VISAGES DE MISSIONNAIRES (4/5) « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples », nous dit l’Évangile de Matthieu. Depuis 2.000 ans, l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia vous dévoile divers visages de missionnaires, issus de communautés variées. Découvrez aujourd’hui le père Yann Vagneux, envoyé par les Missions Étrangères de Paris à Bénarès, au nord de l’Inde.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi le vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Que son doux timbre de voix ne vous trompe pas. Le père Yann Vagneux, 43 ans, prêtre des Missions Étrangères de Paris (MEP), est une force tranquille. Le regard franc derrière ses lunettes en métal, il a été envoyé en 2012 à Bénarès (actuelle Vanarasi), dans l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde. Avec ses 174 diocèses, ce vaste pays compte 2% de chrétiens, dont 1% de catholiques. L’hindouisme concerne 80% d’Indiens quand l’islam est représenté par près de 15% de la population.
Cité la plus polluée en Inde, Bénarès est considérée comme la capitale spirituelle du pays et l’un des lieux les plus saints de l’hindouisme. Vieille de 3.500 ans, c’est la plus ancienne ville au monde encore en activité : elle attire chaque année plusieurs millions de pèlerins. On y trouve près de 3.000 catholiques, dont une cinquantaine de prêtres. Mais le père Yann est le seul prêtre à vivre au bord du Gange, dans la zone sacrée de la ville, soutenu par une douzaine de religieuses réparties dans trois couvents voisins. Un lieu où aucun prêtre n’avait été envoyé depuis plus de 25 ans.
Dans ce lieu hors du commun où la chaleur est parfois épuisante — il peut faire jusqu’à 48 degrés —, au cœur d’un gali (ruelle), on tombe aussi bien nez à nez avec des hommes qui lavent leur linge dans les eaux du Gange, des prêtres hindous, des enfants manipulant un cerf-volant, des vaches, des processions funéraires, des étrangers qui semblent un poil perdus, quelques musulmans qui vendent des saris qu’ils ont tissés, ou encore un moine jaïn nu, tout cela au milieu d’un vaste chaos de circulation.
Un ministère de présence
Dans cette “Rome de l’hindouisme” qu’est Bénarès, le père Yann est surnommé Yann-ji. “Ji” est un suffixe de grand respect le reconnaissant comme un être spirituel. Là-bas, il expérimente ce qu’il nomme joliment un “ministère d’amitié” ou “ministère de présence”, essentiellement avec des personnes de religion hindoue. Le fait qu’il soit un étranger lui donne une grande liberté, explique-t-il, car il n’appartient à aucune caste. “C’est au cœur de la vie du Christ, lui qui a rencontré les personnes et s’est approché de leurs vies en se laissant toucher par elles. L’immense majorité de ces personnes, il ne leur a pas demandé d’entrer dans le groupe des apôtres mais il s’est simplement approché d’elles et leur existence en a été à jamais transformée”. L’un de ses maîtres-mots est le respect. Il se réclame d’ailleurs volontiers du père Charles de Foucauld, prêtre à Tamanrasset, en Algérie. Là-bas, il était reconnu comme un marabout — c’est-à-dire un chef spirituel — chrétien.
Le père Yann fait cette expérience à Bénarès : il cherche à rendre présent le Christ, grâce aux amitiés qu’il crée. “L’amitié est le lieu où l’on est transformé. L’humanité est recréée grâce à cette communion”, note-t-il. Pour cela, le temps est nécessaire car, ainsi qu’il le précise, “l’amitié ne se déclare pas”. Le concile Vatican II dit qu’il y a “des rayons de vérité” dans les autres religions (dans le document “Nostra Aetate » au chapitre 2). “Nous sommes une cacahuète par rapport à l’hindouisme”, poursuit le prêtre de façon imagée. “Mais si l’Église est catholique, cela signifie qu’elle veut tout embrasser, rencontrer tout homme. Proposer le Christ, c’est proposer ce que l’on est par sa vie”.
Sa méthode à lui, c’est celle du premier pas : aller vers l’autre en lui donnant un espace de silence et d’amitié. “Les gens que je vois n’ont jamais rencontré de chrétien en vérité et beaucoup d’hindous pensent que le chrétien est là pour les convertir de force et détruire leur culture. Nous sommes tous des grenouilles dans notre petit monde et nous ne savons pas ce qu’il y a en face. D’où tous les préjugés que nous avons contre l’autre”. Pour les hindous, le christianisme est très déroutant et la notion de pardon peu familière. “Dans l’hindouisme, on est enchaîné à ses actes et on doit les payer. Pour eux, Jésus crucifié ne ressemble en rien à un dieu : s’il est en croix, c’est qu’il avait un mauvais karma dans sa vie précédente. Cela les choque. La rencontre se fait donc d’abord par l’être, en silence”. Ayant passé son enfance à proximité de la Grande Chartreuse, il a rêvé un temps d’entrer dans le monastère fondé par saint Bruno, avant de découvrir le continent indien grâce à une mission avec Point-Cœur. “Ce qui m’attirait dans la Chartreuse, je l’ai trouvé là-bas. Ma Chartreuse, c’est l’Inde”.
