Comme il fallait s’y attendre, la décision du pape François de ne pas accepter la démission du cardinal Barbarin a surpris certains et en a déçu d’autres. Qu’il soit cependant permis de déclarer n’être ni étonné, ni frustré, ni même inquiet. Comme il l’a fort justement précisé, l’archevêque de Lyon n’a pas demandé au Pape d’enregistrer son renoncement. Il a simplement marqué qu’il ne s’était pas donné à lui-même sa mission et que celle-ci continuait de dépendre de l’autorité qui la lui avait été non pas souverainement octroyée, mais transmise. Le Pape a estimé que les accusations portées contre lui et le verdict réversible en appel d’un premier tribunal ne le disqualifiaient pas. Il a cependant accédé à sa demande de se mettre au moins provisoirement en retrait. Ce n’est pas une demi-mesure. Il y a là bien plus qu’un moyen circonstanciel pour éviter que le diocèse se divise entre partisans et détracteurs de son pasteur, désigné d’abord du dehors de l’Église comme bouc émissaire dans de sinistres affaires. Car en choisissant et établissant lui-même le vicaire général auquel il confie une bonne partie de sa fonction, le cardinal Barbarin reste dans la dynamique de délégation qui est à la source de sa mission.
L’Église en a vu bien d’autres
Tout ceci veut dire que l’Église ne vit pas comme une entreprise ou un corps politique dont la viabilité et la pérennité peuvent être compromises par les fautes ou les maladresses de ses dirigeants, et particulièrement le leader ou le « grand patron ». Il y a eu des papes, des cardinaux, des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses indignes — et à coup sûr incommensurablement plus que tel ou tel prélat condamné pour n’avoir pas dénoncé des crimes antérieurs aux lois qui les obligent à le faire et dont l’interprétation demeure discutée. Alexandre VI (Borgia) n’a pas réussi à déconsidérer le christianisme ni le célibat sacerdotal. Il est pour le moins douteux que Theodore McCarrick y parvienne et il devrait être évident que ce qui peut être reproché à Philippe Barbarin est vraiment très loin d’y suffire.
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L’Église n’est pas une institution comme les autres. Sa vitalité n’est pas exclusivement tributaire de l’impeccabilité ou de l’habileté manœuvrière de ceux qui y exercent les plus hautes responsabilités. Sa survie dépend encore moins de l’hostilité ou de la bienveillance du monde à son égard. Car la foi qui y intègre nécessairement repose pour l’essentiel sur un besoin et une fidélité qui sont l’un et l’autre irrépressibles.
Besoin des croyants et fidélité de Dieu
Le besoin, c’est celui des croyants qui savent que leur relation personnelle avec Dieu passe par ceux qu’il appelle pour les leur envoyer. Sans ceux-là, eux-mêmes ne seraient que déistes ou païens. Leur dieu ne serait que la projection des idéaux minables qu’ils peuvent concevoir par leurs propres moyens. C’est l’objectivité des sacrements, lesquels requièrent des ministres consacrés, qui garantit que l’on n’idolâtre ni quelque bien périssable ni soi-même. De ce point de vue, l’avenir de l’Église n’est pas, ne peut pas être commandé par son image dans l’opinion publique qui se méprend totalement sur son compte en ne voyant en elle qu’un parti en quête de pouvoir ou un ciment social qui a fait son temps. L’enjeu, c’est la foi que la libération vient de Dieu par les hommes qu’il choisit et met à part, depuis Noé, Abraham et Moïse jusqu’à nos prêtres associés aux successeurs des apôtres institués par son Messie.
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La fidélité est donc d’abord celle du Christ. L’Église est son épouse. Tout ce qu’il a dit sur l’alliance et le mariage donne l’assurance qu’il ne la répudiera pas et ne consentira jamais au divorce, quels que soient les trahisons, les rejets et les humiliations auxquels il s’est exposé dans sa Passion et qu’il continue de subir jusqu’à la fin des temps. C’est aussi la fidélité du Père des cieux, qui est tel parce qu’il ne reniera jamais ses enfants dont son Fils a fait les membres de son Corps, ses frères et ses sœurs. C’est enfin la fidélité de l’Esprit : de même qu’il unit le Père et le Fils, il donne d’entrer dans leur communion aux hommes qui l’accueillent et se laissent guider par lui. Cette fidélité du Dieu unique en trois personnes est ainsi ce qui rend possible la fidélité dans la foi et en fait un besoin.
Réforme par les saints
Finalement, l’objectif ne saurait être de se concilier les bonnes grâces de ceux qui voudraient que l’Église se remodèle à leur convenance, pour devenir quelque chose de moins gênant, qui légitime leur vision de l’homme et de la société — par exemple en transformant les prêtres en gens comme les autres : de l’un ou l’autre sexe, et mariés, ou en se donnant la démocratie (et de préférence directe plutôt que représentative) comme système de gouvernement. En réalité, ce n’est jamais en adoptant les modes de l’époque que l’Église s’est réformée. Quand elle allait mal — et c’est arrivé ! — ce sont des saints qui l’ont tirée d’affaire : saint Benoît, fondateur du monachisme en Occident sur les ruines de l’Empire romain ; saint François d’Assise qui, dans une vieille chapelle délabrée, s’entend ordonner de « réparer l’Église en ruine » ; saint Ignace de Loyola qui se met au service du Pape au moment où la papauté est contestée (et contestable !) ; sainte Thérèse de Lisieux, dont la « petite voie » ouvre la vie spirituelle aux âmes les plus simples alors que l’anticléricalisme fait des ravages…
Ce qui distingue les saints qui ne sauvent pas à proprement parler l’Église, mais restaurent son authenticité, c’est bien entendu l’intensité de leur union à Dieu. Mais le signe le plus sûr en est leur attachement farouche aux sacrements, à la liturgie, au dogme et l’obéissance filiale au pape, à la hiérarchie et au clergé. Si l’Église va mal aujourd’hui, Dieu fidèle lui donnera les saints qui la renouvelleront, et c’est à leur confiance en nos prêtres que nous les reconnaîtrons.
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