L’affaire Mila, du nom de cette jeune fille violemment attaquée pour avoir injurié l’islam en réponse à des insultes personnelles, a relancé la défense du « droit au blasphème ». Désormais, la liberté d’expression doit être totale, et le blasphème qui érige l’injure en œuvre d’art est considéré comme un droit. Mais il demeure des vérités intouchables : en refusant de respecter comme sacré ce qui l’est vraiment, on finit toujours par sacraliser des idoles et mépriser les personnes.
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Tarte à la crème « revisitée » depuis quelques années, le droit au blasphème a retrouvé ses lettres de créance dans la cité. Même en laissant de côté la question de la vérité d’une religion par rapport aux autres, il apparaît historiquement que le blasphème contre ce qui existe de plus sacré dans une communauté, a toujours été passible de punitions, très diverses par ailleurs. La lutte contre le blasphème n’est pas une invention chrétienne, l’Église catholique étant, bien entendu, considérée comme la source de tous les maux et de toutes les condamnations.
Le Christ blasphémateur
L’Église voulue par le Christ est, dès l’origine, accusée elle-même de blasphème. Notre Seigneur est jugé comme tel par le grand prêtre Caïphe qui en déchire ses vêtements, comme le prescrivait la loi mosaïque : « Le grand prêtre l’interrogea de nouveau et lui dit : “Es-tu le Christ, le Fils de Dieu béni ?” Et Jésus lui dit : “Je le suis ; et vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.” Alors le grand prêtre déchirant ses vêtements, dit : “Qu’avons-nous encore besoin de témoins. Vous avez entendu le blasphème : que vous en semble ?” Tous le condamnèrent comme étant digne de mort » (Mc, 14, 61-64). Si un homme affirme être le Fils du vrai Dieu, il ne peut être qu’un blasphémateur. Les Juifs s’y connaissaient en blasphème, eux qui, depuis l’Exode d’Egypte, n’avaient pas cessé de se fabriquer des idoles et de retourner sans cesse aux pratiques païennes, comme dans l’épisode du Veau d’or ou bien à l’époque du roi Salomon dont il est rapporté qu’à la fin de sa vie il « servait Astarthé, déesse des Sidoniens, et Moloch, idole des Ammonites » (1R, 11, 5).
Vers un sens plus restrictif
Il n’est donc pas surprenant que la vigilance sur ce point ait constamment mobilisé les autorités religieuses du peuple hébreu. Les premiers chrétiens, d’origine juive ou païenne, tomberont comme martyrs sous le chef d’accusation de blasphème, soit à l’encontre du Dieu d’Israël, soit à l’encontre des divinités multiples de l’empire romain. Saint Étienne inaugure cette couronne sanglante, comme le rapportent les Actes des Apôtres : « Alors ils [des Juifs] subornèrent des hommes pour dire qu’ils l'[Etienne] avaient entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu » (Ac, 6, 11). Il est lapidé sur le champ lorsqu’il tient un discours devant le conseil des Juifs et qu’il termine en s’exclamant qu’il voit les cieux ouverts et le Fils de l’homme à la droite de Dieu (Ac 7, 55-59).
«Auparavant, comme le signale son origine étymologique, blasphémer était parler d’une personne de façon injurieuse ou calomniatrice. »
Le chrétien est donc, dès l’origine, très sensible au blasphème contre le vrai Dieu de la Révélation qui s’achève dans le Christ Jésus. Il se sacrifie pour la défense de la vérité et tombe sous les coups des bourreaux qui le regardent comme blasphémateur alors qu’ils sont ceux qui blasphèment. Voilà pourquoi le mot « blasphème » va connaître, dans l’ère chrétienne, une transformation de sens en le rendant plus restrictif. Auparavant, comme le signale son origine étymologique, blasphémer était parler d’une personne de façon injurieuse ou calomniatrice. Il deviendra rapidement un terme réservé à la sphère religieuse. Des peines canoniques furent prévues envers les blasphémateurs de Dieu ou des choses divines. Il y eut aussi, sous la monarchie, des peines civiles diverses selon la faute commise. Cette correspondance entre le droit canonique et le droit civil dans un régime chrétien n’est pas étonnante puisque toute la société s’ancre dans la foi en Dieu et dans la fidélité au roi reconnu comme lieutenant du Christ sur cette terre.
Le droit au blasphème, sauf les idoles
La Révolution française, combattant d’abord Dieu — donc son Église et le roi — aura beau jeu, non seulement de supprimer le délit de blasphème mais de le remplacer par un droit. Cela fera dire par exemple à un Jean-Luc Mélenchon récemment : « En République, le blasphème n’existe pas. » Une confusion s’est établie entre le droit d’expression — arme à double tranchant car, traditionnellement pour l’Église il n’existe qu’un droit et un devoir à exprimer la vérité et non point des opinions qui peuvent être fausses — droit d’expression qui se doit de respecter encore certaines règles de bienséance vis-à-vis de ses adversaires, et le droit au blasphème qui érige l’injure comme œuvre d’art.
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Les ennemis de Dieu, depuis plusieurs siècles, n’ont de cesse de prôner le droit au blasphème tout en clouant au pilori toutes les opinions se dressant contre cette manière de faire. Il faut d’ailleurs noter que l’évacuation du blasphème comme réalité répréhensible dans nos sociétés anticléricales a introduit de nouvelles conceptions du blasphème car le vide créé était insoutenable : l’homme a besoin de sacraliser certaines choses. S’il refuse de reconnaître comme sacré ce qui l’est vraiment, il finit toujours par sacraliser des idoles.