Une “émulation spirituelle”
Le père Yann a beaucoup d’amis brahmanes. Il s’agit de la caste d’où sont issus les prêtres hindous. Considérés comme des intellectuels, ce sont eux qui transmettent le savoir. “Chez eux, on sent une intensité religieuse et une très forte intériorité qui créent une émulation spirituelle”, décrit le prêtre. Dieu et la mort, aujourd’hui particulièrement tabous dans le monde occidental, sont au cœur de la vie des hindous de Bénarès. Là-bas pullulent des milliers de temples et on peut très bien croiser un cortège funéraire avec un mort sur un brancard au détour d’une ruelle.
“L’Église a besoin de ce challenge”, lance le père Yann. Depuis sa première nuit en Inde en 1997, alors qu’il vivait dans un bidonville de Madras, il a compris que ce pays lui permettrait de redécouvrir la nouveauté de Jésus. “Parce qu’on a tendance à s’habituer à lui quand on est né chrétien”, indique-t-il. S’il est prêtre catholique “sans compromission”, il apprend beaucoup de ses frères brahmanes. “On s’en prend plein la figure avec eux”, note-t-il non sans humour. “Ils ont cette intense quête de Dieu et nous rappellent que l’Homme est fait pour s’ouvrir à ce transcendant. Autrement, on court le risque d’être mutilé spirituellement, et c’est d’ailleurs la grande douleur de l’Occident”.
Lire aussi :
Sœur Judith et sœur Marie-Jeanne, en mission au pays des cow-boys
Le père Yann habite à l’extrémité du quartier sacré, à une minute à pied du Gange en passant par Assi Ghât (les ghâts sont les escaliers qui permettent d’accéder au fleuve). Il dispose de trois pièces au sein d’une famille brahmane qui prend soin de lui. Lorsqu’il prie, il fait tinter sa petite clochette, comme les hindous lorsqu’ils commencent la prière. Chaque jour, dès potron-minet, il s’en va célébrer la messe dans l’un des trois couvents dont il est proche, après avoir été réveillé par les chants du muezzin de la moquée voisine. Sur le chemin, il passe par les ghâts et rencontre les pèlerins qui descendent vers le Gange, face au soleil levant. “J’aime bien dire que j’ai la plus belle sacristie du monde pour me préparer à la messe”, lance-t-il en riant.
Au retour, il traverse le marché, ce qui lui permet d’être au fait du prix des oignons et des tomates (c’est aussi cela, être missionnaire) puis d’étudier pendant quatre heures. L’étude des langues est primordiale pour ce polyglotte qui maîtrise pas moins de dix langues dont le tamoul, l’hindi, le sanskrit et le népalais. De quoi faire le tour du sous-continent ! Après la sieste (un rituel quasi sacré dans ce pays) et l’adoration du Saint-Sacrement, il consacre son après-midi à faire des visites. Il termine ensuite sa journée avec les vêpres puis les complies. Là-bas, il est habillé à l’indienne et porte une kurta, la chemise traditionnelle ample descendant jusqu’aux aux genoux, ainsi qu’un pantalon blanc et des sandales. Sa kurta couleur safran signifie qu’il est consacré. Pour lui, ce choix vestimentaire est “très important” car il est signe de ce désir de fraternité.
Si l’on parle beaucoup de la montée du fondamentalisme hindou et des chrétiens qui en sont victimes, le père Yann reste prudent. En Inde, les musulmans sont pour lui l’une des grandes victimes de ces persécutions actuelles. Sa présence aux bord du Gange permet entre autres le dialogue entre hindous et musulmans pour lesquels il reste très difficile de dialoguer ensemble. “Nous sommes aussi un lieu où hindous et musulmans peuvent se rencontrer”, affirme l’homme de Dieu.
Chaque année, il invite ses amis de diverses religions à fêter Noël avec lui sur les bords du Gange. Il dit à voix haute un passage de l’Évangile. À ses côtés, un brahmane lit à son tour un texte sacré de sa tradition puis un musulman récite un morceau de la sourate racontant la naissance de Jésus. “C’est tout petit mais c’est un grand signe”, se réjouit-il. Bénarès est comme “le reflet microscopique de tout ce qui se passe dans le monde. Il faut que la religion se garde de la politique, au sens du pouvoir, et en même temps qu’elle soit très politique, au sens de la vie de la cité”.
Prêtre à Bénarès, par le père Yann Vagneux, collection L’Autre et les autres.
Lire aussi :
Père François, curé dans la “Suisse du Cambodge”