Le diocèse de Lyon ouvre ce 28 juin les festivités de l’année Saint Irénée 2020. Deuxième évêque de Lyon, Irénée serait mort martyr en 202. Premier théologien de l’Église, « inventeur » de la Bible, penseur de la cohérence, le message intellectuel et spirituel de ce géant du christianisme primitif est toujours actuel.
Le diocèse de Lyon est riche en grandes figures chrétiennes, qui lui ont transmis un abondant patrimoine spirituel, depuis Blandine jusqu’à l’abbé Couturier, en passant par Pauline Jaricot et Antoine Chevrier. Irénée est le premier saint de cette Église à avoir laissé une œuvre écrite, importante aussi bien en quantité que par son contenu. Avec cette œuvre, l’évêque de la communauté lyonnaise s’adressait, au cours du dernier quart du IIe siècle, à des amis chrétiens de langue grecque et, en réalité, à tous les chrétiens contemporains désireux de fortifier leur foi face au défi d’une pensée excessivement spiritualiste (la « gnose »), qui rejetait aussi bien la création par Dieu du monde matériel que la nature authentiquement humaine de Jésus, l’exigence de l’Évangile et le caractère réaliste des sacrements, tenus pour de purs symboles.
« L’inventeur » de la Bible
À l’occasion de l’année Irénée qui s’ouvre à Lyon en cette fin de mois de juin, il est bon de rappeler l’intérêt du message spirituel légué par ce premier auteur chrétien du diocèse, qui a été aussi le premier théologien de l’Église. Auparavant, il importe déjà d’être conscients que, si les générations du IIe siècle après Jésus-Christ ont peu à peu pris la mesure du trésor qu’elles possédaient, non seulement avec la Loi et les prophètes de la Bible juive (qui deviendront pour eux l’« Ancien Testament »), mais aussi avec les Lettres de Paul et surtout avec les évangiles, c’est à Irénée qu’on doit d’avoir « inventé » la Bible, c’est-à-dire d’avoir le premier présenté comme une unité où s’exprime la même intention miséricordieuse de Dieu ces trois ensembles : la Bible des juifs, les évangiles et les écrits des Apôtres, dont il a mis en lumière la cohérence et l’articulation autour de Jésus, envoyé et Parole de Dieu.
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Penseur de la cohérence
Irénée a pu inventer la Bible, ce regroupement de livres si divers, parce qu’il était un penseur de la cohérence : cohérence de l’univers dans son ensemble et de l’univers physique avec l’intelligence divine (mais aussi avec l’intelligence humaine), cohérence du témoignage de ce que nous constatons — la complexité merveilleusement efficace du système physique et de l’organisation du vivant — avec ce que disent les textes de la révélation faite par Dieu, cohérence en l’homme du corps, de l’âme qui le fait vivre et sentir et de l’esprit grâce auquel il peut s’approcher de Dieu, cohérence de la foi en Dieu, en Jésus-Christ et en l’Esprit saint vivificateur, foi intériorisée et proclamée aussi bien par des intellectuels formés au raisonnement que par les fidèles illettrés qui constituaient sans doute le gros de la communauté chrétienne lyonnaise de l’époque, cohérence enfin entre la pensée, les convictions et les choix concrets posés par les chrétiens. C’est le sens aussi de la présentation catéchétique de l’essentiel de la foi chrétienne qu’Irénée a rédigé sur le tard en l’adressant, semble-t-il, à un chrétien de Lyon, Marcianus, et en le chargeant de transmettre à son tour ce patrimoine spirituel.
Le goût de la Création dans la vie de Jésus
Il semble qu’il ait puisé son attitude positive, qui suppose une profonde confiance dans le réel comme lieu où Dieu se montre et se laisse atteindre, dans une méditation profonde de l’attitude de Jésus et de la proclamation des Apôtres. Jésus aimait les choses et les gens qui l’entouraient, il aimait le bon vin, les repas et les moments avec ses amis, les marches à travers la campagne palestinienne, il aimait guérir les corps handicapés ou malades et rendre confiance aux âmes blessées, complexées comme celles de la Samaritaine ou de Zachée, il aimait l’eau qui rafraîchit, l’huile réparatrice diffusant l’odeur des essences naturelles et, comme le Créateur dont parle le récit qui ouvre la Bible juive, il trouvait tout cela bon. Irénée n’en finit pas de magnifier ce goût de la création qui s’exprime dans la vie de Jésus et, au-delà de sa mort, dans les sacrements où l’Église le rencontre à travers l’eau, le pain, le vin et l’huile.
