Un géant, un exemple, un saint… Les hommages se multiplient depuis la mort de Jean Vanier qui sera inhumé ce jeudi 16 mai à Trosly (Oise). Un ancien assistant de L’Arche, qui fut aussi responsable provincial de Foi et Lumière, invite à un autre regard.
Février 2005, Marseille. Jean Vanier est venu animer un Katimavic, retraite offerte à tous les proches de L’Arche ou à tous les curieux désireux de découvrir la spiritualité de la fragilité… et du lavement des pieds. Dans sa chambre, je me souviens d’une tasse sur sa table de nuit, d’un livre ou deux, du magazine Newsweek sur le bureau, et d’un papier griffonné de sa main, peut-être une prochaine conférence en préparation. Un jeune homme voulait savoir ce que Jean Vanier répondait à ceux qui le canonisaient avant l’heure et qui ne savaient parler de lui, que pour en dire : « C’est un saint. » Voilà ce que le concerné avait répondu, dans un rire immense : « Dites-leur de venir à Trosly ! »

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L’idolâtrie déresponsabilise
Derrière cette formule, ne se cachait pas seulement la clairvoyance d’un fondateur qui n’ignore rien de la pauvreté humaine — la sienne — ni des tensions inhérentes à la vie communautaire. Il y avait plus : « La pire chose qui puisse arriver à L’Arche, c’est de laisser croire que c’est exceptionnel ». Car, si c’est exceptionnel, ce n’est pas pour moi. C’est déresponsabilisant. Bref, l’idolâtrie me tient à distance de l’engagement. Or tout le monde, pour ainsi dire, peut devenir assistant à L’Arche, volontaire à Lazare, ou dans tant d’autres lieux…

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Il avait conscience « d’avoir de la chance, parce qu’il a été le premier », et au fond de lui, demeurait le souvenir des centaines d’hommes et de femmes qui, comme lui, avaient consacré leur vie à L’Arche, aux personnes handicapées ou fragiles, à commencer par les parents, et qui le vivaient, sans l’avoir choisi, dans une discrétion absolue. Citant je ne sais plus qui, il avait conclu : « Vous ne vous débarrasserez pas de moi comme ça. » Car canoniser quelqu’un de son vivant, qu’on se le dise, c’était d’abord l’enterrer. Et il aimait la vie ! Durant ce même Katimavic, il avait évoqué le Ciel : « Si ça m’est donné, j’aimerais rencontrer deux femmes là-haut : Etty Hillesum et la Samaritaine. La première pour sa liberté intérieure. La seconde, pour lui demander : “Tout ce que j’ai dit de toi, est-ce que ça va ?” »
Se guérir d’abord
Printemps 2001, Paris. C’est sa grande conférence annuelle de l’OCH à La Mutualité. Cette année-là, le fondateur de L’Arche commente un verset de l’Évangile : « Veux-tu guérir ? » « Comment ça va ? » lance-t-il aux quelque deux mille personnes rassemblées ce soir-là. « Bien » répondent quelques personnes handicapées des premiers rangs. « Eh bien, vous avez de la chance, car moi, ça ne va pas fort. Mais, c’est mon problème. » Quelques semaines après, je lui demandais pourquoi il avait ainsi introduit sa conférence. Il me répondit : « Sur un tel thème, je voulais d’abord dire que moi aussi, j’ai besoin d’être guéri. »

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Dans sa dernière Lettre aux amis, en octobre 2018, il avait conclu tous ses écrits par cette phrase : « Je vous quitte jusqu’à la prochaine lettre en vous remerciant encore une fois de vos vœux et de vos prières, et en demandant pardon à ceux et à celles que j’ai pu blesser à travers toutes ces années. »
Le message de la petitesse
16 mai 2019, Trosly. La prochaine lettre de Jean ne viendra pas. Ses obsèques se dérouleront dans l’intimité. Que chacun se souvienne de Jean, non comme d’un modèle parfait et inaccessible, mais comme quelqu’un qui n’a cessé de vouloir mettre les autres en chemin. Voilà le grand message du « géant », celui de la petitesse : « La vie partagée avec les plus fragiles n’est pas le fait d’une élite, c’est la destinée de toute notre humanité. » Chacun peut passer sous cette arche-là : ce n’est pas l’arche des saints, mais des pauvres, des faibles et des petits.