font des jaloux parmi les anges, car c’est à eux que Dieu confie d’être présents au jour le plus important de toute l’histoire de l’Univers : l’annonce de la Résurrection du Christ. De surcroît, la résurrection de Jésus ne le concerne pas seulement lui, ce qui serait déjà extraordinaire, mais elle concerne tous les hommes de tous les temps. En Jésus-Christ, et depuis ce jour-là, la mort est vaincue ; la vie éternelle est donnée à tous ceux qui veulent suivre le Christ.
"Elle pleure beaucoup, Marie-Madeleine"
L’ange Gontran et l’ange Anatole sont donc près du tombeau vide, lorsqu’ils voient arriver Marie-Madeleine. Oh, ils la connaissent un peu, déjà, elle était venue un peu avant, une première fois, et c’était elle qui avait trouvé le tombeau vide. Gontran et Anatole l’avaient observé de loin, tandis qu’elle se jetait à terre en pleurant. Elle avait prévenu Pierre et Jean qui étaient venus eux-aussi, mais qui étaient repartis sans qu’on sache très bien s’ils avaient compris. Et voilà qu’elle est de nouveau là, cette Marie-Madeleine, pleurant devant le tombeau vide. Elle pleure beaucoup, Marie-Madeleine. Les saints ça pleure beaucoup, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Il y a des larmes de colère, de tristesse, de déception, mais le don des larmes, s’il vient de Dieu, est une grâce, car ce sont des larmes d’amour. Dis-moi si tu pleures, dis-moi sur qui tu pleures, sur quoi tu pleures, je te dirai quel saint tu es.
L’ange Gontran et l’ange Anatole, qui veillent à l’intérieur sur le tombeau vide, croient être tranquilles, lorsque Marie-Madeleine, tout en pleurant, se penche vers l’intérieur du tombeau et les aperçoit. Alors, les deux anges lui disent : "Femme, pourquoi pleures-tu ?" Ça leur fait tout bizarre, aux anges. D’habitude, quand on les envoie en mission, c’est plutôt pour annoncer quelque chose, faire passer un message. Et là, consigne du bon Dieu, il faut garder encore le secret quelques secondes. Il s’agit de ménager Marie-Madeleine et de lui faire une transition en douceur : si Jésus apparaissait d’un coup, ce serait trop énorme, trop violent aussi pour cette femme déjà bien chamboulée. Deux anges, dans un premier temps, c’est déjà pas mal et ça prépare le terrain pour la suite. Le bon Dieu sait être délicat quand il le faut avec ceux qu’il aime.
Elle leur tourne le dos
Ils sont tout excités, nos deux anges, ils aimeraient pouvoir lui crier la Bonne Nouvelle tout de suite, mais non, on leur a fait le précepte formel de ne pas dire un mot. Toutefois, comme ils sont malins, ils posent une question qui est déjà un indice : "Femme, pourquoi pleures-tu ?" Autrement dit : j’dis ça j’dis rien, mais il n’y a pas de raison de pleurer, ou pour être plus précis, il n’y a plus de raison de pleurer. En plus, nos vêtements blancs resplendissants fleurent bon la résurrection… Mais Marie-Madeleine ne comprend pas l’allusion. Elle prend la question au premier degré, et répond : "On m’a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis." À cet instant, l’Évangile nous précise qu’elle se retourne. On se demande bien pourquoi ! Voilà qu’elle a devant elles deux anges, certes pas aussi prestigieux que Michel, Gabriel ou Raphaël mais deux anges quand même, et elle leur tourne le dos ! Gontran et Anatole auraient de quoi être vexés.
En fait, pas du tout ! C’est à cause d’eux qu’elle s’est retournée. Car tandis qu’elle leur répondait, nos deux anges ont vu arriver Jésus dans sa gloire. Et là, réflexe, ou instinct du Saint-Esprit, ils se sont prosternés. Et comme Marie-Madeleine est trop humble pour croire que c’est devant elle qu’ils se prosternent, elle se retourne pour voir à qui s’adresse cette adoration.
Il est venu pour ceux qui pleurent
Mais décidément, il lui faut du temps pour comprendre : elle prend Jésus pour le jardinier. Quand on y pense, c’est incroyable ! Tout au long de son passage sur la terre, Jésus sera passé au milieu de nous sans qu’on le reconnaisse, et ça ne s’est pas beaucoup arrangé depuis… Même Marie-Madeleine, qui pourtant le connaît si bien, lui à qui elle doit tout et d’abord sa dignité retrouvée, même Marie-Madeleine, donc, ne le reconnaît pas. Et Jésus lui demande à son tour : "Femme, pourquoi pleures-tu ?" La première parole qu’on connaisse de Jésus ressuscité est donc : "Femme, pourquoi pleures-tu ?" C’est tellement merveilleux, comme première parole. Il aurait pu dire, oh, bien des choses en somme, en variant le ton : "Je suis ressuscité !" ou même, plus biblique : "Ne crains pas", ou encore "C’est moi !" Non, il demande : "Pourquoi pleures-tu ?" Et dans cette question, c’est le motif le plus profond de la venue de Jésus sur terre, de sa naissance, de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, qui apparaît : il est venu pour ceux qui pleurent. Il est venu parce que nous avons tous, à un moment ou un autre, de manière parfois très enfouie, des raisons de pleurer. Parce que le mal, celui que nous faisons et celui que nous subissons, vient dévaster jusqu’au plus intime de nos vies. Pourquoi pleurons-nous ? Songeons-y aujourd’hui, et déposons-le avec Marie-Madeleine aux pieds du Sauveur. Il est venu pour cela.
Mais pour l’instant, Marie-Madeleine ne reconnaît pas Jésus comme son Sauveur. À tel point qu’elle l’interpelle directement : "Si c’est toi qui l’a emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai." "Si c’est toi qui l’a emporté — qui ?" Jésus est tellement au centre de toutes ses pensées depuis trois jours que Marie-Madeleine ne précise même pas de qui elle parle, comme si c’était évident pour tout le monde. C’est la marque d’un amour passionné : "À qui tu penses ? — Bah, à lui évidemment ! — Mais lui qui ? — Lui, enfin !" Lui, enfin ! C’est bien lui ! Quand Jésus l’a appelée par son nom, Marie, elle a frémi de tout son être. C’est Lui. Rabbouni ! L’ange Gontran et l’ange Anatole sont soulagés : ça y est, elle l’a reconnu ! Alléluia ! Soudain le jardin de la Résurrection prend des allures de fête, l’écho des trompettes du Paradis se fait entendre. "Il est ressuscité, il est vraiment ressuscité !"
Avec les anges, L’annoncer dans le monde entier
La suite, on la connaît : Jésus confie à Marie-Madeleine la mission de toutes les missions. Annoncer que Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est mort et ressuscité pour sauver tous les hommes du péché et de la mort. Ce tombeau vide est en fait un berceau, le berceau de l’Église naissante. Cette femme en pleurs est en fait l’Apôtre des apôtres. Et nos deux anges, alors, que deviennent-ils ? Ils continuent leur mission. C’est que le monde entier, et pas seulement Jérusalem, la Sainte-Baume ou Vézelay, doit savoir que Jésus est Dieu, et qu’il est ressuscité ! Et puis, il ne suffit pas de le savoir, il faut encore en vivre ! Et ils sont là aussi pour ça, pour nous aider à en vivre. Et peut-être aussi pour nous rappeler que nous pouvons être pour notre temps des Marie-Madeleine, des anges Gontran et Anatole, bref : des saints qui travaillent pour le Royaume de Dieu.