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Le message de la vérité
Mais il y a plus : ce qui frappe Irénée, c’est à quel point Jésus est resté fidèle à lui-même, à son propre enseignement de patience, de calme vis-à-vis de ses agresseurs, de confiance en Dieu dépassant toute mesure imaginable. Irénée répète après saint Jean : « Il était la vérité », et il ajoute, pour insister sur le caractère très concret de ce témoignage sur Jésus : « Tout ce qu’il a dit, il l’a fait », en particulier aimer ses ennemis et vouloir le bien de ceux qui vous font du mal. Ce n’était pas un maître de belles paroles, c’était le cri de la vérité jusque dans son silence. Et les Apôtres ? Ils ont hérité de cette exigence inconfortable, celle de dire aux juifs : vous êtes sauvés par la miséricorde de votre Dieu, soyez justes et saints, mais la source du salut n’est pas en vous-mêmes. Celle aussi de dire aux nations non juives de l’empire romain et au-delà : le Dieu du ciel, la puissance qui mène tout n’est pas jalouse de l’homme et de son autonomie, au contraire elle aime l’homme au point de s’en être approchée, de s’être livrée pour lui et de lui communiquer une puissance de vie qui va bien au-delà de la réussite immédiate, économique ou politique, de l’exploitation de la nature, des plaisirs du sexe et de la table, des loisirs superficiels. Ni avec les uns ni avec les autres ils n’ont transigé sur le message de la vérité dont Jésus avait témoigné. Les Apôtres ont eu aussi à lutter contre le tribalisme, à faire l’unité de communautés où coexistaient de nombreuses traditions religieuses et culturelles, comme cela sera le cas dans l’Église de Lyon où il y avait des grecs, des sémites, des romains de diverse provenance, des gaulois et sans doute aussi quelques germains ou émigrés venus de la péninsule hispanique ou d’Afrique du nord.
Les armes de l’intelligence
Irénée a inscrit sa propre attitude dans le prolongement de cette méditation de la vie de Jésus et de l’action des Apôtres. Il déteste ceux qui parlent et condamnent avant de s’être informés à fond de la question débattue. Pour discuter avec les gnostiques qui refusent la création et l’humanité de Jésus, il ne se contente pas de belles déclarations d’intention, de redire la foi en Jésus-Christ, il prend la peine de rassembler de la documentation sur cette pensée, de rencontrer les maîtres de ces groupes, d’analyser leurs textes et de les approfondir, en entrant autant qu’il est possible dans leur logique interne, et il reproche amicalement au destinataire de son ouvrage de ne pas être prêt à faire l’effort intellectuel, certes exigeant mais, à ses yeux, indispensable, pour aborder l’adversaire avec une attitude honnête et réellement féconde. Il faut que la discussion soit vraie et fondée sur des arguments solides, sinon elle n’est au mieux que bonne volonté, au pire que bonne conscience idéologique.
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« Il a lutté pour »
Au-delà, Irénée épouse l’attitude de Paul, son modèle, qui souffre pour ses frères dont il est séparé par leurs convictions réfractaires au message de Jésus. Comme Paul, Irénée est pressé par l’amour de ses frères séparés comme lui, il désire leur retour à la pleine vérité de Jésus et à l’unité de l’Église. Il espère au moins mettre en garde les autres fidèles, pour qu’ils ne s’égarent pas du côté de ce spiritualisme artificiel, mais séduisant, qui prétend qu’il n’y a de vrai que l’âme et que l’esprit, et que l’homme peut faire ce qu’il veut de la matière et de son corps. Il déploie des efforts disproportionnés, dans l’espoir d’en sauver au moins quelques-uns : c’est là la force et la fécondité d’Irénée : il n’a pas lutté contre, il a lutté pour, s’attachant sans relâche à admirer l’unité de l’œuvre de Dieu pour lui faire correspondre la cohérence et la cohésion de la réponse humaine.
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