Le besoin de sacraliser
Notre époque, et ce dans un mouvement qui s’accélère, dénonce comme « blasphématoire » tout ce qui pourrait remettre en cause les nouveautés sacralisées. La République française n’a jamais autant parlé de ses « valeurs » (au contenu bien vague) qui sont, apparemment, intouchables. De même pour le drapeau ou pour l’hymne national : une loi punit celui qui dégrade un drapeau. De même pour ces nouveaux sanctuaires que sont devenus le Panthéon laïcisé et l’Arc de Triomphe avec la tombe du soldat inconnu et son rituel maçonnique du ravivage de la flamme.
«La liste serait longue de ce qui échappe, bizarrement, à ce droit au blasphème proposé en revanche contre tout ce qui est religieux.»
La liste serait longue de ce qui échappe, bizarrement, à ce droit au blasphème proposé en revanche contre tout ce qui est religieux (surtout catholique, car les atteintes envers les autres religions sont beaucoup moins acceptées ou même impossibles). La sacralisation touche également des événements de l’histoire, telles la Révolution française ou la Shoah, débordant aussi sur des changements de société et des lois immorales tenues pour des vérités éternelles, telles la libéralisation de l’avortement, le mariage des personnes de même sexe, tous sujets qui sont dorénavant « tabous ».
Glissement du droit
Nous assistons ainsi, peu à peu, à un glissement du droit au blasphème, tout simplement parce qu’un serpent qui décide de mordre tout ce qui passe à sa portée finira par se mordre la queue s’il ne se donne pas des limites. La société française, depuis plusieurs décennies, a pris un tournant qui fait tomber sous l’interdiction de la loi la critique ou l’attaque de certaines réalités considérées comme « sacrées », qui ont pris la place du vrai Dieu.
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Dans le même temps, elle revendique un droit au blasphème qui, juridiquement et légalement, n’a jamais existé dans les textes. Le blasphème n’était plus considéré comme un délit mais il n’était pas affirmé qu’on pouvait se moquer impunément de tout et traîner dans la boue et les immondices les croyances de chacun. La preuve en est que des poursuites judiciaires peuvent être entreprises lorsque des propos ou des actions jugées blasphématoires se produisent, et, parfois, le plaignant est bien reconnu comme victime. Contradiction donc au sein du système républicain qui, d’une part, brandit la liberté d’expression, tout en la muselant dans certains domaines et tout en encourageant le blasphème sans lui reconnaître un droit légal, et, de plus, tout en appelant au respect de toutes les opinions et à la tolérance du « vivre ensemble ».
Le seul blasphème impardonnable
Là encore, il serait bon de s’inspirer des sages positions de saint Thomas d’Aquin qui dénonce le blasphème comme un « péché de malice caractérisée » mais qui, contrairement à la justice civile, est plutôt enclin à la miséricorde car croyant plus au travail de la grâce qu’à l’entêtement définitif de la plupart des pécheurs. Ainsi, il ne justifie pas le droit au blasphème, péché mortel, mais il ouvre une issue de secours à celui qui se laisserait prendre à ce piège de l’orgueil qui pousse l’homme à occuper la place de Dieu. Le seul blasphème impardonnable est, selon les paroles du Christ, le péché contre le Saint-Esprit, c’est-à-dire refuser de recevoir le salut offert par Dieu à l’aide du Saint-Esprit (Somme théologique IIa-IIæ, qu.14, art.3).
Il est catastrophique de constater que le moindre sens commun s’effrite sous le prétexte que la liberté d’expression serait première par rapport au respect dû à la vérité et à l’autre.
Le problème est que l’homme occidental contemporain a perdu en grande partie le sens de la rectitude qui permet à la conscience de conserver la sensibilité à ce qui est bien et à ce qui est mal. Il est catastrophique de constater que le moindre sens commun s’effrite sous le prétexte que la liberté d’expression serait première par rapport au respect dû à la vérité et à l’autre. Ce respect n’est pas une invitation à accepter l’erreur, à adorer les idoles, à permettre le blasphème d’où qu’il vienne, mais au contraire une base saine pour un débat contradictoire si cela est nécessaire et, stade suprême, pour le témoignage du martyre tel que le vivent tant de nos frères chrétiens aujourd’hui à travers le monde, accusés de blasphème, notamment dans les pays où la charia est appliquée.
Sans respect du Créateur, pas de respect des créatures
Il est trop facile pour les blasphémateurs « humoristiques » de nos pays de continuer leur œuvre de pourrissement tandis que de véritables témoins payent de leur vie les gesticulations de ceux qui tournent tout en dérision. Nous attirons ainsi la foudre sur nos têtes. Il n’existe pas de droit au blasphème et il n’en existera jamais. Il n’existe que des blasphémateurs, de tous poils, et il en existera toujours. Encore faudrait-il qu’ils ne veuillent pas imposer leur péché au reste du monde. Tant que la loi civile entretiendra le flou qui la caractérise en ce qui regarde le blasphème, ni les croyances, ni les personnes ne pourront être respectées, car elle n’interdit pas d’insulter une religion ou une divinité mais simplement les personnes… Toute société saine respecte Dieu (même s’Il n’est pas Celui de la Révélation, le seul vrai Dieu). Ce respect naturel est le signe que tout homme est créature de ce Créateur et doit être respecté comme tel. Lorsqu’un tel principe s’écroule, l’homme est en danger de mort, tout d’abord pour son âme car il se coupe volontairement de la grâce et abandonne la pratique des vertus qui font croître, et pour son corps car un état qui permet cela n’aura aucun scrupule à asservir et à éliminer ceux qui le gênent.
La prohibition du blasphème est une condition indispensable de notre survie et de l’harmonie de notre monde. Le droit au blasphème est l’instauration d’une religion laïque et athée qui se retournera un jour contre ses enfants.